CULTURE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN
ANISSA BOUMEDIENE- « LA FIN D’UN MONDE »
La fin d’un monde. Roman de Anissa
Boumediène. Editions Houma, Alger 2003, 550 dinars,
300 pages
Une véritable saga arabo-musulmane, partant
d’une histoire vraie, celle d’une passion ayant défrayé la chronique dans la
péninsule arabique et dont les protagonistes étaient deux poètes célèbres.....Tawba Ibn al-Humayyir et Laylâ.
Avec la description d’une passion hors du
commun, célébrée dans des poèmes, il y a les passions politiques qui, à cette
époque (le 7ème siècle) de troubles et de grande violence, agitaient
les gouvernants et leurs sujets.
Le héros, encore tout jeune homme, s’était
trouvé immergé de manière fortuite et par l’intermédiaire d’une famille
influente dans les coulisses du pouvoir (le « pouvoir profond » , déjà !) qu’il ignorait totalement. Il va assister,
triste privilège, à la « fin d’un monde » ,
celui de la concorde entre tous les musulmans, tel qu’il existait du vivant du
Prophète.
Bien après
la mort de celui-ci, on eut des combats sans fin, chaque partie essayant
de justifier le sien ...en s’appuyant sur des versets coraniques pour se
disputer le pouvoir , non sans tuer d’autres croyants musulmans comme eux. Le
temps d’ « al-fitna al-kubra »
qui posait , en vérité, la question de la légitimité
du pouvoir califal ! Tout particulièrement avec les opposants au
troisième calife, Othman Ibn Affân
(qui fut assassiné par des musulmans, ce qui fut la cause du premier grand
schisme entre eux ). Ils estimaient qu’au cours de la
dernière période de ses douze années de règne, le calife s’était écarté du
Coran, qu’il avait mal gouverné en
faisant preuve de faiblesse, qu’il avait manqué de discernement en pratiquant
le népotisme et le clientélisme.....De nombreux griefs les autorisant,
pensaient-ils, à réclamer sa destitution, voire son élimination physique pour
le cas où il (le calife) ne se soumettait pas à leurs exigences. Pour sa part,
le calife évoquait le serment d’allégeance....et invoquait de nombreux versets
coraniques.
Au fil de ses recherches, l’auteure a croisé
beaucoup de femmes de cette
époque : belles, cultivées, dotées d’une forte personnalité et d’un grand
courage, participant, pour bien d’entre-elles aux batailles.
Certaines étaient poétesses comme Âtika Bint Zayd
ou Asmâ Bint Abi Bakr.......et
surtout Laylâ el-Akhyaliyya.....dont
on découvre , dans l’ouvrage, l’histoire.
Un homme. Une femme. Ayant vécu leur passion , n’écoutant que leurs cœurs. La gloire avait fondu
leurs noms (et leurs œuvres poétiques) dans le creuset de l’immortalité. Un
amour de trop dans leur vie...mais un amour qui, « s’il les perdit dans
l’esprit de leurs familles, ne fut point perdu pour le salut de la
poésie ». Sans cet amour, Tawba (une centaine de vers seulement nous sont parvenus)
et Laylâ (seuls trois cent vers nous sont parvenus)
« auraient existé sans vivre »
L’Auteure : Avocate, épouse et veuve du président Houari Boumediène,
auteure d’une étude sur la vie et l’œuvre de la poétesse al-Khansâ
(« Moi, poète et femme d’Arabie », Edition Sindbad,
Paris 1987)
Extraits: « Mes recherches se sont avérées très fructueuses puisqu’elles
m’ont révélé à quel point les alliances matrimoniales pouvaient jouer un rôle
non négligeable dans les alliances politiques de cette époque » (p 7) « A
présent, les Musulmans s’assassinent au nom du respect de la Loi divine. Ils se
tuent les uns les autres au nom de Dieu. Chacun s’approprie la Parole d’Allah
pour les besoins de sa cause, et les gens se battent avec férocité à coups de
versets du Coran » (p 115)
Avis : L’histoire politique riche mais tourmentée et tragique de l’Islam......racontée à travers l’histoire
d’un homme et d’une femme qui n’avaient pas eu peur d’aller jusqu’au bout de
l’amour et du malheur. Au centre, la
foi, la poésie ....mais surtout et avant tout, les luttes continuelles pour le pouvoir
Citations : « La vie appartient à celui qui ose :ceci est vrai en politique comme en amour. Quand on se
laisse écraser par les contraintes, le conformisme et les conventions sociales,
autrement dit qu’on refuse de devenir maître de son destin, il ne faut pas
ensuite gémir et pleurer sur le fait qu’on meurt étouffé......Si, au début de
sa prédication, il (le Prophète) avait cédé à la pression sociale, il n’y
aurait jamais eu l’Islam » (p 25) ,
«Il y a deux sortes de gens dont la vertu est un bien, et la corruption
un mal pour les hommes : les savants et les gouvernants » (p 69) ,
« Les gens avisés ont coutume de dire que l’amour est à l’âme ce qu’un bon
repas est pour le ventre :si l’on n’en jouit pas, c’est à son détriment,
mais si l’on en goûte à profusion, cela vous tue » (p 165), « La
haine n’est qu’une autre face de l’amour. La haine, c’est l’amour qui ne se
résigne pas à avoir été rejeté » (p 198), « La bonheur s’arrache, il
n’est jamais donné .Le plus souvent, il doit s’édifier sur les ruines d’autres
bonheurs, mais nous ne sommes pas responsables de la peine que nous causons
malgré nous » (p 253)