VIE POLITIQUE- DOCUMENTS
POLITIQUES- MOULOUD HAMROUCHE- CONTRIBUTION 6 MAI 2019
Du régalien et du légitime
(c) MOULOUD HAMROUCHE (Ancien chef de gouvernement : 6 septembre 1989/3 juin 1991)
/El Watan et EL Khabar, dimanche 5 MAI 2019
Onze semaines de hirak et la situation ne s’améliore pas en termes de
perspectives et de stabilité malgré l’ampleur et le pacifisme du mouvement
unitaire du peuple tous ces vendredis.
Le peuple
et l’armée sont seuls. Il ne faut pas qu’ils se tournent le dos ni se trouvent
face à face. L’armée ne peut aller contre les aspirations du peuple.
Le peuple
ne veut plus être gouverné comme par le passé à travers des façades
«politiques» préfabriquées. Des façades investies de sans-scrupule, de
sans-vergogne, de sans-responsabilité et de sans-éthique. Ce sont toutes ces
façades et ces comportements illégitimes que le hirak
a disqualifiés.
Le hirak est un mouvement historique né de cette crise majeure
de gouvernance. Des semaines durant, il a maintenu son rejet sans ambiguïté du
système et certaines de ses figures. Par ce rejet, le hirak
récuse également une multitude d’omnipotences, de réseaux d’allégeances et
d’obéissances qui opéraient par des violations des droits et des lois, et par
la corruption et l’abus.
De ce fait,
le peuple revendique son droit d’être gouverné par des instruments légaux de
son choix, l’instauration d’un climat de liberté et une situation nationale de
droit, de légitimité et de démocratie.
Pour cela,
le hirak qui a délivré les Algériens des peurs, des
prétendus et des préjugés ne peut être et ne doit pas être un facteur de
blocage mais une source de restauration de la légitimité, de la légalité et de
la responsabilité.
Il serait
naïf de croire que le changement des hommes est la réponse et que leur
remplacement par d’autres honnêtes et engagés garantirait les espérances du hirak. Le changement des hommes ne sera jamais déterminant.
Ce ne sera jamais une garantie suffisante pour une bonne gouvernance et une
bonne justice.
Dans cet
ordre d’idées et pour une perspective légitime, la priorité doit aller à
rétablir la norme légale et instaurer la vérification et le contrôle pour toute
fonction, toute action et tout exercice de responsabilité. L’effort, la
considération et la confiance doivent aller en priorité à substituer aux hommes
une vraie Constitution, de vraies institutions exerçant de vrais pouvoirs
d’autorisation, de régulation, d’habilitation, de contrôle et d’arbitrage.
Des hommes
et des femmes élus peupleront demain ces institutions pour gouverner la société
et l’Etat. Cela est la voie d’un vrai Etat démocratique de liberté et de droit.
Cela est la solution et le schéma de contrôle de tout pouvoir par des
institutions et non par des hommes.
A ce jour,
l’omnipotence, la corruption, le passe-droit et l’abus pratiqués par et à
travers des réseaux ont détruit toute forme de pouvoir légal et rationnel de
gouvernement et de justice, et altéré les relations
administrations-administrés, populations-autorités élues ou désignées.
La
dimension des partis politiques, leurs structures et leurs organisations ne
leur permettent pas de suppléer à autant de vides, de déficits en gouvernance,
en contrôles et en vérifications, ni de suppléer à autant d’insuffisances en
débat politique structurant, en culture de compromis et en discipline
militante. C’est outrageant.
On peut
crier, hurler, casser ou brûler, ça ne changera rien aux lacunes graves, aux
fossés dangereux et aux absences mortelles de forces sociales et politiques
organisées pour accompagner l’élaboration et la mise en place de nécessaires
instruments, mécanismes et institutions ou à organiser des élections et à faire
fonctionner une vraie justice.
Le hirak a heureusement, par son ampleur unitaire nationale et
pacifique, réparé et retissé une partie importante de ces liens et rapports
sociaux nationaux, mais pas ceux des légitimités gouvernantes.
Dès lors,
il serait dangereux d’aggraver ces précarités et ces manques en légitimités, en
gouvernances, en instruments, en régulations et en contrôles.
Il faut,
de prime abord, en plus de la sécurité, une discipline légale, une forte
adhésion sociale librement consentie et un effort sur soi et sur chacun.
Ces
conditions permettront de maintenir la dynamique du hirak
stable et pacifique durant les premières phases de tâtonnements, de
prospections et de mise en place des instruments et mécanismes légaux,
nécessaires à l’émergence des légitimités qui peupleront les institutions et
occuperont les fonctions nationales pour gouverner la société, cheminer ses
projets et concrétiser ses attentes.
Au risque
de paraître un briseur d’enthousiasme, aucune solution ni aucune démarche ne
peut être envisagée comme un kit à prendre ou à laisser pour un hirak pacifique et unitaire de cette ampleur et qui exige
en plus un changement profond de mode de gouvernement.
Ce n’est
pas au hirak de structurer les institutions et leurs
schémas finaux, ni d’opérer de telles transformations. Nul ne peut également
prédire, ni prétendre connaître, ni fixer à l’avance méthodes, processus et
cheminements à lui seul ou imposer des a priori. Aucune partie, aucun parti ou
groupe de partis, ne peut établir seul cette grande feuille de route.
Aucune
partie, aucun parti politique ne peut suppléer seul à tant de failles et
défaillances. Ce sont des déficits structurels et organiques évidents créés par
un système de gouvernance fondé sur la peur, le mensonge, la dépolitisation et
la déstructuration des liens sociaux il y a près d’un quart de siècle.
Il est
plus que souhaitable que toute action, toute décision, toute mesure, toute
attitude ou toute proposition soit observée et appréciée d’abord par rapport à
la préservation de la dynamique unitaire du hirak et
de la concrétisation de sa revendication principale. Ensuite, que toute
démarche soit imprégnée de tous ces manques et ces défaillances.
Car
beaucoup d’écueils guettent le hirak, l’armée, les
élites, y compris celles qui font office de gouvernants. Le hirak
ne doit pas s’estomper sans résultat ni déboucher sur de nouvelles impasses ou
que des surenchères le mènent vers des récifs dangereux plus difficiles à
maîtriser.
Ces
écueils exigent la participation de tous à une élaboration collective des
solutions sans a priori. Dans le concret, personne ne sait à l’avance quel
cheminement prendre et quelle issue finale choisir.
Toute
possibilité potentielle n’est qu’une chance qui aura besoin d’être vérifiée et
confrontée aux dures réalités d’un dysfonctionnement politique grave du pays et
de sa gouvernance.
C’est quoi
une bonne solution politique ? C’est quoi une possible solution
constitutionnelle ?
La
Constitution ne recèle aucun instrument ni aucune mécanique de solution de
crises ou de conflits. Des crises et des conflits de cette nature ont été, par
le passé, solutionnés hors Constitution, chose que le hirak
interdit aujourd’hui.
En quoi
consiste une transition conduite par des personnalités honnêtes, compétentes et
non impliquées ?
Toute
instance de transition aura énormément de difficultés à embrayer sur des
réalités et des pouvoirs, et à surmonter d’autres embûches et adversités.
En quoi
une présidentielle avec un gouvernement d’union nationale ou un gouvernement
qui gère les affaires courantes est elle différente ? Pourquoi prêter plus de
compétences et de crédit à l’un ou inversement à l’autre ?
Pour
quelles raisons une commission électorale ferait mieux que les précédentes ?
Toute
élection ne débouchera jamais sur des garanties de sincérité et de fidélité
tant que la structure chargée de toutes les opérations de préparation, des
inscriptions, d’établissement de listes électorales locales et nationales, des
registres de circonscriptions, de centres et de bureaux de vote ne soient pas
revus, corrigés et certifiés par des autorités indépendantes croisées.
Toutes ces
opérations sont des conditions sine qua non pour échapper au système qui a
phagocyté la voie des urnes, nié toute représentation politique et dilué tout
sens de responsabilité.
Toute
autre garantie est éphémère. Tout autre engagement n’est que discours, sans
nier pour autant des sincérités qui se sont exprimées. Le hirak
a opéré des retraits de légitimités électorales et de confiances politiques.
Une vraie
élection ne dépend pas d’un délai ni d’une date, mais de ces séries de travaux
et de vérifications à faire réaliser. Autrement, toute élection sera une arme
de déstabilisation massive à cause des confusions, des contestations ou de
refus de reconnaissances de résultats.
Il y a une
vraie entame et un vrai sujet à discuter. Il y a de fausses concertations pour
de fausses pistes. Ne gâchons pas de vraies opportunités créées par le hirak, ne ratons pas de vrais rendez-vous avec de vraies
chances pour notre pays.
Ces
opportunités et ces chances résident dans le changement des pratiques et des
habitudes mensongères que le système avait érigé en règles et en réflexes.
La
question est et demeure : comment rendre le hirak,
cette force de refus et d’opposition, une force de stabilité, de structuration
et de contrôle ? Comment éviter que le hirak soit une
force d’implosion et d’ambition ?
En
délivrant un signal fort, un discours intelligible et concret sur des
transformations profondes à opérer et à mettre en œuvre sous son regard
vigilant, d’une justice libérée de toute tutelle, exceptée
celle de la loi, des partis, de la presse et des organisations sociales civiles
nationales et locales. Ainsi, le hirak ne sera pas
nourri de radicalités, de clivages périlleux ni d’antagonismes primaires.
La
revendication de l’application des articles 7 et 8 est pertinente. Il reste à
obtenir un accord sur le comment, la forme, les méthodes de travail et le
schéma final des institutions démocratiques, un avant-projet de Constitution et
le mode de son approbation par une Constituante ou par un référendum.
En fait,
l’article 7 comporte deux voies par lesquelles le peuple exerce sa souveraineté
et demeure source de tout pouvoir. La voie électorale pour élire un Président
et des élus et la voie référendaire pour l’adoption d’une Constitution et la
création d’institutions (article 8).
Toutes ces
questions ne peuvent être résolues par un pouvoir chargé du régalien dépouillé
de sa légitimité électorale, ni par des partis, toutes obédiences confondues vu
leur état organique et organisationnel.
La
disposition relative au chef d’Etat intérimaire date de la Constitution de 1976
et a survécu à tous les amendements et modifications depuis pour une raison
fondamentale, celle de faire garantir la pérennité et la régulation du
régalien. Ne confondons pas la fonction d’un président de la République «élu»
et celle de chef d’Etat intérimaire.
Ce dernier
assure une mission régalienne institutionnelle. Il ne devrait assumer aucun
pouvoir constitutionnel sur des institutions politiques souveraines. Celles en
place et leurs composantes étaient déjà défaillantes et frappées d’illégitimité
avant le 22 février.
Toute instance transitoire ou conférence nationale ne peut réellement exercer
des missions régaliennes.
Le chef
d’Etat intérimaire incarne et bénéficie de l’adhésion et de la discipline de
tous les agents du régalien. Il assure des obligations de l’Etat algérien
vis-à-vis des partenaires-clés et des puissances étrangères. Car, il ne peut y
avoir de rupture dans ces missions, ces obligations et ces relations.
Tous les
autres pouvoirs de gouvernement relèvent de la souveraineté citoyenne et
restent tributaires d’une légitimation par voie électorale. Nul n’a le droit de
contester l’exercice du régalien qui échoit au chef d’Etat intérimaire ; par
contre, il n’a pas de pouvoir ni de légitimité pour mettre en œuvre les
articles 7 et 8 de la Constitution.
Autrement
dit, toute démarche ou toute élection restent tributaires de la participation
et la contribution consensuelle de tous pour être et rester dans le sillage du hirak.
Une telle approche permet de ne pas contester le régalien, de bénéficier de
forts engagements et contributions, d’obtenir une stabilité relative et de
continuer à dire la volonté algérienne.
Personne
n’a intérêt à agrandir toutes sortes de vides que connaît notre pays en termes
de fonctionnement sociétal, politique et d’autorités publiques, ni de négliger
toutes les chances, aussi minimes soient-elles.
Pondération,
discernement et lucidité devraient être les maîtres-mots et le rester. Le
réalisme s’impose à tous pour pouvoir surmonter tant de défaillances, tant de
risques et tant de menaces.
La démocratie
est la reine des compromis. Notre pays a cruellement besoin de compromis pour
être gouverné, pour débattre, pour choisir et pour avancer.