VIE POLITIQUE- PERSONNALITES-
ABBAS FERHAT
(c) Par
Nassim Abbas, neveu de Ferhat Abbas.in Le Soir d’Algérie, mardi 3 septembre
2019.Extraits
Personnalité en vue du mouvement national et modèle républicain,
cette grande figure de l’histoire de l’Algérie contemporaine nous lègue des
idées et des valeurs d’un humaniste d’une grande sincérité et d’un esprit de
grande envergure. Celles-ci constituent par ailleurs l’hommage à la terre qui
l’a vu naître et à ses illustres aïeux qui lui ont légué des racines et des
ailes. Pour rappel, Ferhat Abbas est originaire du aârch
de Bouhamdoune, commune de Tassoust ; sa famille, les Bendaoui, appartient à la
tribu des Béni Amrane dont les terres sont situées dans la plaine de Tassoust,
à l’est de la ville de Jijel. Il fréquenta le lycée Luciani de Skikda, ex-
Philippeville, puis la Fac d’Alger où il obtint son doctorat en pharmacie. Il
s’installa en tant que pharmacien à Sétif et représenta la ville comme
conseiller général, puis conseiller municipal, ensuite membre des Délégations
financières (qui font office d’Assemblée algérienne) pendant la colonisation et
comme député de Sétif et président de l’Assemblée législative constituante
jusqu’à sa démission en août 1963.
Il a grandi dans le respect absolu de la foi de ses ancêtres, des coutumes de
son pays natal, profondément enraciné dans les valeurs de sa famille, il a su à
merveille incarner l’Algérien authentique et moderne.
1899. Le XIXe siècle a vu naître Ferhat Abbas. Le 24 août à Chahna – Taher
(Djidjelli). Ce siècle prit fin à la fin de la grande guerre de 14/18, début de
l’entrée en politique du jeune étudiant Ferhat Abbas. Ce dernier a traversé
pratiquement tout le XXe siècle et ses soubresauts. Il a observé, analysé,
interprété, contesté en passant de citoyen à spectateur et d’acteur à
résistant, puis à combattant. En acquérant le savoir et les outils d’évaluation
permanente imposés par la modernité, il a pu mesurer les perspectives sur la
nature du colonialisme puis du pouvoir personnel et du totalitarisme sous
quelques formes que ce soit. Il sut également conserver jusqu’au bout
l’enthousiasme premier du militant qu’il ne cessa jamais d’être, dénonçant avec
la même vigueur l’arbitraire, l’autoritarisme et le sort injuste qui était fait
à son peuple et à son pays. De là est né son rejet total de l’oppression et de
la violence mais surtout son adhésion aux valeurs des droits de l’homme, de la
liberté et de la démocratie. Cette position fut la sienne durant les sombres
années de la colonisation et également tout au long de celles qu’il vécut après
l’indépendance......................................................
Déjà en 1931, Maurice Violette, futur gouverneur général de l’Algérie,
responsable des Cahiers des droits de l’homme, était impressionné par «la
cinglante réponse de Ferhat Abbas aux déclarations de Louis Bertrand qui
recommande aux musulmans la naturalisation, seule voie pour exprimer leurs
droits électoraux». Ferhat Abbas lui répliqua en ces termes : «Voilà ce bon
néo-Français dont les aïeux ne se sont arrêtés en Algérie que parce qu’ils y
étaient moins persécutés que partout ailleurs, le voici qu’il s’empare de
l’étendard de Jeanne d’Arc pour nous défendre l’accès du Parlement français. Et
il nous indique pour y rentrer la petite porte : la naturalisation.
Souvenons-nous que cette naturalisation a existé pour lui de 1863 à 1871.
Qu’a-t-elle donné ? Rien. C’est pour cette raison qu’il nous la conseille à son
tour.»
Qui mieux que Jean Lacouture pour avoir résumé la carrière politique de Ferhat
Abbas. Ce journaliste-historien engagé qui avait déjà dressé le portrait de
l’homme du Manifeste dans son livre Cinq hommes et la France (paru aux éditions
du Seuil) aux côtés de Mohammed V, Bourguiba, Ho Chi Minh et Sékou Touré
reparla à la fin de sa vie, toujours avec tendresse, de l’homme.
Ferhat Abbas, disait-il, «n’est pas un homme de guerre, il symbolisait toutes
les tentatives d’évolution pacifique».
Il ajouta : «Qui a connu cet homme généreux sait que le patriotisme algérien
porte en lui une part de la culture française.» Il constata que «Ferhat Abbas
est une des expressions de l’homme algérien qui est pour quelque chose,
héritier des lumières, des soldats de l’an II, de Victor Hugo comme de la
renaissance du monde arabe. Etudiant, il signait Kamel Abencerage, ce
pseudonyme savoureux résumait à lui seul son programme : le kémalisme et
Chateaubriand»!...............................................................................................................
Son rôle au sein de la grande Fédération des élus du Nord-Constantinois, sous
la présidence du Dr Bendjelloul, et sa place au sein du Congrès musulman puis
la création de partis politiques tels que l’UPA, les AML ou l’UDMA aux côtés
d’hommes exceptionnels tels que maîtres Sator, Kessous, Boumendjel Ali et
Ahmed, Benabdelmoumene Ali, Ahmed Yahia, Mostefaï ou des docteurs Saâdane,
Francis, Benabid, Benbouali, Benkhelil, Bousdira, Sabeur, Aït Si Ahmed, de pharmaciens
comme Ounoughene de Tizi Ouzou, Djemam Mohamed El Hadi de Djidjelli et Abbas
Allaoua de Constantine, de normaliens à l’image de Mohamed Tahar Lounis de
Djidjelli, cheikh Zammouchi de Aïn Beïda, Messaï de Sétif, Mahdad, Allal et
Rahal de Tlemcen, ou encore de militants humbles aux hautes valeurs morales à
l’instar de Mahmoud Hakimi, Si Amar Guemache, Boureghda, Hadj Mokhtar Boussaâd
des Ouacifs, Sahli Hachemi et Hadj Ali de Sidi Aïch, Abdelkader Dhob, Bensalem
de Laghouat, Adda de Bel-Abbès, Boutarene, Abdelkader Hattab, Boukadoum, Bey
Lagoun, Hadj Tahar Yousfi ou Ali Al Hammami, de jeunes loups encadrant les
JUDMA tels Kaïd Ahmed, Layachi Yaker, Ahmed Hasnaoui ou Ali Maâchi ainsi que de
nombreux militants qui mériteraient tous d’être cités… ayant l’intime
conviction que les populations qui souffrent, soumises, n’ont pas entamé leurs
mises en marche vers la modernité avec une remise en cause de leur perception
du monde. L’offre politique est de dire «faire partir l’envahisseur et tout ira
bien»................................................................
Président de l’Amicale des
étudiants musulmans d’Afrique du Nord (AEMAN) dès les années 1920, il élabore
des réponses à ce monde pour ne pas le subir. L’assimilation politique,
c'est-à-dire l’égalité des droits et des devoirs, rentrera dans ce cadre.........................................................
N’a-t-il pas combattu en 1963 puis en 1976, après l’indépendance, le système
inique, prédateur et sclérosé qu’il qualifia, à juste titre, «d’indépendance
confisquée». Car aussi bien «la révolution» que l’indépendance était plus qu’un
«code», mieux qu’un «nedham», comme certains le laissent supposer, pour Ferhat
Abbas il s’agit d’une épopée !.....................................................
Ferhat Abbas a toujours mis l’accent sur le rôle de l’éducation dans
l’émancipation du peuple algérien. Du Jeune Algérien à Demain se lèvera le jour
(1922-1985), l’éducation et la pédagogie en politique sont, en effet,
appréhendées chez Ferhat Abbas comme de puissants leviers d’émancipation de
notre peuple. Qu’en est-il, en effet, de la jeunesse, de la science, de la
connaissance, de l’éducation, de la démocratie, du savoir, de la modernité qui sont des thèmes centraux de son combat ?
Les pamphlets et textes fondamentaux laissés à la postérité par Ferhat Abbas
–La France c’est Moi, Lettre à la jeunesse française et musulmane, communément
connu comme Mon Testament politique, Le Manifeste du peuple algérien, Rapport
au Maréchal Pétain, J’accuse l’Europe, la lettre de démission de l’Assemblée en
1963, l’appel au peuple algérien de 1976 contre une charte octroyée et le
pouvoir personnel — ainsi que les ouvrages écrits — Le jeune Algérien, La nuit
coloniale, Autopsie d’une guerre, L’indépendance confisquée et le sang trahi
des chouhada ou, celui posthume, Le jour se lèvera — sont le témoignage du
regard lucide qu’il a continué à poser, jusqu’à la fin de sa vie, sur les défis
d’un siècle lui aussi finissant..........................................................Certains
ont depuis lors fait mea-culpa, d’autres restèrent recroquevillés dans leur
petitesse, indigence et vanité. Sa réponse est prémonitoire : «Oui, leur
dit-il, je suis bourgeois, possédant de biens matériels par la sueur, l’effort
et le travail, mais viendra le jour où en Algérie apparaîtra une caste
bourgeoise à l’esprit possédant.»....................
(Voir, aussi, texte in HISTOIRE- PERSONNALITES)