CULTURE- MUSIQUE- HIRAK- SOOLKING
(c) Kamel Bouslama/El
moudjahid, jeudi 2 mai 2019
Une voix d’une ampleur époustouflante, une
sorte de «rap-blues-country» version orientale en forme de cri lancinant, des
mélopées qui s’«originent» d’arabesques exaltantes…
Le chant atteint souvent, avec Soolking, des sommets
qui confinent à l’irréel et pourtant, quand il se produit, que ce soit sur
scène ou dans un tout autre lieu, dans la rue par exemple, on ne devine pas son
effort. Sa voix arrive en douceur, portée par on ne sait quelle force
invisible, et s’en va crescendo jusqu’au paroxysme. C’est là, précisément, que
sa voix vous laisse sans voix. Qu’à cela ne tienne, la
sienne est la plus belle. Aussi belle sinon plus, en tout cas, que celle de
grands ténors connus à travers la planète. Alors, ce dont vous aurez besoin
quand vous écouterez, entre autres chansons de l’auteur, «La liberté», à
l’origine une chanson de stade émanant de supporters du club de foot algérois
USMA -une clameur de stade, comme aurait dit le dramaturge allemand Berthold
Brecht- c’est, bien évidemment de vos jambes pour marcher, et, pourquoi pas,
pour danser ; de vos mains, bien sûr, pour applaudir ou faire des signes de
salut aux autres marcheurs ; et, bien entendu, vous aurez surtout besoin de
votre voix pour entonner les refrains et ainsi donner à la chanson concernée
une dimension et une profondeur telles que vous aurez la chair de poule en
(vous) écoutant parmi la foule.
Donc, pas besoin de connaitre le «rap-blues-country» version orientale de Soolking du moment qu’il se nourrit de ses propres passions
et s’enivre de lui-même pour aller, dans des moments de grande intensité,
jusqu’à l’impossible, là où guette l’extinction de voix. Or, sa voix rivalise
sans effort avec les sonorités les plus électriques et virevolte en arabesques
stupéfiantes, sur des mélopées orientales tout autant savantes. Avant de
s’enfler jusqu’au «grondement» dans la chanson «Guerrilla»
; ce qui, en l’occurrence, a valu à son auteur l’admiration de médias émanant
de pays des cinq continents.
Il en sait trop, lui le harrag de Staouéli,
pour condamner…
On se trouve ainsi ébranlé par un cri rauque, lourd de tout le répertoire
traditionnel qui se «cogne» sans façon à l’instrumentation moderne, elle-même
soutenue par un trépident jeu de scène -quand l’artiste se produit sur scène-
et de lumière. Mais lorsque vient le moment où Soolking
entonne «La liberté», le temps, comme on dit, suspend son vol et c’est la
grande nostalgie qui revit dans le cœur et l’esprit. Grand trouble alors…Et
c’est tant mieux ! C’est toute l’Algérie, à travers son plus profond terroir,
qui est là, sublimée, propulsée au-delà de ses frontières culturelles…
En revanche, ceux qui attendent du genre «rap-blues-country» version orientale
une fantasmatique «pureté originelle» de cette même musique de terroir, seront
peut-être déçus. Car, au fond, le grand intérêt de la musique de Soolking, c’est qu’elle est faite de rencontres et de
compromis, elle mélange, sans complexe, reggae, rap, slow, country ou longues
envolées de blues, voire de raï. Elle frôle quelquefois l’abîme ou vire au
sublime, comme par hasard et, mine de rien, sa propre relecture de nos
traditionnels modèles musicaux. C’est bien là, «mutatis mutandis», une
résultante musicale algérienne moderne qui, non seulement attendait le monde au
tournant, mais fera déferler son style original et nouveau aux quatre points
cardinaux avec, à sa tète, un porte-voix nommé Soolking.
Aujourd’hui, comme par le passé, l’artiste chante. Il n’a pas besoin de parler,
de juger. Il en sait trop, lui le harrag de Staouéli, pour critiquer, pour condamner. L’énigmatique
sourire en coin toujours aussi résistant, ça semble foutrement naïf, mais sur
le coup vous remue tout, partout.