VIE POLITIQUE- OPINIONS ET POINTS
DE VUE - AMMAR BELHIMER/LE SOIR D’ALGERIE
Seul le dialogue
(c) Ammar Belhimer/Le
Soir d’Algérie, Chronique « A fonds perdus », mardi 13 août
2019
Pour Jürgen Habermas, « les crises
naissent lorsque la structure d'un système social affronté à un problème admet
moins de possibilités de solutions que le système n'en réclame pour se
maintenir ».
Cette règle illustre parfaitement le contexte algérien formaté par quatre
mandats d’exercice d’un présidentialisme outrancier qui a ravagé tous les
autres pouvoirs et contre-pouvoirs.
La mission de médiation est d’autant plus difficile que nous assistons,
notamment depuis 2012, à une érosion des espaces de débats.
Le cadre juridique de la médiation sociale est alors contraignant.
Tour de vis s’agissant des modalités de constitution, la loi introduit
plusieurs systèmes, entre autres, un régime préventif et deux autres
intermédiaires.
Tour de vis s’agissant des financements et des activités de l’association.
Tour de vis dans la surveillance des activités des associations concernant,
tout aussi bien, le statut, le fonctionnement quotidien, que les relations des
associations avec autrui - des sanctions, parfois très lourdes, frappent les
contrevenants à la loi.
Ces contraintes, associées au préalable de la mise en conformité, favorisent
les associations de collaboration et d’allégeance, de très loin majoritaires.
Conclusion : des dizaines de milliers d’associations, mais toujours pas de
société civile. Au moment où, partout ailleurs, celle-ci est érigée en moteur
pour la démocratie participative.
La médiation politique, assumée par les partis, les personnalités et autres
autorités, est, elle aussi, déficiente.
Notre pays présente une première particularité tenant à la discontinuité de
l’Etat.
Jusqu’en 1954-1955, le nationalisme algérien était porté par trois courants
organisés : le réformisme laïque (Union démocratique du Manifeste Algérie,
UDMA), le réformisme musulman (Ulémas, 1931) et le populisme (Etoile
nord-africaine 1926-1937, Parti du peuple algérien 1937-1947 et MTLD
1947-1954).
La fragmentation sociale et la dispersion du mouvement national nourriront la
crise de légitimité qui affectera le nouvel Etat à l’indépendance.
D’où la prééminence de la « légitimité révolutionnaire » sur la « légitimité
rationnelle » et une sorte de constitutionnalité et d’un système dans lequel le
FLN, parti unique, apparaît comme une caution passive de l’appareil d’Etat. On
parlera, à juste titre, de constitutionnalisme de façade, au mieux de «
constitutionnalisme de crise » ou « de circonstance ».
La médiation politique a été altérée par la violence : le maquis procédurier
qui enserre la mise en œuvre de la loi organique 07-09 du 6 mars 1997 confère à
l’administration du ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales des
pouvoirs exorbitants.
Les complications pratiques limitent la liberté de constitution des partis dès
la phase de leur déclaration et ce, en dépit de la possibilité de recours
judiciaire contre l’acte de refus administratif.
L’encadrement administratif de la vie politique n’est plus productif. Il en
résultera des excroissances dépourvues de programmes et, surtout, de moyens de
communication et de présence dans la société.
L’érosion de la médiation politique est illustrée, entre autres, par la
prégnance du discours national-populiste et les appréhensions à l’endroit de
l’institution partisane.
Si les partis politiques sont le premier levier de la médiation politique qui
vient à l’esprit, leur évolution récente atteste de leur érosion continue dans
la production de la médiation.
Outre les conflits de perception, doit-on incriminer la fin des partis de
masse, l’émergence de partis attrape-tout, ou la complexité accrue des
responsabilités gouvernementales, pour identifier la source du sentiment
d’insatisfaction ? D’autant plus que ce désalignement rampant n’est le monopole
d’aucun système de partisan en particulier.
Une seule alternative alors : le dialogue.
L’érosion des espaces de médiation est tempérée par le recours récurrent au
dialogue dans la gestion des conflits internes. Ces conflits sont consécutifs à
l’effondrement du système totalitaire, de parti unique et à la réparation des
dommages générés par les vagues intégristes destructrices d’obédience
principalement — et pas seulement – wahhabite.
A l’expérience, la parenthèse algérienne tient des deux cas de figure sans
précédent : une violence socio-économique, sur fond de prédation rentière,
accompagnant la transition d’un régime totalitaire, de parti unique, vers une
économie où prédomine l’informel, associée à l’avènement d’un terrorisme
islamiste d’essence interne et externe.
Les forces en présence dans notre pays recourent toujours à des logiques
d’appareils et non à des armistices sociaux de peur partagée de se soumettre au
jugement souverain du peuple par les urnes.
On s’autorisera à avancer ici que ces compromis sont d’autant plus boiteux
qu’ils ne sont pas négociés mais résultent d’échanges de coups.
Théoriquement, les compromis assurent l’extinction des confits entre
adversaires qui, après affrontement, acceptent, au moins pour un temps, les
bases d’une coopération ; les conditions venant à changer, les luttes
reprennent.
Les conquêtes politiques et sociales sur lesquelles reposent les sociétés
démocratiques n’ont pas d’autre origine. Si elles sont jugées ainsi c’est parce
qu’en grande partie, elles ont rendu les violences moins fréquentes et moins
meurtrières, substituant aux échanges de coups les épreuves de force. Les
conditions dans lesquelles ces épreuves se distinguent de la violence
consistent en luttes pacifiques prolongées.
Aussi, les chances de progrès et de civilisation ne résident pas dans la
suppression des confits par des moyens extérieurs ou factices mais dans la mise
en œuvre de conditions favorables à l’éclosion de la fécondité des conflits
appréciées par tous les partenaires.
La sagesse nous conduit ainsi au bord du dialogue bien compris, c'est-à-dire de
l’échange libre en vie d’approximations de valeurs telles que liberté et
justice.
S’il est souvent très instructif de se voir dans le regard d’autrui, de celui
qui a réussi sa transition vers le développement, méditons cette conclusion du
rapport du Korea Development
Institute de Corée du Sud, « Mise en place de la Vision nationale de l’Algérie
2030 », publié en 2013 :
« Il existe trois principaux points sur lesquels une comparaison entre la Corée
et l’Algérie pourrait avoir lieu.
« Tout d’abord, la Corée a établi la stratégie de « sélection et concentration
» et a réussi (…). Deuxièmement, la Corée a utilisé efficacement les politiques
d’ «étape par étape ». Lorsqu’une étape a réussi et jugé que la base a atteint
un certain degré alors la prochaine étape était lancée. C’est à cette condition
que la Corée sélectionnait efficacement le moment de transition à l’étape
suivante. Le passage à la prochaine étape est souvent accompagné par diverses
résistances et souffrance, mais la Corée a établi des politiques afin que les
gens puissent les comprendre et les respecter et obtenu des succès à travers le
soutien et la promotion de ces politiques afin que le changement puisse être
accepté par le peuple. Troisièmement, c’est la « stabilité politique ». Il n’y
avait pas de guerre au cours de la période de développement économique, ainsi
que peu de conflits politiques entre les groupes d’élite. Une création d’une
atmosphère sociale pour atteindre le même objectif en se basant sur la
stabilité politique a agi comme fer de lance pour réaliser la croissance
économique continue. »
Dit autrement : nous avons besoin d’une vision d’ensemble éclairant un parcours
graduel assis sur une matrice démocratique large et profonde.