COMMUNICATION-
OPINIONS ET POINTS DE VUE - JOURNALISME PROFESSIONNEL- CHENIKI AHMED
(c) Cheniki Ahmed,
universitaire (Annaba), in facebook, mercredi 17
juillet 2019
Peut-on parler de journalisme « professionnel »
en Algérie ?
Un journaliste américain qui avait effectué, il y a quelques années en Algérie,
a, dans un entretien, insisté sur des éléments essentiels dans la pratique
journalistique : responsabilité, service public, vérité, éthique journalistique
et techniques rédactionnelles.
Il est des termes qui se conjuguent tellement à des réalités abstraites qu’ils
perdent ainsi leur sens. La notion de liberté reste marquée par des équivoques
et des glissements sémantiques et lexicaux très sérieux. Souvent, on entend des
journalistes protester contre l’absence de sources alors que c’est le
journaliste lui-même qui doit chercher l’information en utilisant tous les
moyens possibles pour atteindre son but. La quête de l’information implique une
formation conséquente car celle-ci doit-être vérifiée et revérifiée avant
d’être digne d’être publiée. L’usage des mots n’est pas aussi simple et facile
que certains ont tendance à le penser. L’omission d’une virgule dans une
dépêche a été à l’origine de la plus longue guerre européenne de l’Histoire.
Ainsi, liberté rime avec responsabilité. Responsabilité devant les faits à
publier et devant le lecteur. Aujourd’hui, dans notre presse encore marquée par
un flagrant manque de professionnalisme, l’insulte et l’invective s’érigent en
véritables règles de conduite. Le lynchage de personnes ou de structures, sans
aucun travail d’investigation préalable, n’obéit à aucune règle professionnelle
d’autant plus que la vérification et la critique des sources n’ont pas lieu.
Dans certains journaux sérieux, certes rares, dans le monde, on exige du
journaliste une grande distance avec les faits et un éloignement permanent des
espaces de décisions politiques et économiques, ce qui l’empêcherait de
fréquenter les hommes politiques, les généraux et les décideurs. Toute
proximité avec ces univers rendrait son projet sujet à caution, discutable et
trop peu crédible. N’est-il pas utile d’appliquer la même logique dans nos
écrits journalistiques, évitant ainsi de faire le jeu volontaire ou
involontaire des tribus politiques ? Le journalisme est l’espace privilégié du
manque et de la frustration. C’est aussi le lieu de l’humilité. L’écriture
journalistique ne devrait pas rester prisonnière du commentaire, de la
profusion des adjectifs et du compagnonnage des hommes politiques et du monde
de l’argent. On a vu également des journalistes algériens accepter des
invitations de ministères étrangers des Affaires extérieures, de Djezzy ou d’officines étrangères ou se faire « former » par
certaines fondations peu amènes ou des directeurs de journaux, signer un
document délimitant les territoires déontologiques sous l’égide de l’union
européenne. Comme si les Maghrébins devaient toujours s’abriter derrière un
parapluie éthique « occidental ». Fanon parlerait dans ce cas de « complexe du
colonisé ». La couverture des événements internationaux (Syrie, Libye, Egypte,
Tunisie) pose sérieusement problème dans la mesure où certains journaux,
reproduisant généralement les dépêches des agences de presse « occidentales »
sans les interroger, faisant valoir les positions officielles des gouvernements
des pays d’origine de ces agences qui reprennent le discours officiel, surtout
en temps de crise.
La jeunesse des équipes rédactionnelles souvent non formées ni soutenues par
les anciens dont un nombre important manque tragiquement d’expérience,
l’absence de recul devant l’information et de politiques éditoriales cohérentes
donnent l’impression au lecteur qu’il est en présence de tribunes partisanes et
politiques. Le tract se substitue à l’article journalistique. Les adjectifs
qualificatifs et possessifs, le passé simple, le présent de narration,
l’impératif et les formules prescriptibles, lieux exceptionnels dans l’écriture
journalistique, se muent en espaces communs. Le conditionnel est souvent
malmené alors qu’il se transforme souvent dans certaines situations de
communication, en indicatif. Quand on écrit : « X serait un escroc » ; au
niveau de la réception, la formule devient tout simplement : « X est un escroc
».
Le journalisme n’est pas le lieu où se manifestent les états d’âme et les
formules sentencieuses qui réduisent souvent un propos fondamental à quelque
tournure phrastique, hautement marquée subjectivement. L’écriture
journalistique a horreur des drôleries partisanes caractérisant certaines
interventions et de la gymnastique et des contorsions lexicales marquant des
écrits, pleins de mots difficiles et manquant tragiquement de rigueur et de
concision. Souvent, la transition d’un fait à un autre pose sérieusement
problème, trahissant une grave méconnaissance des techniques d’écriture. La
confusion entre les différents genres (reportage, commentaire, éditorial,
enquête…) est courante. On devrait insister sur l’importance de l’investigation
et du reportage qui sont les éléments essentiels de l’écriture journalistique. Tout
journal, privé ou public, est, en principe, concerné par cette obligation de
service public qui ne semble pas jusqu’à présent marquer les consciences.
Les journaux et les télévisions devraient prendre en charge leurs journalistes,
notamment dans la maîtrise de l’outil informatique.
Ecrire des articles ne se limite pas à un alignement simple de mots et de
phrases, mais obéit à plusieurs logiques qui s’interpénètrent, se complètent et
donnent vie à un texte où les failles et les « trous » sont obstrués par une
vérification répétée de l’information. Les directions sont-elles disposées à se
lancer dans ce type d’écriture, c’est-à-dire dans le journalisme, en commençant
par aider leurs journalistes, les rétribuer en conséquence, les former et leur
permettre de découvrir le monde ? Il est nécessaire de payer le prix. A
regarder les chaines de télévision algériennes, on ne peut pas ne pas conclure
qu’elles n’ont absolument rien à voir avec l’information et la communication,
ni avec le journalisme. L’histoire du sermon sur le commandant Bouregaa est carrément le contraire de la pratique
journalistique et de toute éthique.