DEFENSE-OPINIONS ET POINTS DE VUE- LIAISONS
ALGERIE/EAU- ETUDE ALI BENSAAD
(c) El Watan/Ali Bensaad, dimanche 21 juillet
2019
Algérie,
les dangereuses liaisons émiraties
L’Algérie n’est certes pas le Soudan. Mais
depuis qu’un même vent de liberté s’y est levé, les deux pays se trouvent
projetés sur des trajectoires convergentes. Ils traversent surtout les mêmes
zones de turbulences. Et butent sur le même écueil : le refus par l’autorité
militaire d’une période de transition.
Ce que les militaires soudanais viennent de
retirer par la force des armes (leur engagement sur une période de transition
dirigée par des personnalités indépendantes), c’est ce que l’état-major
algérien refuse de concéder depuis le début.
Tous les deux veulent réduire le changement à
la seule élection présidentielle, dans les délais les plus courts et avec le
même système de pouvoir. Les deux pouvoirs militaires de fait convergent sur
l’essentiel : garder le contrôle et changer pour que rien ne change.
L’axe Arabie Saoudite-Egypte-Emirats qui, avec
le soutien des puissances occidentales et de la Russie, s’est érigé en gendarme
de l’ordre conservateur dans le monde arabe et agit pour imposer une
restauration autoritaire, est aujourd’hui le principal obstacle à toute
démocratisation dans cette région.
Son action se fait depuis l’intérieur des
systèmes où il actionne ses relais locaux, le plus souvent et
préférentiellement militaires, comme il l’a fait avec Sissi en Egypte, Haftar
en Libye et aujourd’hui avec les militaires soudanais qui viennent de plonger
leur pays dans un bain de sang. Que peut-il en être en Algérie ?
L’Algérie Post-Bouteflika, une réorientation
sous pression saoudo-émiratie ?
Le fait est que le pouvoir saoudien et l’axe
qu’il anime, sans trop s’en cacher, a fait de la gestion du hirak algérien et
soudanais une priorité. Ce qui arrive aujourd’hui au Soudan, l’Arabie Saoudite
l’avait programmé et revendiqué explicitement et publiquement il y a plus de 3
mois. Mais pas seulement pour le Soudan, également pour l’Algérie.
On pouvait par exemple déjà le relever au
détour de la longue enquête de The Guardian consacrée
aux rivalités de pouvoir entre les réseaux du jeune Ben Salmane et ceux de son
vieux père, une enquête qui a pu se baser, entre autres, sur des propos de
membres de la famille royale soucieuse de faire oublier l’épisode de
l’assassinat de Khashoggi.
Dans l’édition datée du 5 mars, soit moins de
deux semaines après le début du hirak en Algérie, il est fait état des
divergences apparues entre le père et le fils sur la méthode pour répondre aux
deux hirak, algérien et soudanais, notamment autour de «l’approche
intransigeante» du jeune Ben Salmane qui réclamait de «réprimer les
manifestants».
On apprend ainsi qu’au-delà de ses divergences
internes, le pouvoir saoudien est non seulement sur une ligne d’ingérence dans
les deux pays, mais que le débat en son sein se situe déjà et uniquement sur le
seul terrain opérationnel autour du choix de la méthode. Ce qui suppose qu’il
dispose des moyens de son ingérence.
Ceux-ci ne peuvent être que les relais à
l’intérieur des pouvoirs locaux, on n’imagine pas les Saoudiens envisager et
pouvoir débarquer pour réprimer par eux-mêmes les manifestants. Trois mois
après, la répression sanglante menée par les militaires soudanais confirme la stratégie
saoudienne de répression des hiraks, sa mise en pratique par le biais de relais
locaux et l’existence de ces relais réceptifs à ses pressions.
Aussi, la question est posée pour l’Algérie :
quel est son degré de réceptivité aux pressions des Saoudiens et de leurs
alliés émiratis et de quels relais locaux disposent ces derniers.
La question est d’autant plus légitime si on
met en parallèle, d’une part, le durcissement progressif de la répression des
manifestations en Algérie, durcissement annoncé en fait dès leur début par le
chef d’état-major revenu précipitamment d’une visite aux Emirats et qu’il met
en œuvre progressivement et, d’autre part, la rupture d’équilibre de la
politique étrangère algérienne dans le Golfe au profit de l’Arabie Saoudite.
Alors que l’Algérie veillait à ne pas
s’embarquer dans la croisade de l’Arabie Saoudite contre l’Iran avec lequel
elle entretenait des rapports cordiaux et de nombreux projets de coopération,
elle a adoubé le 30 mai à la conférence de la Ligue arabe où la représentait le
chef de gouvernement contesté, un texte final, proposé par l’Arabie Saoudite,
aux tons de guerre à l’Iran.
Ce basculement est d’autant plus significatif
que même du temps de Bouteflika, très proche pourtant des Emiratis auxquels il
était redevable, les équilibres entre les différents centres de pouvoir et
l’effet d’inertie d’une diplomatie héritée de la guerre de Libération avaient
empêché tout alignement sur les Saoudiens.
Est-ce le signe extérieur de prémices d’une
recomposition interne sur le modèle autoritaire émirati ? L’influence émiratie
en Algérie, peu connue du grand public et gérée avec opacité par les cercles du
pouvoir en raison de ce qu’elle recèle d’accommodements douteux, est une des
influences extérieures les plus importantes et les plus efficaces.
Elle a été favorisée par Bouteflika qui a
offert aux Emiratis une pénétration plus large dans les arcanes du pouvoir
algérien où ils se sont constitués de solides relais. Elle s’exerce à
l’intérieur même des rouages étatiques et des secteurs stratégiques comme
l’armée.
Les émirats, main basse sur l’armement algérien
Les Emirats, petit pays confetti ne produisant
aucune technologie, ont ainsi réussi, contre toute logique, à devenir les
fournisseurs obligés pour l’armée algérienne d’armes parmi les plus
sophistiquées et les plus chères, concurrençant miraculeusement les grands pays
industriels et militaires.
Ils sont non seulement devenus un des
principaux fournisseurs de l’armée algérienne, mais ils la fournissent en armes
qu’ils ne produisent pas et que l’Algérie aurait pu tout autant, voire mieux,
acquérir à la source mais qui lui sont libellées au nom de sociétés émiraties
fictivement productrices.
Les Emirats captent ainsi, facilement,
d’énormes dividendes indus aux dépens du Trésor algérien. Mais ils génèrent
surtout, par artifice, une dépendance technologique, politique et militaire à
leur égard lourde de dangers pour l’autonomie du pays et entretenue par leur
force de frappe corruptive.
C’est ainsi que l’armée algérienne a acquis en
2012 deux corvettes Meko fabriquées par le groupe allemand Thyssen Krupp,
précisément sa filière de marine de guerre TKMS (Thyssen Krupp Marine Systems)
pour la coquette somme de de 2,2 milliards d’euros. Sauf que l’acquisition n’a
pas été faite auprès du groupe mais sur le papier auprès de la société émiratie
Abu Dhabi MAR qui s’est positionnée tout simplement en bout de quai et a
facturé la vente sans mettre un boulon dans le produit.
La vente avait été négociée par Angela Merkel
en personne auprès de Bouteflika lors de sa visite en Algérie les 16 et 17
juillet 2008. Elle a mis deux ans, comme cela se passe généralement, pour
devenir une option. Et c’est à ce moment que la société Abu Dhabi MAR, créée
ex-nihilo, va négocier son entrée dans le capital de Thyssen Krupp Marine
Systems et négocier une joint-venture sur le segment des navires militaires de
surface (donc les corvettes).
Elle se «contente» de la vente sur le seul
marché arabe, laissant tout le reste à Thyssen Krupp. Son argument pour
rejoindre la joint-venture ? La garantie de la vente des deux corvettes à
l’Algérie qu’elle met dans la corbeille mais dont elle se réserve la
plus-value.
Une entrée fracassante, sonnante et
trébuchante, donc de Abu Dhabi MAR dans la joint-venture mais qui ne lui coûte
en même temps rien : les 2,2 milliards d’euros de cette vente mais que vont
débourser les Algériens eux-mêmes. Sauf que cette seule vente représente le
double de tout le chiffre d’affaires de TKMS en 2009 qui est de 1,2 milliard.
D’un point de vue juridique, une telle
opération financière est assimilée à un «délit d’initié». Pour cela, il fallait
des complicités au plus haut niveau de l’Etat et de la hiérarchie militaire.
Mais les choses ne s’arrêteront pas là et brasseront des sommes encore plus
considérables.
En même temps que les corvettes, Angela Merkel
avait négocié, dans le même voyage, la construction d’usines de fabrication de
matériels de défense militaire et de véhicules pour l’armée et la police et un
contrat pour la formation d’officiers algériens et la fourniture d’équipements
électroniques pour les gardes-frontières pour 10 milliards d’euros. Sauf que là
aussi, miraculeusement, une fois les choses avancées entre Algériens et
Allemands, les Emiratis viennent s’insérer pour rafler la mise.
Tous les prestataires sont exclusivement de
grandes marques allemandes (Mercedes-Benz, Daimler, Deutz AG et MTU
Friedrichshafen) mais pour mener à bout ces projets, notamment les usines à
Tiaret, Rouiba, Aïn Smara et Khroub, le ministère de la Défense juge utile
d’introduire dans la boucle le fonds émirati «Aabar Investments» au travers de
trois sociétés à capitaux mixtes.
A Khenchela, pour l’usine de fabrication de
pistolets et celle pour la construction d’un véhicule blindé nommé Nimr pour le
transport des troupes, c’est le fonds d’investissement émirati «Tawazun
Holding» qui est introduit.
Les deux figures d’une même pièce : émirats côté
face, France côté pile. Israël en arrière fond
Quelle utilité y avait-il pour l’Algérie de
lier son sort et notamment le sort de son armée et de son armement à un pays
qui ne lui est d’aucun apport technologique et qui joue un rôle régional
trouble et déstabilisateur et le plus souvent contraire aux intérêts algériens
comme on le constate en Libye, mais aussi en Tunisie et au Maroc ?
Ces associations avec les Emiratis se sont
faites à un moment où l’Algérie regorgeait de capitaux et de toute façon, comme
pour les corvettes, il n’y avait pas véritablement d’apport en capitaux de la
part des Emiratis mais une anticipation sur leurs gains futurs.
La seule utilité de cette introduction des
Emiratis c’est de couvrir un système de commissions et de rétrocommissions qui
n’aurait pas été réalisable avec les entreprises allemandes directement,
celles-ci étant contraintes par une législation très sourcilleuse sur la
corruption dans les marchés.
Les Emirats, devenus le coffre-fort des
oligarques algériens, offraient le service de couvrir ces pratiques. Mais ce
faisant, pour couvrir ces opérations frauduleuses, on a fait rentrer le loup
émirati dans la bergerie Algérie et même dans le refuge du berger, l’armée. Le
bénéfice ainsi concédé aux Emiratis est fabuleux.
Le seul prix des deux corvettes représente une
somme largement supérieure à tout le PIB actuel d’un pays comme la République
centrafricaine et l’équivalent de la moitié du PIB de l’Algérie en 1970,
largement productrice alors de pétrole avant sa nationalisation. D’ailleurs,
cette somme hors norme intrigue alors que les nouvelles frégates également
multimissions coûtent trois fois moins cher.
Quant à la somme pour l’ensemble des contrats,
10 milliards d’euros, soit 5 fois plus, elle représente l’équivalent du budget
annuel de l’armée algérienne et elle fait de l’Algérie officiellement le
premier client à l’exportation de l’industrie de l’armement allemande.
Cette diversification vers l’Allemagne aurait
pu être un élément à la fois de modernisation et de consolidation de
l’indépendance de l’armée algérienne.
Sauf que non seulement il lie le sort de
l’armée algérienne à un pays qui, du Yémen à la Libye, multiplie les ingérences
déstabilisatrices aventureuses, mais surtout les Emirats ne sont qu’une
devanture d’autres puissances, en l’occurrence ici, de la France. Qui se cache
en effet derrière la société émiratie Abu Dhabi MAR ?
D’abord, son patron Iskander Safa est un
Français. Et puis, Iskander Safa fait partie de cette élite de Français
d’origine libanaise qui sont devenus les nouvelles têtes de pont de la
«Françafrique» et de ce qu’on pourrait appeler la «Françarabie».
De Ziad Takieddine à Imad Lahoud, ce sont
souvent eux qui mettent les mains dans le cambouis là où la France officielle
se bouche le nez. Mais surtout Iskander est le patron français du groupe
français les Constructions mécaniques de Normandie (CMN) spécialisé…
Dans les bâtiments militaires ! Et à ce titre
fictivement «concurrent» de Abu Dhabi MAR, les deux sont en fait réunis dans la
même puissante holding Privinvest et font de Abu Dhabi MAR le masque arabe
commode à destination des «indigènes».
Mais plus que tout cela, Iskander est aussi
connu publiquement pour ses liens privilégiés avec Israël et notamment le rôle
de ses sociétés dans la sous-traitance de la flotte sous-marine israélienne.
Pour ces raisons, Iskander est écarté de l’approvisionnement de l’armée au
Liban où son président, le chrétien Aoun, qui le qualifie d’agent israélien, le
considère comme une menace pour la sécurité libanaise. L’Algérie lui confie sa
sécurité.
Ce sont ces acteurs que leurs relais
médiatiques locaux, comme Echorouk, pour
mieux les vendre, présentent en mettant en avant leur identité «arabe» qui
ferait barrage à l’influence française.
On voit ainsi quelle influence réelle sert le
discours démagogique sur l’identité «arabe». Les 20 ans de règne de Bouteflika
nous ont appris que l’affichage patriotique sert toujours de couverture à la
prédation et que ceux qui insultent haut et fort la France pour la galerie sont
ceux qui s’en servent et la servent le plus.
Saadani avec son appartement et sa carte de
séjour à Neuilly et qui aboyait chaque semaine contre la France, le ministre
des Moudjahidine Cherif Abbès insultant directement le président français et
terminant avec une retraite dorée à Lyon, Bouteflika insultant la même semaine
la France et allant se soigner chez ses militaires ont rabaissé le discours
patriotique à un vulgaire écran de fumée pour mieux piller le pays. Que cherche
à cacher le discours anti-berbère du chef d’état-major ?
Avertissement. Cette
contribution est basée uniquement sur des sources ouvertes (y compris celle de
l’Etat algérien et de l’armée) accessibles à tous. Nous n’avons fait que les
exploiter en recoupant les éléments et en cherchant derrière les façades les
identités réelles, toujours en puisant dans leurs propres sources.