VIE POLITIQUE- POLITIQUE- POUVOIR- PRESIDENTS MALADES
Ces présidents africains qui préfèrent se faire soigner à l’étranger…
(c) Falila Gbadamassi/
Rédaction Afrique France télécvisons/
Francetvinfo.fr, samedi 31 août 2019
La teneur du bulletin de santé d’un chef de l’Etat est une
information sensible. D'ailleurs, nombreux sont ceux qui refusent de la
partager avec leurs concitoyens. Manifestants et
journalistes ont été arrêtés au Gabon quand ils ont
abordé la question après l'accident vasculaire dont a été victime le président
Ali Bongo Ondimba en Arabie Saoudite.
C'est seulement après des mois de spéculations et sous la
pression de la rue que le président algérien Abdelaziz Bouteflika, 82 ans,
revenu quelques heures plus tôt de Suisse, où il était hospitalisé, reconnaîtra le
11 mars 2019 que son état de santé ne lui permet pas de briguer un cinquième
mandat.
Une information dont disposait certainement ses différents médecins suisses ou
français. Le chef de l'Etat algérien ayant été également traité dans
l'Hexagone.
Depuis les indépendances, la santé de nombreux dirigeants
africains n'est jamais restée une affaire domestique parce qu'ils se sont
souvent fait soigner à l'extérieur de leur pays. Certains ont même trouvé la
mort dans l'avion qui les évacuait. A l'instar de l'ancien président
togolais, le général Gnassingbé Eyadéma, "frappé par une crise cardiaque qui lui aurait été
fatale lors de 'son évacuation vers l’Europe',
précise un communiqué lu à la radio nationale et qui situe le décès dans la
matinée du samedi 5 février 2005", rapportait RFI.
La démarche s'est tellement systématisée que même en cas
d'urgence, il semble qu'il n'y ait pas d'autre choix que d'organiser une
évacuation sanitaire. Ainsi, après avoir été blessé par balle, le président mauritanien
Mohamed Ould Abdel Aziz est
opéré, puis évacué en France en 2012. Son homologue zambien, Levy Mwanawasa, est décédé le 19 août 2008 à l’hôpital Percy de
Clamart (Hauts-de-Seine), où il avait été transféré après avoir fait une
attaque cérébrale en Egypte durant le sommet de l’Union africaine.
Faiblesse géopolitique
Cette propension à confier sa santé à un autre Etat peut devenir
une redoutable arme géopolitique au service du pays hôte, surtout
quand celui-ci est une ancienne puissance coloniale. Dans leur film diffusé sur
France 3 en 2018, Le
Val-de-Grâce, l'hôpital de la République, les documentaristes
Caroline Fontaine et Nicolas Glimois démontrent ainsi
comment Jacques Foccart, éternel "Monsieur
Afrique" de Charles de Gaulle à Jacques Chirac, va installer "un ami" de
la France à la tête du Gabon à la fin des années 60.
Le premier président gabonais,
Léon Mba, est malade. Il souffre d'un cancer de la
prostate et se fait soigner à Paris. L'Elysée va profiter de son
hospitalisation pour lui conseiller d'amender la Constitution gabonaise qui va
désormais prévoir un poste de vice-président. Ce dernier étant le successeur
naturel du président élu. Paris s'assure ainsi que si la maladie l'emporte, ce
sera toujours un homme proche de la France qui dirigera ce pays, où le groupe
français Elf exploite le pétrole. Le choix se porte sur Albert Bongo, qui
deviendra Omar Bongo après sa conversion à l'islam.
En novembre 1967, à la mort de Léon Mba,
le vice-président accède à la magistrature suprême. "La diplomatie médicale théorisée par Foccart permettra
à la France du général de Gaulle, puis de tous ses successeurs, de se sentir au
Gabon comme chez elle pour les quarante ans à venir", résume-t-on
dans le documentaire.
Omar Bongo, lui, ne voudra pas se faire soigner en France. Dans
un article du Monde publié
en 2009, Robert Bourgi, "dauphin" de Jacques Foccart, affirmait
que le président gabonais ne souhaitait pas être traité en France, parce qu'il
fuyait la presse française. "Je
suis malheureux depuis la mort de 'maman Edith' (l'épouse
d'Omar Bongo, décédée le 14 mars 2009)", avait-il
confié à Robert Bourgi, selon le quotidien français. "Mais ce qui me fait le plus de mal, c'est que
je n'ai même plus envie d'aller en France, qui est pourtant mon deuxième pays,
à cause de tous vos médias qui me harcèlent avec ces histoires (affaire des biens mal
acquis, NDLR) que l'on me
fait."
C'est en Espagne, à Barcelone, qu'Omar Bongo sera soigné pour un
cancer des intestins en phase terminale. Il y décèdera à l'âge de 73 ans en juin 2009.
Une affaire de gros sous
Se faire soigner à l'extérieur
de son pays ne relève pas que de la géopolitique. C'est aussi une question
économique notamment quand on est considéré comme un pays pauvre. En 2017, le
président nigérian Muhammadu Buhari
s’était rendu deux fois à Londres, en Grande-Bretagne, pour des soins médicaux.
L’un de ses séjours avait duré trois mois. Au grand dam des Nigérians, qui
s'étaient interrogés sur le coût des soins de leur chef d'Etat pour le
contribuable.
("Ekabo
(bienvenue en yorouba)! Montrez-vous donc présidentiel, dites-nous combien
il nous a coûté de vous garder à Londres plus de 100 jours. Continuerez-vous à
percevoir salaires et défraiements ?")
"Par exemple, le coût du
stationnement de l’avion de Buhari pendant son séjour
de trois mois à Londres est estimé à 360 000 livres sterling (environ
420 000 euros)", expliquait
alors l'universitaire Tahiru Azaaviele
Liedong dans un articlé publié par The
Conversation. "Ce qui
équivaut à environ 0,07% du budget alloué à la santé au Nigeria qui est de 304
milliards de nairas cette année (en 2017, soit plus de 742
millions d'euros, NDLR). Et il aurait eu
beaucoup d'autres frais plus lourds engagés pendant son séjour."
Infrastructures hospitalières en mauvais
état
L'avocat nigérian Femi Falana, dont les propos ont été repris par le journal
nigérian The
Daily Post en mai
2018, est sur la même longueur d'ondes. "Il
y a quelques années, j'ai été obligé de saisir les tribunaux afin d'empêcher
que les personnes qui ont une fonction publique partent à l'étranger pour se
faire soigner sur les deniers publics. Même si le tribunal a déclaré que je
n'avais pas de locus standi (la capacité de porter
l'affaire devant les tribunaux),
l'affaire est en appel. Nous devons parvenir à obtenir que si vous occupez
une fonction publique au Nigeria, vous ne pouvez pas aller à l'étranger pour
suivre un traitement médical (et) vous ne pouvez pas éduquer vos enfants à l'étranger.
Si nous n'y parvenons pas, nous ne occuperons (jamais) de nos hôpitaux, ni de nos écoles." D'autant
que les populations doivent, elles, se contenter d'infrastructures en piteux
état.
Selon les dernières statistiques de
l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le Nigeria comptait cinq lits pour
10 000 habitants en 2004. Plus
largement, en Afrique subsaharienne, toujours selon l'OMS, "on enregistre en moyenne seulement deux médecins
et 15,5 lits d’hôpital pour 10 000 personnes".
Contrairement au Nigeria, l'Ouganda compte interdire à
ses ministres et députés d'aller à l'étranger pour des procédures médicales dès
l'ouverture au public d'un hôpital de pointe en Ouganda. Sa livraison est annoncée en 2020. En
attendant, rapporte RFI, le
président ougandais Yoweri Museveni "multiplie (...) les visites-surprises" dans
les établissements hospitaliers pour vérifier qu'ils sont fonctionnels.
Pour l'avocat Femi Falana,
être en mesure de soigner ses ressortissants est une question de fierté
nationale. "J'estime que ces séjours
médicaux du chef de l'Etat et des plus nantis exposent notre pays au
ridicule. Nous ne pouvons pas justifier qu'un pays comme le nôtre, qui
dispose d'énormes ressources, ne puisse pas se doter de quelques hôpitaux
qui permettent à tous d'être soignés au Nigeria."
"Nous devons en
avoir honte"
Une opinion partagée par le ministre de la Santé sud-africain,
Aaron Motsoaledi, connu également pour ses
sorties xénophobes. "Je
l'ai déjà dit et je le répète : nous sommes le seul continent dont les
dirigeants recourent à des services médicaux hors du continent, hors de notre
territoire", a-t-il déclaré, cité par le journal
zimbabwéen NewsDay en août 2017. "Nous devons en avoir honte. C'est ce qu'on appelle
du tourisme sanitaire", a-t-il lancé lors d'une
rencontre régionale sur la santé organisée par l'OMS au Zimbabwe.
Le responsable sud-africain peut se permettre de faire la leçon
aux dirigeants africains. A l'instar de l'ancien roi du Maroc, Hassan II qui
avait néanmoins un médecin français - le Dr François Cleret -, l'ancien président
Nelson Mandela s'est toujours fait soigner dans son pays. L'Afrique du Sud est
réputée pour la qualité de son infrastructure médicale : 28 lits
d'hôpitaux pour 10 000 habitants en 2005 contre 75 pour la France la même
année.
Et ses voisins en profitent. C'est le cas du président
zambien Edgard Lungu qui s'y
est fait soigner en mars 2015 après s'être évanoui à Lusaka, la capitale
de son pays.
Les chefs d'Etat ne se soignent effectivement pas qu'en
Occident. Ils se tournent également vers des pays africains comme le Maroc, où
l'actuel président gabonais Ali Bongo se repose. Une situation qui plonge
aujourd'hui le Gabon dans une crise
politique.