VIE
POLITIQUE – DOCUMENTS POLITIQUES- PANEL- ENTRETIEN AMMAR BELHIMMER
Enseignant
de droit à l’université d’Alger et journaliste-chroniqueur, Ammar Belhimer est
le président de la Commission politique du Panel pour le dialogue et la
médiation .
Ce Panel
entame ce mercredi 7 août ses consultations avec les représentants des partis
politiques, des associations, des syndicats et des citoyens en vue de réunir la
conférence nationale qui doit élaborer les textes régissant l’instance de
surveillance et de contrôle de l’élection présidentielle.
Ammar Belhimmer revient dans l’entretien
qu’il a accordé à Saïd Boucetta dans l'Expression, sur le la mission du Panel, mercredi 7 août 2019)
L’expression : L’Instance nationale de
dialogue et de médiation, a, comme son intitulé l’indique, une mission de
dialogue et de médiation, mais quelle pourrait être sa définition politique
compte tenu des circonstances de sa naissance ?
Ammar Belhimer : Le Panel est une
structure dédiée à la médiation en vue d’un dialogue devant conduire les
acteurs civils et politiques à sortir du vide institutionnel ouvert par la
démission du président sortant.
C’est une structure ad hoc, donc provisoire, qui
active le temps d’une mission; elle est indépendante et plurielle - à ce titre,
elle s’appuie sur l’engagement bénévole et résolu de personnalités en vue de la
société civile - et n’a pas d’autre ambition que de réunir le consensus requis
pour une élection présidentielle qui réunisse toutes les garanties de
transparence et d’intégrité.
Le Panel n’a pas vocation à être le porte-parole d’une
institution civile ou militaire, de partis ou d’associations ; de même qu’il ne
prétend ni représenter le Mouvement populaire né de l’opposition résolue au 5e
mandat du président déchu ni parler en son nom ; avec le Hirak, il partage les
revendications fondamentales de protection des droits et des libertés
individuelles et collectives et des garanties requises pour un scrutin
crédible.
Et pour répondre à votre question, je dirais que le
Panel aspire à l’unité des forces patriotiques et démocratiques pour qu’éclose
le génie libérateur du peuple algérien au service de l’édification d’un Etat de
droit assis sur une économie sociale de marché qui consacre le mérite tout en
protégeant les plus démunis.
Mais entre afficher des intentions et
les réaliser, il y a du chemin à faire. Quel est, à ce propos, l’état d’esprit
des membres de ce Panel ?
Les membres du Panel sont conscients des limites de
leur action, dans un contexte critique, voire cataclysmique, porteur de toutes
les menaces sur les institutions, l’ordre et la stabilité, l’intégrité et la
souveraineté nationales. La mission de médiation est d’autant plus difficile
que nous assistons, depuis 2012, à une érosion des espaces de débats. Cela
m’amène à évoquer les aspects problématiques de la situation que vit le pays.
Le fait est que c’est dommage qu’on ait fait le vide
sur ce terrain car la médiation fait partie du nouveau paradigme de la
régulation sociale. L’étendue et la force de la médiation sociale est
tributaire de l’état de la société civile. Les trois étapes du processus qui mènent
à la formation de la société civile sont l’existence d’associations libres (la
condition juridique), la formation d’un mouvement associatif (condition
sociale) et l’émergence d’une société civile (condition politique). Or, force
est de constater que le cadre juridique de la médiation sociale est
inefficient.
Au libéralisme confirmé par la loi de 1990 succède le
tour de vis de 2012. Le nouveau cadre d’exercice de l’action associative est la
loi n°12-06 du /12/01/2012 relative aux associations.
On s’attendait à ce que la levée de l’état d’urgence,
se répercute avec force sur la nouvelle loi, il exprimera au contraire un tour
de vis sur les associations. D’où tous les travers vécus depuis ce fâcheux
tournant qui s’est matérialisé par la désignation qui prévaudra sur le
suffrage, l’absence de contre-pouvoirs, le libre cours à l’arbitraire et autres
dépassements et atteintes aux droits de l’homme, et le risque d’atomisation de
la société sur des bases sectaires, ethniques, et autres.
Votre constat est très juste, mais la
loi que vous citez n’a pas de prise sur les partis politiques, dont la mission
est justement de faire la jonction entre la société et les gouvernants.
Justement, même cette médiation politique que vous
évoquez et qui est assumée par les partis, les personnalités et autres
autorités, est elle aussi déficiente. L’érosion de la médiation politique est
illustrée par la prégnance du discours national-populiste et les appréhensions
à l’endroit de l’institution partisane.
Si les partis politiques sont le premier levier de la
médiation politique qui vient à l’esprit, leur évolution récente atteste de
leur érosion continue dans la production de la médiation. Un sondage de
l’association Rassemblement actions jeunesse (RAJ), réalisé juste après les
élections législatives du 4 mai 2017, entre le 25 mai et le 15 juin, sur un
échantillon de 1462 jeunes âgés entre 18 et 35 ans, à travers 41 wilayas,
révèle de façon inquiétante la désaffection de la jeunesse de la pratique de la
politique.
Les résultats de ce sondage donnent une participation
quasiment nulle des jeunes à la vie politique : seulement 1% parmi les sondés
se déclarent adhérents à un parti politique et 3% à avoir déjà participé à une
activité partisane.
Pour ce qui est des syndicats, les jeunes sont 0,2% à
affirmer avoir adhéré à une organisation syndicale alors que s’agissant du
mouvement associatif le taux des jeunes adhérents est estimé à 2,5%. Ceci quand
bien même, les jeunes sondés auraient majoritairement une opinion plutôt
positive sur les associations, avec un taux de 62% contre 12% à se faire une
opinion négative, et les syndicats avec 39% d’opinions positives contre 26,3%
des jeunes à penser négativement sur le travail syndical. Ce qui est loin
d’être cas vis-à-vis du politique : ils sont plus de 43% à avoir une opinion
négative sur les partis politiques alors que 30% des sondés n’ont pas souhaité
rendre une réponse, manière, on ne peut mieux, de justifier leur désintérêt
total de la vie politique du pays.
A travers le tableau que vous dépeignez,
il reste une très faible marge à la médiation. Comment votre Panel peut-il
colmater toutes ces brèches dans l’édifice social et politique du pays ?
L’absence de leviers est tempérée par le recours
récurrent au dialogue dans la gestion des conflits internes. Ces conflits sont
consécutifs à l’effondrement du système totalitaire, de parti unique et à la
réparation des dommages générés par les vagues intégristes destructrices
d’obédience principalement — et pas seulement – wahhabite.
A l’expérience, la parenthèse algérienne tient des
deux cas de figure précédents : une violence accompagnant la transition d’un
régime totalitaire, de parti unique, vers une économie sociale de marché,
associée à l’avènement d’un terrorisme islamiste d’essence interne et externe.
Tout compte fait, nous sommes toujours dans
«l’apprentissage démocratique» du vivre ensemble, requis pour une sortie
définitive du totalitarisme quelle que soit son inspiration. Cet
«apprentissage» aurait pu se faire «dans la peur» du lendemain (les islamistes
accédant au pouvoir pour installer une dictature théocratique indécrottable).
Ce risque a été jugé inacceptable.
«L’apprentissage» s’est alors fait «dans la douleur» (l’approche sécuritaire
ayant prévalu, sans toutefois élaguer complètement la caution judiciaire).
Le Panel pour le dialogue et la médiation entame ce
mercredi 7 août ses consultations avec les représentants des partis politiques,
des associations, des syndicats et des citoyens en vue de réunir la conférence
nationale qui doit élaborer les textes régissant l’instance de surveillance et
de contrôle de l’élection présidentielle.
L’institution militaire demeurera fidèle à ses positions
constantes qui consistent à veiller à la préservation de l’intérêt suprême de
la patrie.