POPULATION- BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH-
ROMAN AMÈLE EL MAHDI- « UNE ODYSSÉE AFRICAINE.... »
Une odyssée africaine. Le drame de la
migration clandestine. Roman de Amèle El Mahdi. Casbah Editions, Alger 2018, 172 pages, 800
dinars.
L’histoire de quatre migrants
subsahariens : Rabiou, Afi,
Théodore , Pascal...et d’autres et d’autres. Venant de
presque tous les pays du sud du Sahara : Congo, Niger, Cameroun Nigéria,
Mali, Burkina , Guinée ....On aura, aussi ,
l’histoire de Patrick, celle de Néné et de sa
petite Elikya cherchant à rejoindre, on ne sait où (Alger ?) , l’époux et
père, la « doctoresse » Marie , une aide soignante faisant face à
deux mille passagers d’un bateau tenant à peine sur l’eau du fleuve Congo et au
moteur faisant des siennes .
L’histoire, aussi, de lieux pour certains, maudits, désormais connus mondialement : Zinder,
Agadez, Arlit ( la
poussiéreuse et misérable, lieu de trafics de tous genres , point de transit de
tous les migrants vers l’Algérie), In Guezzam, l’Ahaggar,
Tam ....et , enfin, Alger (et son camp , l’Afrika
Town, entre Baba Ali et Semmar)
pour les plus chanceux.
Toutes
ces personnes ont décidé , un jour, de quitter leur pays pour aller vivre sous d’autres cieux. Non
pour le plaisir de la découverte du
monde mais seulement pour s’extirper d’une misère sans nom et d’un avenir qui
n’existe pas . Réaliser un rêve (des études ou du travail permanent permettant d’aider ,par la suite, la famille
« abandonnée »....) , ne plus subir la dictature d’une nature
ingrate, la dictature de pouvoirs répressifs ou la pressin
d’une société bloquée par
l’intolérance.... La migration, l’exil, la harga.....A
chacun son mot.
Pour atteindre l’ « Eden »,
l’Europe si fantasmée, la route est bien longue , bien dure et parsemée
d’embûches ; les plus douloureuses étant celles dressées par les
autres hommes des régions traversées
toujours dans la clandestinité et la peur d’être pris , d’être emprisonné puis
refoulé : Des traversées (du fleuve Congo par exemple) hasardeuses, des passeurs insatiables, les abandons en
plein désert, des brigands qui dépouillent
les passagers de leurs maigres fortunes, des autorités implacables , des
voleurs et des violeurs (qui ne font pas de différence d’âge ou de genre), des
marchands de sommeil, des esclavagistes aussi, des exploiteurs de main d’œuvre
à bon marché.....avec, heureusement, quelques (rares) hommes de cœur et de bien .
Sahara, Libye, Algérie, Maroc......nos
« héros » vont tout connaître, tout subir.....la femme
, belle et seule de surcroît,
subissant, bien sûr, les assauts les plus sauvages....
Afi mettra onze années pour arriver au Maroc......et y
restera avec bien d’autres, rêvant de Mellila, si proche et si inaccessible derrière un mur infrachissable. Afi avait
vingt-et-un ans lorsqu’elle avait quitté Kinsasha.
Recueillie par l’église évangélique de la ville de Fès, elle créera une petite
entreprise fabriquant des objets en cuir à vendre aux touristes.
Rabiou, lui , est revenu en
Algérie, à Tamanrasset , vivant (et faisant vivre ses enfants scolarisés à In
Gall) de son métier de tailleur.
Pascal est toujours à Gourougou
à attendre la prochaine descente pour tenter d’entrer en Europe.
Théodore (l’ « intello » , le meneur
d’hommes rêvant de « sauver son pays » ) , fuyant Zinder (après des émeutes qui
avaient ciblé la communauté chrétienne) , encore étudiant à l’Université ,est
mort quelque part en Libye et sa
dépouille n’a jamais pu être récupérée
L’Auteure : Professeure
de maths’. Déjà plusieurs ouvrages dont deux
romans ( « La belle et le poète »
consacré à Abdallah Ben Kriou et « Tin Hinan, ma reine »), un conte fantastique et un livre de contes pour enfants,
« Les belles histoires de grand-mère ».
Extraits : « Comment
croyiez –vous que l’on arrive à survivre lorsque la souffrance et la misère
vous accompagnent votre vie durant et que seule
la mort est susceptible de vous en libérer ? Comment croyez-vous
que l’on puisse survivre lorsque de toute son existence on n’a pas vécu un seul
jour de paix ? Lorsqu’on ignore ce qu’est manger
à sa faim. Lorsque dormir le ventre vide devient plus qu’une habitude
, une coutume. » (p 51), « Il est vain et illusoire de vouloir
interdire aux hommes de se déplacer à leur guise sur la terre de Dieu, ces
hommes qui ont de tout temps éprouvé le besoin irrésistible de découvrir le
monde pour le connaître et se connaître, qui ont toujours ressenti ce désir
éperdu, propre à leur race , d’un lendemain meilleur et qui ont constamment eu
cette envie irrépressible d’aller au-delà des frontières et, malgré les dangers
, appréhender l’ailleurs » (p 171)
Avis : 172 pages
d’émotion.....Un roman de la vraie vie.......de la misère du monde.....un monde
si près, si loin. Un monde qui nous concerne .
Directement. Un roman qui se lit d’un seul trait, comme si on avait
envie de vite se sortir d’une histoire tellement douloureuse , si
bouleversante.....et culpabilisante.Après l’avoir lu,
vous ne verrez plus du même œil l’ « étranger ». Plus
compréhensif, plus proche...plus humain ? On l’espère.
Citations : « Si le silence est quelquefois d’or, bien
souvent il est lâcheté, hypocrisie et trahison » (p 11), « On pense à
tort que la corruption et la prospérité vont de pair, en vérité la corruption
se complaît dans l’opulence aussi bien que dans le dénuement, seule la valeur
et la nature des pots de vin diffèrent » (p 30), « Seuls les riches
peuvent se permettre de se lamenter sur leur propre sort, les pauvres , eux,
n’ en ont pas les moyens » (p 33), « Celui qui ne respecte
pas sa parole et ne tient pas une promesse donnée est quelqu’un de bien
méprisable » (p 91), « L’Homme ne connaîtra le bonheur sur terre
que le jour où il n’éprouvera plus le besoin de dresser des murs, car ce
jour-là il aura vaincu la vanité, la haine et la peur qui l’ont toujours habité
et poussé à rejeter l’autre, son semblable, son frère » (p 134), « La
haine pourvue d’uniforme et d’insigne ne recule devant rien, elle ne
s’embarrasse ni de scrupules, ni de lois, ni de morale.Dotée
de pouvoir, elle révèle ce qu’il y a de plus vil en nous, et met à jour ce que nous tentons de cacher
sous des termes vides et pompeux comme
civilisation et humanité, notre bestilaité ( p 139)