ENERGIE (ET MINES) – INFORMATIONS PRATIQUES-
TERRES RARES
La guerre commerciale entre les États-Unis et
la Chine a pris un nouveau tournant ce mois de mai : les entreprises
américaines vont cesser de fournir leurs technologies au géant chinois Huawei. En réponse, la Chine pourrait priver les USA de ses
terres rares, matières premières indispensables aux nouvelles industries
technologiques. En assurant 71% de la production mondiale de ces métaux
stratégiques, la Chine tient là un moyen de pression sur son rival américain…
Sauf que l’Afrique dispose également de grandes réserves de terres rares,
jusqu’à ce jour très peu exploitées. Le Gabon, le Burundi, Madagascar,
l’Afrique du Sud, la Namibie, la Tanzanie ou encore le Malawi sont-ils prêts à
s’attaquer au monopole chinois ?
Les terres rares, c’est quoi ?
Les terres rares sont un groupe de 17 éléments chimiquement
apparentés sous forme minérale, notamment le scandium, l’yttrium et les quinze
lanthanides (y compris le néodyme et le praséodyme). Ces métaux ont des
propriétés magnétiques et optiques utiles et prisées par plusieurs secteurs. Ils
sont ainsi utilisés dans des fabrications de haute technologie, dans les
voitures électriques et hybrides (pour alléger les batteries et composants des
moteurs), les panneaux photovoltaïques et les éoliennes. On les retrouve
également dans les puces de smartphones, les écrans
d’ordinateurs portables, les tableaux d’affichage des stades, la robotique,
l’aéronautique, les lasers médicaux. L’industrie de la défense les utilise pour
fabriquer des capteurs de radars ou sonars, mais également des systèmes d’armes
et de ciblage.
Un coût environnemental élevé que paie
surtout la Chine
Les terres rares ne sont pas aussi rares que le laisse penser
leur nom. Elles sont même assez répandues, comme certains métaux de base. Par
exemple, le cérium est aussi répandu dans l'écorce terrestre que d'autres
métaux plus usuels comme le cuivre. Mais ils sont généralement mélangés à
d’autres minéraux, ce qui rend leur extraction et leur raffinage coûteux,
surtout lorsque les normes environnementales doivent être respectées.
Selon le Bureau de recherches géologiques et minières, la Chine
détient environ 47% des réserves mondiales de terres rares. La Russie, le
Groenland, le Canada, le Vietnam, les Etats-Unis et plusieurs pays d’Afrique
sont riches en terres rares. Mais le Brésil et la Russie n’exploitent pas leurs
réserves à cause des risques de rejet de quantités considérables de produits
toxiques et radioactifs.
En plus de détenir les plus grandes réserves de terres rares, la
Chine en est également le premier producteur. D’après les données de l’US Geological Survey, l’empire du Milieu aurait produit en
2018, 120 000 tonnes, soit 71% de la production mondiale, loin devant des
pays comme l’Australie (20 000 t) ou les États-Unis (15 000 t).
Toutefois, il faut noter que l'influence de la Chine sur le
marché des terres rares est relativement récente. Entre les années 1960 et
1980, la majeure partie de l'approvisionnement mondial était produite en
Amérique, à partir de la mine Mountain Pass en Californie.
L'usine de traitement de la mine a été fermée en 1998
après des problèmes d'évacuation des eaux usées toxiques. Ce n'est qu'à partir
des années 1990 que la Chine a pris en charge l'essentiel de la production,
ainsi que les coûts environnementaux qui y sont associés.
De l’importance des terres rares dans
la guerre commerciale…
Depuis la décision de Washington de placer Huawei
sur une liste noire, une réponse de la Chine était attendue. Dans un entretien
accordé au Financial Times, à Londres, Ryan Castilloux,
directeur d’Adamas Intelligence, une firme
spécialisée dans les terres rares, a indiqué que la récente visite du président
chinois à l’industrie des terres rares n’a rien d’un hasard. «Cette visite
indique que les Chinois savent non seulement que les terres rares sont importantes
pour les industries américaines de haute technologie, mais aussi pour le
secteur de la défense», a-t-il déclaré.
Pour les plus alarmistes, Pékin pourrait aller jusqu’à
couper l’approvisionnement des terres rares aux États-Unis. Si une telle approche
parait extrême, elle n’est pourtant pas invraisemblable. En 2010, en
représailles à un différend territorial, la Chine n’a pas hésité à interrompre
les exportations de terres rares vers le Japon. Les entreprises de haute
technologie nippones, alors très dépendantes du voisin chinois, avaient été
durement touchées.
En outre, pour «protéger ses ressources menacées
d'épuisement», la Chine avait instauré des quotas d'exportation.
Les États-Unis, l'Union européenne et le Japon, accusant Pékin de profiter de sa
mainmise sur l’industrie, ont porté l'affaire devant l'Organisation mondiale du
commerce (OMC), qui leur a donné raison en 2015. «On
ne peut exclure que la Chine mette le même type de pression sur les États-Unis
en invoquant des problèmes environnementaux», déclare Kokichiro Mio, un spécialiste de
la Chine à l’institut de recherche NLI au Japon.
Juste un moyen de pression ?
Pour plusieurs analystes, limiter ou couper complètement les
exportations chinoises de terres rares aux États-Unis serait une arme à double
tranchant pour la Chine. Selon RBC Marché des Capitaux, une telle décision
pourrait favoriser le démarrage de nouvelles productions de terres rares dans
d'autres pays, brisant ainsi la mainmise de la Chine sur le marché mondial.
Le processus de séparation des terres rares
est complexe et très polluant.
«Si la Chine augmente les prix pour les États-Unis ou
l'exclut complètement, elle ne fera qu’accélérer le développement rapide de
sources alternatives», a déclaré RBC dans une note reprise par Reuters.
Du même avis, Tim Worstall, ancien
négociant en terres rares interviewé par le journal The Verge pense que «si
Pékin interrompt vraiment l’approvisionnement, il y aura des problèmes à court
terme, mais résolubles».
En effet, le problème avec les terres n’est pas leur
disponibilité, ni leur extraction du sol, mais le long et coûteux processus que
nécessite leur séparation. Ce processus implique une série de bains d'acide et
des doses malsaines de radiations. C'est l'une des raisons pour lesquelles des
pays comme les États-Unis ont été plus ou moins heureux de céder la production
de terres rares à la Chine.
«Il est
peu probable que vous ne puissiez pas acheter votre prochain smartphone en raison de quelques microgrammes d'yttrium qui
manquent. Je ne pense pas que ça arrivera un jour. Cela ne semble tout
simplement pas plausible»,
a déclaré Eugène Gholz, expert en terres rares et
professeur agrégé de sciences politiques à l'Université Notre Dame.
Ainsi des pays comme le Brésil, le Vietnam, la Russie, l’Inde,
l’Australie pourraient être les premiers à tirer profit de cette guerre
commerciale, pour peu qu’ils acceptent d’assumer les risques environnementaux.
L’Afrique en recours
En cas d’interruption des approvisionnements chinois, l’autre
alternative «non négligeable»pour les géants de la
technologie américains et de l’Occident pourrait être l’Afrique, qui dispose de
grandes réserves de terres rares. Toutefois, il a fallu attendre fin 2017 pour
voir la première mine de terres rares du continent entrer en production. Il
s’agit de la mine Gakara, opérée au Burundi par la
compagnie minière Rainbow Rare Eath
(RRE). Jouissant actuellement du statut d’unique producteur de terres rares
d’Afrique, RRE, qui ambitionne de devenir «un
fournisseur stratégique clé pour le marché mondial des terres rares» est
également l’un des rares producteurs en dehors de la Chine.
La mine Gakara,
opérée au Burundi.
En dehors du Burundi, d’autres pays africains pourraient
commencer la production de terres rares d’ici quelques années. Au Malawi, la
société canadienne Mkango Resources
prévoit de démarrer l’exploitation de son projet Songwe
Hill en 2020. La mine héberge selon les estimations pas moins de 21 millions de
tonnes de ressources mesurées et indiquées. D’autres compagnies comme les
Australiens Globe Metals & Mining
et Lynas Corporation ou encore Lindian
Resources, sont présents sur des projets
d’exploration dans le pays.
Cotée à la bourse TSX-V, Namibia Critical Metals se focalise sur
le développement de son projet de terres rares Lofdal,
et la construction d’un important portefeuille de métaux en Namibie. La
compagnie détient actuellement dans le pays, un portefeuille de huit projets
comprenant 16 licences de prospections exclusives, avec une superficie totale
de 6850 km².
La mine sud africaine Steenkampskraal
veut saisir l’opportunité.
Citons également la mine sud-africaine Steenkampskraal,
qui contiendrait d’importantes réserves de terres rares. Fermée depuis 1963,
elle devrait prochainement rouvrir, une fois débarassée
des déchet radioactifs qu’elle abrite.
D’autres pays comme le Gabon, l’Afrique du Sud, la Tanzanie ou
encore Madagascar, possèdent de grandes ressources de terres rares actuellement
en cours d’exploration par des compagnies étrangères. Reste à savoir si ces
pays seront disposés à supporter le coût environnemental de cette industrie
insalubre.