VIE POLITIQUE- DOCUMENTS POLITIQUES- ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE DÉCEMBRE 2019-
APPEL DE PERSONNALITÉS (18)REPORT ÉLECTION
Dix-huit
personnalités politiques de divers horizons ont rendu public mardi
15 octobre 2019 un communiqué dans lequel il dressent
un constat de la situation politique actuelle sans appel, suggérant le report
de l’élection présidentielle.
Texte
intégral de la déclaration
« Le
blocage politique actuel dans lequel se retrouve le pays n’est autre que la
conséquence des méthodes d’un pouvoir personnel qui a toujours compté sur la
fraude dans toutes les consultations populaires pour proclamer des résultats
programmés à l’avance. Malgré cela, ces méthodes n’ont pas réussi à cacher la
défiance du peuple et sa perte de confiance dans la capacité de ses gouvernants
à changer la réalité. Bien au contraire, celle-ci s’aggravait encore davantage
après chaque parodie électorale. Aujourd’hui, force est de constater que parmi
les résultats les plus manifestes de cette confiscation de la volonté
populaire, le renforcement de la mainmise du pouvoir sur la vie politique, et
sa persistance à vider les institutions nationales de leurs fonctions vitales,
y compris celle du contrôle, et à écarter le peuple de l’exercice de sa mission
principale qui est d’assurer la légitimité du pouvoir et de préserver la
souveraineté nationale sacrée.
La poursuite
de la mobilisation populaire et sa détermination à satisfaire ses
revendications légitimes pour l’instauration de la souveraineté du peuple sur
l’Etat et ses institutions indiquent clairement que le processus enclenché le
22 février ne s’est pas seulement limité à l’empêchement du 5ème mandat, mais
il s’est étendu au rejet des pratiques ayant conduit le pays à la situation que
nous vivons. Cette détermination exprime aussi l’aspiration à l’ouverture d’une
ère nouvelle qui verra la mise en place d’un état de droit selon les critères
contenus dans la Proclamation du 1er novembre 1954. Durant les huit mois de son
existence, ce mouvement populaire est resté dans cette voie, sans reculer ou
faiblir, ne faisant cas au passage, ni de ceux qui sèment le doute dans sa capacité,
ni de ceux, dans ses rangs, qui changent de chemin en cours de route, ni enfin
de ceux qui tentent de l’instrumentaliser, de le démobiliser ou de parier sur
son essoufflement.
De
nombreuses initiatives ont été lancées sous différentes formes, émanant de
partis politiques, de personnalités nationales, d’associations, et de forums.
Toutes ces initiatives ont été ignorées par les autorités. Le système politique
a répondu Harak conformément à ses anciennes pratiques, pensant à tort qu’il ne
s’agissait là que d’un événement conjoncturel. C’est pourquoi, il s’est
contenté d’orienter les regards vers la lutte contre la corruption pour
atténuer la colère populaire. Il est clair que la lutte contre ce fléau, quand
bien même elle est capitale, nécessite d’abord la lutte contre l’autoritarisme
politique à travers l’instauration d’un système démocratique basé sur
l’alternance au pouvoir, la séparation des pouvoirs, le respect de
l’indépendance de la justice, des droits de l’homme, des libertés individuelles
et collectives et de la justice sociale.
Il n’est
nullement de la responsabilité du Harak populaire de fournir des solutions
politiques toutes prêtes pour une transition d’une période qui a trop duré à
une ère dont l’avènement s’annonce difficile. Sa tâche principale consiste
plutôt à modifier l’équilibre des rapports de force sur le terrain, pour
permettre aux élites nationales, toutes spécifités confondues, d’élaborer une
vision nouvelle complète d’un nouveau système de gouvernance qui repose sur le
respect de la souveraineté du peuple à choisir ses représentants pour conduire
les affaires de l’Etat et de la société.
Par cette
vision objective, la majorité du peuple ne rejette pas de façon absolue les
élections présidentielles car sa position s’érige sur de fortes convictions
qu’elle partage, d’ailleurs, avec ceux qui se sont montrés au départ
enthousiastes. Les uns et les autres ont évalué à sa juste mesure, la réalité
du pouvoir. Celui-ci conserve encore sans partage, l’exclusivité de la gestion
de la chose politique qui comporte dans son essence une mentalité tutélaire en
opposition totale avec la constitution dans la définition même du concept de la
souveraineté populaire. Et pour cause. La constitution est devenue par la force
des choses le jeu préféré du pouvoir auquel il recourt, tantôt en procédant à
l’interprétation restrictive de ses dispositions pour rejeter toute thèse qui
prône un véritable changement, tantôt en se permettant une large interprétation
de ses dispositions en fonction de ses exigences et besoins. Ainsi, cette loi
fondamentale n’est-elle plus un terrain d’entente et un toit protecteur pour
toute la société. Rien d’étonnant dès lors qu’elle devienne un simple moyen
entre les mains des détenteurs du pouvoir, et un instrument pour freiner toute
dynamique de changement pacifique.
Le pouvoir
n’a trouvé d’autre issue à sa crise chronique que de tenter, au nom la
légitimité constitutionnelle, un passage en force vers des élections, et de
persister en imposant sa main de fer pour consolider sa tutelle permanente sur
le peuple. C’est par cette démarche qu’a été mise en place la « commission
nationale » du dialogue pour appliquer une feuille de route sans dialogue
réel et sérieux. Aujourd’hui, le résultat est là: la création de l’Autorité
nationale indépendante des élections s’est faite sans accord consensuel avec
les acteurs politiques et les élites sociales. Ce faisant, le nouveau-né a
perdu toute indépendance rien que par la désignation publique scandaleuse de
ses membres Il aurait été plus juste de lui attribuer la prérogative de la
convocation du corps électoral si elle était effectivement consensuelle et
indépendante.
En dépit de
toutes ces données qui dénotent clairement une volonté politique de répondre
sélectivement aux revendications légitimes du Harak, nous continuerons
d’espérer en la possibilité de parvenir à la solution de la crise politique
actuelle. D’où notre appel à la poursuite du Harak, tout en saluant le degré
élevé de conscience des manifestants pour leur pacifisme qui, par sa qualité
d’acquis civilisationnel, soulève l’admiration de par le monde. En
contrepartie, le pouvoir doit prendre les mesure
d’apaisement suivantes pour réunir les conditions nécessaires au déroulement
libre et transparent du prochain scrutin :
·
satisfaction des revendications relatives au départ
des symboles restant du pouvoir déchu, et démantèlement des réseaux de la
corruption sous toutes ses formes.
·
libération immédiate et sans condition des détenus
d’opinion: jeunes et moins jeunes, étudiants et activistes du Harak,
·
respect du droit constitutionnel de manifester
pacifiquement, levée de toute entrave à l’action politique, et à la liberté
d’expression dans tous les média, notamment l’espace audiovisuel public et
privé
·
levée des entraves aux marches populaires pacifiques
et à l’accès à la capitale.
·
cessation des poursuites et des arrestations illégales
d’activistes politiques.
·
invitation à un dialogue sérieux et responsable de
toutes les parties favorables à ces revendications.
Autant nous
insistons sur ces mesures préalables pour ouvrir la voie à une solution
politique durable, autant nous invitons toutes les tendances du Harak à plus de
retenue et de vigilance afin d’éviter tout slogan attentatoire aux personnes et
aux institutions, et d’exclure tout ce qui constitue une source de fitna ou de
haine préjudiciables à l’unité nationale.
Nous ne
pouvons concevoir la prochaine échéance présidentielle que comme le
couronnement d’un dialogue aboutissant à un consensus. Notre pays a en effet
besoin de l’apport de tous ses enfants pour élaborer une vision commune dont
l’objet ne sera nullement de reconduire le régime actuel même sous un habillage
nouveau, mais d’être le point de départ d’une vie politique nouvelle dans le
cadre d’une unité nationale renforcée par sa diversité politique et culturelle,
et qui dissipe toute crainte de l’institution militaire d’une autorité civile
constitutionnelle. Il est certain qu’une entente de cette importance, et un
consensus de ce niveau épargneront au pays les risques de l’enlisement, et lui
permettront de faire solidairement un saut qualitatif et non en rangs
dispersés. Autrement dit, s’aventurer à organiser des élections présidentielles
comme annoncées, sans consensus national préalable, attisera le mécontentement
populaire et aggravera la crise de légitimité du pouvoir. Bien plus, cette
décision pourrait servir de prétexte aux immixtions étrangères que nous
refusons avec force dans tous les cas et sous n’importe quelle forme. Il est
donc inconcevable d’envisager la tenue d’élections libres et transparentes dans
de pareilles circonstances. Par conséquent, nous invitons le pouvoir de fait à
procéder avec sagesse et objectivité, à une nouvelle lecture de la réalité afin
de ne pas contrecarrer les revendications légitimes du peuple en faveur d’un
changement pacifique des mécanismes et des pratiques de gouvernance, et pour ne
pas frustrer les générations de l’indépendance emplies de patriotisme, de
l’exercice de leur droit à l’édification d’un Etat moderne dans l’esprit
rassembleur du 1er novembre. C’est précisément cet esprit qui nous anime
toujours, à la veille de la célébration de l’anniversaire de notre glorieuse
Révolution dont les valeurs de militantisme, d’abnégation et de rassemblement
doivent nous guider pour rester fidèles au message de nos valeureux martyrs ».
Alger, le 15 octobre 2019
Les
signataires:
1- Ahmed TALEB-IBRAHIMI/ Abdenour
ALI-YAHIA/ Ahmed BENBITOUR/ Ali
BENMOHAMED/ Abelaziz RAHABI/ Noureddine BENISAAD (LADDH)/ Sadek DZIRI (Syndicat national du personnel de
l’éducation et de la formation , UNPEF)/ Dr.Iliès
MRABET (Syndicat national des praticiens de la santé publique, SNPSP)/ Dr Arezki FERRAD (Historien)/ Cheikh Hédi HASSANI (Association des Ouléma)/ Dr Nacer DJABI (Sociologue)/ Louisa
AIT-HAMADOUCHE (Prof. Univ. d’Alger)/ Dr Farida
BENFARRAG (Prof. Univ. Batna)/ Abdelghani BADI (Avocat, Alger)/ Dr El-hadj Moussa
BEN AMOR ( Prof. Univ.Alger)/ Nacer YAHIA (Avocat
Oran) / Dr Seif el Islam BENATTIA (Maitre assistant, Univ. Alger)/ Dr Mouslem BABAARBI (Prof. Univ. Ouargla)/ Hachem Saci (« Avocat moderne dans
l’esprit rassembleur de Novembre»)