FINANCES-
DOCUMENTS ET TEXTES RÉGLEMENTAIRES- SYNDICAT COUR DES COMPTES- LUTTE CONTRE LA
CORRUPTION
Le syndicat des
magistrats de la Cour des comptes répond au président de la Cour sur ses
dernières déclarations concernant le rôle de la Cour dans la lutte contre la
corruption
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Amar Chikhaoui, Président du syndicat national des magistrats de la Cour des
comptes , mardi 14 mai 2019
Depuis la publication du premier communiqué du
syndicat national des magistrats de la Cour des comptes, en date du 22 avril
2019, dénonçant la gestion de la Cour par l'équipe dirigeante actuelle, le
président de la Cour des comptes tente, sans succès, de faire croire aux
Algériennes et Algériens que l'institution qu'il dirige, depuis un quart de
siècle à ce jour, fonctionne normalement.
En effet, dans son interview du 29/04/2019, accordée à Algérie Presse Service
(APS), suivie par d'autres articles publiés par certains quotidiens, le
président de la Cour des comptes a, tantôt par de fausses informations, tantôt
par des lectures restrictives des prérogatives et attributions de la Cour,
tenté de fuir ses responsabilités quant à la gestion catastrophique de la Cour.
Faisant suite à ces affirmations, le Syndicat national des magistrats de la
Cour des comptes souhaiterait apporter les précisions et éclaircissement
suivants :
1- Concernant ces affirmations selon lesquelles « la Cour des comptes ne lutte
pas contre la corruption ». S'il est vrai que la Cour des comptes ne peut se
substituer à la justice comme l'a affirmé le président, il est aussi vrai
qu'elle est dotée d'une expertise qu'elle doit mettre à la disposition de la
justice, à travers la transmission de rapports circonstanciés, et c'est
justement ce rôle de pourvoyeur de faits susceptibles de qualifications pénales
que la Cour des comptes n'assure plus régulièrement depuis plus de 20 ans.
Cette prérogative est d'ailleurs prévue clairement par l'article 27 de
l'ordonnance 95-20 du 17 juillet 1995, modifiée et complétée par l'ordonnance
10-02 du 26 août 2010 relative à la Cour des comptes.
L'article 2 de l'ordonnance n° 10-02 susvisée, lui fait obligation de
contribuer, dans son domaine de compétence et à travers l'exercice de ses
attributions au renforcement de la prévention et de la lutte contre les
diverses formes de fraudes et de pratiques illégales ou illicites constituant
des manquements à l'éthique et au devoir de probité ou portant atteinte au
patrimoine et aux deniers publics.
Mais la déclaration qui risque de prêter encore plus à équivoque c'est lorsque
le président affirme que les jugements prononcés par la chambre de discipline
budgétaire et financière ne portent pas sur des faits de corruption, mais
uniquement sur des infractions aux règles de discipline budgétaire et
financière est une contre-vérité, car il suffit d'examiner l'article 88 de
l'ordonnance n° 95-20, modifiée et complétée, pour découvrir le
contraire.
En effet, certains faits pouvant être déférés devant la chambre de discipline
budgétaire et financière tels que les actions de gestion entreprises en
violation des règles de conclusion et d'exécution des contrats prévus par le
code des marchés publics, le non-respect des lois régissant les opérations de
cession des biens publics mis en réforme ou saisis par les administrations et
organismes publics, ainsi que l'utilisation de crédit ou de concours financiers
octroyés par l'État, les collectivités territoriales, les établissements
publics ou accordés, avec leur garantie, à des fins autres que celles pour lesquelles
ils ont été expressément accordés, constituent des faits susceptibles de
qualifications pénales au sens des dispositions du code pénal. Les dispositions
de l'article 92 de la même ordonnance confirment d'ailleurs cette possibilité
d'une double poursuite pour une même infraction. En effet, il est dit
clairement que les poursuites et les amendes prononcées par la Cour des comptes
ne font pas obstacle aux poursuites et aux sanctions encourues, le cas échéant
aux plans civil et pénal.
Pour justifier ses échecs, le président n'a pas trouvé mieux que de mettre en
exergue l'absence de moyens humains et techniques au niveau de la Cour pour
lutter contre la corruption, oubliant au passage qu'il est le premier
responsable de cette situation. Cet aveu manifeste d'échec de sa propre gestion
ne peut qu'encenser le syndicat sur la justesse et la véracité de notre
constat.
2- Concernant ses affirmations selon lesquelles « le contrôle des finances des
EPE ne relève pas de la Cour des comptes au motif que ce sont des deniers
privés ».
Vous prenez n'importe quel citoyen dans la rue et vous lui posez la question à
qui appartiennent les entreprises publiques, il vous répondra à « l'ETAT ».
Entendre le premier responsable d'une institution constitutionnelle chargée de
contrôler les deniers publics, affirmer que les capitaux des EPE sont des
deniers privés et qu'ils ne relèvent donc pas du contrôle de la Cour des
comptes, signifie, au mieux, qu'il veuille juste fuir ses responsabilités pour
ne pas rendre compte sur l'absence de la Cour dans la lutte contre la
corruption au niveau du secteur économique, au pire c'est ignorer les
attributions et prérogatives de l'institution qu'il dirige depuis plus de 24
ans, ce qui est inimaginable.
En effet l'article huit (08) de l'ordonnance n° 95-20 prévoit clairement que «
Sont également soumis au contrôle de la Cour des comptes dans les conditions
prévues par la présente ordonnance, les établissements publics à caractère
industriel et commercial et les entreprises et organismes publics qui exercent
une activité industrielle, commerciale ou financière et dont les fonds,
ressources ou capitaux sont en totalité de nature publique ».
Ainsi, au lieu de clarifier devant l'opinion publique pourquoi lui et son
équipe n'ont pas assumé leurs responsabilités, en matière de lutte contre les
diverses formes de fraude et de pratiques illégales ou illicites dans les
entreprises publiques économiques (EPE), alors qu'ils sont à la tête d'une
institution jouissant de prérogatives largement étendues, le président de la
Cour tente par des contrevérités fuir ses responsabilités allant jusqu'à
pervertir la notion de la propriété publique des EPE.
3- Concernant « les 600 comptes apurés ». La principale activité de la Cour est
devenue l'apurement des comptes des comptables publics et ce sont généralement
de petits budgets, alors que les entreprises publiques, les 48 trésoreries de
wilaya et les opérations d'équipement, où se fait le gros des dépenses
publiques, notamment, celles portant sur les marchés publics, sont délaissés.
Cette carence fait que les contrôles effectués par la Cour des comptes
n'aboutissent à rien.
Concernant les 600 comptes apurés en 2018 que le président de la Cour tente de
considérer comme une avancée significative pour la Cour, il suffirait de
consulter le rapport d'évaluation de la République Algérienne Démocratique et
Populaire, réalisé dans le cadre du mécanisme africain d'évaluation par les
pairs (MAEP), juillet 2007, (p:180), pour réaliser qu'aucune évolution positive
n'a été réellement enregistrée depuis 2007, puisque le même nombre de comptes
(600) a été apuré durant cette année (2007).
C'est dans le même rapport, d'ailleurs, qu'il a été recommandé de «Moderniser
la Cour des comptes et lui faire prendre un nouveau départ, sous la forme d'un
organisme moderne de contrôle des comptes de l'Etat, sur la base d'un programme
de restructuration de la Cour des comptes qui inclut la redéfinition de sa
mission et de ses attributions, de la taille de ses effectifs et le profil de
son personnel».
Bien entendu aucune des recommandations n'a été mise en œuvre par le président
de la Cour et son équipe, notamment celle liée au renforcement des effectifs de
la Cour et ses capacités professionnelles.
4- concernant « le gel du recrutement ». Affirmer que le recrutement fait
actuellement l'objet d'un gel, c'est juste tenter de fuir ses responsabilités
en chargeant par la même occasion le ministère des Finances qui s'est pourtant
toujours montré disposé à mettre à la disposition de la Cour les crédits
nécessaires pour son fonctionnement. Les blocages des recrutements et
contrairement à ce que veut affirmer le président de la Cour sont d'origines
internes et du seul fait de l'administration de la Cour, à sa tête le
secrétaire général, ordonnateur du budget de la Cour.
En effet l'administration, à sa tête le secrétaire général de la Cour, a mené
une politique de désertification de la Cour, en mettant plus de 50 % des
magistrats à la retraite à l'âge de 60 ans, y compris ceux qui ont demandé à rester,
alors que leur statut particulier leur permet d'aller jusqu'à 65 ans.
Avec le nombre actuel de magistrats, soit 130 (opérationnels), répartis entre
chambres nationales et territoriales, conjugué avec le nombre des partants à la
retraite dans les deux années à venir, le corps des magistrats de la Cour des
comptes est en voie de disparition.
5- Concernant « l'appel à des agents qualifiés du secteur public et à des
experts ». Ce recours prévu par l'article 58 du l'ordonnance n° 95-20 susvisée,
n'a jamais été mis en œuvre, il reste une simple déclaration de bonne
intention, et ce n'est pas avec les bonnes intentions qu'on lutte contre la
mauvaise gestion et la dilapidation des deniers publics.
En conclusion, les contrevérités du président de la Cour confirment, si besoin
est, l'ébauche du diagnostic alarmant que nous avons dressé dans notre premier
communiqué. Nous réitérons pour notre part, l'appel déjà lancé aux pouvoirs
publics, afin de procéder à des changements à la tête de la Cour des comptes et
de demander au président de la Cour des comptes et à son secrétaire général de
rendre compte de leurs 25 ans de gestion catastrophique qui a déconstruit
complètement cette institution constitutionnelle.