RELATIONS OINTERNATIONALES-
OPINIONS ET POINTS DE VUE- DECES CHIRAC JACQUES- CHRONIQUE AREZKI METREF
(c) Par Arezki Metref/Le
soir d’Algérie, samedi 29
septembre 2019
Ici mieux que là-bas
Chirac, le paradoxe incarné
Pas étonnant ! Le décès de
Jacques Chirac a emballé les réseaux sociaux algériens. Cela confirme ce que
l’on savait déjà de son vivant, et même pendant son exercice : il demeure le
Président français pour lequel les Algériens ont manifesté le plus d’intérêt.
Son «passé algérien» pendant la guerre de Libération n’est pas ce qui a le plus
marqué notre mémoire.
Mais qui est en fait cet homme politique qui présentait une façade débonnaire
en diable ? Pourquoi ce type de «droite» était-il apprécié pour des sympathies
relevant théoriquement de la «gauche» ?
C’est que Chirac était l’homme des paradoxes.
Né le 29 novembre 1932, dans le 5e arrondissement de Paris, dans une famille de
la bourgeoisie corrézienne, il était surnommé dès son jeune âge par ses
camarades scouts «bison égocentrique». Cela traduit sans doute deux de ses
caractéristiques : l’aspect fonceur et la certitude que tout tourne autour de
lui. Georges Pompidou, dont il fut ministre, retiendra de lui le fait que
c’était un battant : il l’affublera plus tard du qualificatif de «bulldozer».
On ne pouvait pas le rater. Jacques Chirac a été acteur de la vie politique
française et internationale durant quatre décennies. Il sera élu président de
la République en 1995 et réélu en 2002, contre Jean-Marie Le Pen qui arrivait
pour la première fois au deuxième tour de la présidentielle, en partie grâce
aux erreurs du même Chirac.
Chirac a une histoire avec l’Algérie. Il raconte dans une interview pour Paris
Match en 1978 : «Pour moi, l’Algérie a été la période la plus passionnante de
mon existence. Pendant de longs mois, j’ai eu une vie passionnante et
enthousiasmante, mais détachée de tous les éléments qui pouvaient alimenter une
réflexion politique».
Faire cet aveu 16 ans après l’indépendance de l’Algérie alors que la «question
algérienne» n’était toujours pas digérée dans le huis clos de la politique
intérieure française témoigne d’une absence de relecture critique qui illustre
l’histoire complexe et l’ambiguïté des rapports que Chirac entretenait avec
l’Algérie.
Le 14 avril 1956, le sous-lieutenant Chirac, engagé volontaire au sein du 6e
régiment des chasseurs d’Afrique débarque du Sidi-Bel-Abbès. Il stationnera
dans les environs de Souk-El-Arba dans l’Ouest. Il
sera démobilisé avec le grade de lieutenant, le 3 juin 1957.
Mais son histoire avec l’Algérie ne s’achève pas là. Il y retourne, le 17 avril
1959 dans le cadre du «renfort administratif» comme chef de cabinet du
directeur général de l’agriculture et des forêts. Il aurait été alors l’un des
plus «Algérie française» de sa promotion.
Le couple Chirac s’installe à Alger jusqu’en 1960. Sa fille Laurence y est née.
Son premier contact avec Alger date de ses 18 ans lorsqu’il fugue pour
s’engager comme marin sur un cargo charbonnier. Il y fera une escale au cours
de laquelle, il aurait, de son propre aveu dans ses Mémoires, perdu son
pucelage conduit par son capitaine à La Casbah. «Quand au matin, je suis
redescendu vers le port, dans l’odeur de grésyl sur
le trottoir, d’anisette et de produits coloniaux, je n’étais plus le même
homme». Il est ainsi le seul Président de la 5e République à avoir servi sous
l’uniforme en Algérie.
Fin novembre 2001, en provenance de Tunis, le Président Chirac, déjà en
exercice depuis 1995, fait étape à Alger ravagé par les inondations. Il se rend
à Bab-el-Oued où il est acclamé par la population
quelques jours après que Bouteflika y ait été sifflé.
Réélu en 2002, il retourne à Alger en mars 2003, où il est acclamé par près
d’un million d’Algérois. «Chirac Président» entend-on dans la foule. Mais aussi
«des visas, des visas !». Il est alors auréolé du prestige de l’homme qui a
tenu tête à la Sécurité israélienne en prenant un bain de foule au milieu des
Palestiniens (octobre 1996). Il est aussi celui qui s’est opposé à Bush en
refusant de prendre part à la guerre en Irak, posture qui a renforcé sa
popularité dans le monde arabo-musulman.
Il restitue aux autorités algériennes le sceau du Dey d’Alger et serre la main
à d’anciens moudjahidine. Mais le traité d’amitié envisagé n’aboutira pas : «Le
principal obstacle viendra de l’acte de repentance que le gouvernement algérien
nous demande (…) de faire figurer dans le préambule», écrit-il dans ses
Mémoires.
Il a eu la même attitude paradoxale vis-à-vis de l’Afrique. On lui reproche son
appartenance à la Françafrique, et même son côté
débonnaire à l'égard des dirigeants africains, qui traduit une certaine forme
de paternalisme.
Lors du sommet France Afrique de janvier 2001 à Yaoundé, il déclare : «Nous
avons saigné l’Afrique pendant 4 siècles et demi. Ensuite, nous avons pillé ses
matières premières ; après on a dit : ‘’Ils ne sont bons à rien’’. Au nom de la
religion, on a détruit leur culture et maintenant, comme il faut faire les
choses avec plus d’élégance, on leur pique leurs cerveaux grâce aux bourses…
Après s’être enrichi à ses dépens, on leur donne des leçons.»
Mais ce politique-buldozzer, qui fonce tête baissée
vers l’objectif du moment, est le même qui, en 1991, déclarait lors d’un
banquet à Orléans : «Le seuil de tolérance est dépassé (…) L’ouvrier français
qui gagne 15 000 francs et voit sur le palier de son HLM un immigré nanti de 3
ou 4 femmes, d’une vingtaine de gosses qui touche plus de 50 000 francs
d’allocations diverses et qui ne travaille pas, si vous ajoutez à cela le bruit
et l’odeur, le travailleur français sur le palier devient fou.»
De l’expression «bruit et odeurs», le groupe Zebda
fera une chanson.
Chirac lègue aussi à la vie politique française quelques phrases choc
difficilement oubliables. Il dira, lors d’un sommet de Bruxelles, à propos de
Margaret Thatcher, Premier ministre britannique, oubliant que son micro était
ouvert : «Qu’est-ce qu’elle veut cette ménagère ? Mes c….. sur
un plateau !»
Une autre fois, il énoncera cet axiome du cynisme politique : «Les promesses
n’engagent que ceux qui les reçoivent.»
L’histoire retiendra aussi cette émulation avec notre Kaïd
Ahmed qui ne l’aurait pas trouvé, celle-là : «Les prévisions sont difficiles
surtout lorsqu’elles concernent l’avenir.»
Enfin, Chirac ne supportait pas les petites pestes comme Nicolas Sarkozy : «Il
faut lui marcher dessus. Et du pied gauche, ça porte bonheur.»
Mais derrière l’illusion attrayante du personnage, il y a le politique de
droite pur et dur. En 1986, c’est sous Chirac, Premier ministre, qu’un jeune
étudiant, Malek Oussekine, a été abattu par la
police. C’est encore sous Chirac à Matignon qu’a été gérée de façon calamiteuse
la crise de la prise d’otages à Ouvéa, en 1986, en Nouvelle-Calédonie, qui
s’est terminée dans un bain de sang kanak.
L’homme des paradoxes, vraiment, ce Chirac.