VIE
POLITIQUE- ENQUÊTES ET REPORTAGES- AFFAIRES DE CORRUPTION- SAID BOUTEFLKA
De nombreuses enquêtes
sur la corruption ouvertes par la justice
Ces affaires qui mènent à Saïd Bouteflika
(c) Salima Tlemçani/El
Watan, dimanche 28 avril 2019
De nombreux
hommes d’affaires et des personnalités politiques sont concernés par les
enquêtes sur les gros dossiers liés à la corruption. Parmi ces derniers, ceux
de Sonatrach, de l’autoroute Est-Ouest, de Khalifa, de la GCA, du trafic dans
l’achat de postes de député, etc. Des affaires qui mènent inévitablement à Saïd
Bouteflika, le frère du Président démissionnaire. C’est la boîte de Pandore que
la justice est en train d’ouvrir. Ira-t-elle jusqu’au bout ?
C’est la panique chez les hommes d’affaires et les personnalités
politiques depuis que la justice a décidé d’ouvrir les dossiers de corruption,
dans un climat de forte tension et de contestation populaire. Très en retard,
le communiqué du procureur général près la cour d’Alger mettant en avant «le respect du droit à la présomption d’innocence» et «du secret de
l’instruction» n’a pas, pour autant,
dissipé les appréhensions des uns et des autres, notamment en ce qui concerne
la rapidité des enquêtes préliminaires, le choix des dossiers traités et les
décisions de mise sous mandat de dépôt.
Il faut
dire que les événements de la semaine écoulée ont fait l’effet d’une bombe.
D’abord, la remise par le parquet de Sidi M’hamed près la cour d’Alger de
convocations à l’ex-Premier ministre, Ahmed Ouyahia, et au ministre actuel des
Finances et ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Loukal –
convocations qui ont fait couler beaucoup d’encre –, puis l’audition par les
gendarmes du patron du groupe Cima Motors, Mahieddine Tahkout, dont on ne
connaît toujours pas le contenu, ensuite le PDG du groupe Cevital, Issad
Rebrab.
Au moment
où ce dernier était dirigé devant le tribunal de Sidi M’hamed, les puissants
frères Kouninef, Réda, Abdelkader-Karim, Noah-Tarek, propriétaires du groupe
KouGC, deux de ses dirigeants, dont le gérant, ainsi que six cadres du
ministère de l’Industrie et de l’Aniref (Agence nationale d’intermédiation et
de régulation foncière) sont interrogés par les gendarmes sur un lourd dossier
lié à l’obtention des contrats de réalisation de trois parcs industriels pour
un montant de 17,8 milliards de dinars. C’était à l’époque de l’ex-ministre de
l’Industrie, le controversé Abdesselam Bouchouareb, membre du gouvernement de
Abdelmalek Sellal.
Pour les
plus avertis, cette affaire ne sert en réalité que d’ouverture à la voie qui
mènera inévitablement vers de nombreuses personnalités. D’abord, Saïd
Bouteflika, frère du Président démissionnaire, qui a permis aux frères Kouninef
d’avoir accès aux cercles de décision de l’Etat, de peser sur les orientations
et de bénéficier de la commande publique de nombreux secteurs d’activité
(hydraulique, industrie, travaux publics, télécommunication, etc.), où les
ministres jouaient un rôle de facilitateurs.
Les cadres
du ministère de l’Industrie évoquaient souvent les relations entre leur ancien
ministre, Abdesselam Bouchouareb, et les frères Kouninef, mais aussi les
pressions exercées sur leurs collègues de l’Aniref pour que KouGC prenne une
grande part des marchés, suivi de Ali Haddad, patron
de l’ETPHB (en détention). Il est vrai que KouGC a obtenu trois parcs, pour un
montant de 17, 8 milliards de dinars, et Ali Haddad, un seul (dans la wilaya de
Boumerdès, où une enquête est ouverte), à 2,5 milliards de dinars, mais les
deux projets n’ont pas été réalisés, alors que plus de 30% de la valeur des
marchés ont été avancés.
Saïd Barkat,
Amar Saadani et 3000 milliards de centimes de la GCA
Une enquête
judiciaire à charge et à décharge, loin de toute pression et règlement de
comptes, devra conduire inévitablement à l’audition de
Abdessalem Bouchouareb, mais surtout de Saïd Bouteflika, qui risque
également d’être épinglé dans d’autres affaires ouvertes par la justice et qui
touchent directement les hommes du clan présidentiel.
D’abord,
l’affaire Khalifa, dont la plus importante partie du dossier, à savoir Khalifa
Airways (plus précisément les transferts illicites) est restée pendante au
tribunal de Chéraga, sans que l’instruction judiciaire ne soit achevée. La
reprise de celle-ci va lever le voile sur tous les responsables politiques, à
commencer par les frères Bouteflika, qui ont bénéficié de transferts de fonds
vers l’étranger et de cartes bancaires et de crédits.
L’autre
dossier encore plus important est celui de Sonatrach, au centre duquel se
trouve l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil, et qui lui a valu, en mai
2013, un mandat d’arrêt international, lui, son épouse et ses deux enfants,
ainsi que son conseiller financier, Farid Bedjaoui. Celui-là même qui a été
condamné par la justice italienne dans le cadre des commissions de plus de 197
millions d’euros, versées par Saipem, filiale du géant pétrolier italien Eni,
aux responsables algériens pour obtenir des contrats dans le domaine de
l’énergie. Ses déboires avec la justice algérienne ont été de courte durée.
Débarqué de
son poste par le clan présidentiel, Mohamed Chorfi est remplacé par Tayeb Louh,
qui instruit les magistrats de suspendre les poursuites contre Chakib Khelil.
La même justice a évité à Amar Ghoul, alors ministre des Travaux publics,
longuement cité dans l’affaire de l’autoroute Est-Ouest, d’être convoqué par le
juge, et Saïd Bouteflika l’a désigné sénateur du tiers présidentiel, dès son
départ du ministère, lui assurant ainsi l’immunité parlementaire.
Aujourd’hui,
la justice est actionnée pour demander la levée de cette immunité à deux
anciens ministres, eux aussi sénateurs du tiers présidentiel, mais pas à Amar
Ghoul. Peut-on croire que ce dernier puisse échapper à une convocation du
tribunal criminel, qui rejugera prochainement l’affaire (après son renvoi par
la Cour suprême) ? Peu probable. Si le ministre de la Justice n’a pas, pour
l’instant, demandé la levée de l’immunité parlementaire de
Amar Ghoul, il a cependant introduit cette demande en ce qui concerne
deux autres anciens ministres, Djamel Ould Abbès et Saïd Barkat, après le refus
de ces derniers de se désister de ce statut.
Ces deux
personnalités du FLN, faut-il le rappeler, n’ont à aucun moment été inquiétées
malgré les scandales qui les ont éclaboussées. C’est sous Saïd Barkat, ancien
ministre de l’Agriculture, que l’affaire de détournement des fonds de la GCA
(Générale des concessions agricoles), destinés à l’agriculture, a éclaté au
grand jour. Au centre de ce scandale, le sulfureux Amar Saadani, alors
président de l’Assemblée nationale et proche lui aussi de Saïd Bouteflika.
L’enquête
révélera que le plus gros de ces financements, soit plus de 3000 milliards de
centimes ont été destinés à des entreprises appartenant à Amar Saadani.
Certains cadres de la GCA ont alerté les autorités, des enquêtes ont été
ouvertes, mais le principal mis en cause a réussi, grâce à ses protecteurs à la
Présidence, à échapper aux poursuites. Saïd Barkat sera évincé en 2012, mais
vite nommé sénateur du tiers présidentiel, alors que Amar
Saadani se retrouve parachuté à la tête du FLN. Les deux responsables sont
ainsi protégés de toute poursuite.
Ould Abbès,
Ghoul et Ould Kaddour
Mieux
encore. Saadani s’offre une villa à Hydra, pour plus de 70 millions de dinars,
y fait des travaux et la revend à un homme d’affaires pour 240 millions de
dinars. Il achète une société immobilière en France, où il acquiert une
résidence, avec l’appui de son ami Saïd Bouteflika. L’enquête sur le dossier de
la GCA ne s’arrêtera pas à Saïd Barkat. Elle aboutira nécessairement à
Amar Saadani et Saïd Bouteflika, celui-là même qui a évité à Djamel Ould Abbès
d’avoir des démêlés avec la justice à la suite de nombreuses
affaires.
D’abord
celles où son fils, El Wafi, arrêté à la veille de la campagne électorale
législative de 2017, avec d’importantes sommes d’argent en dinars et en
devises, qui lui auraient été remises en contrepartie de places de candidature
à la députation. Le même enfant a bénéficié d’un financement dans le cadre de
la pêche, sans qu’il ne rembourse à ce jour ses dettes. Ould Abbès devrait
également expliquer la gestion de son ancien département, le ministère de la
Solidarité, sur laquelle un rapport noir a été dressé par l’Inspection des
finances sans pour autant qu’il ne soit inquiété en raison de sa relation
privilégiée avec le frère du Président démissionnaire.
Autant dire
que tous ces dossiers ne sont en réalité qu’une boîte de Pandore qui risque
d’emporter de nombreuses personnalités du régime Bouteflika. Les mesures
d’interdiction de sortie du territoire national touchent actuellement de
nombreux cadres dirigeants, proches du cercle présidentiel, dont l’ex-PDG de
Sonatrach, Abdelmoumen Ould Kaddour, mais aussi une vingtaine d’ex-ministres et
une cinquantaine d’hommes d’affaires.
Parmi ces
derniers, 12 font actuellement l’objet d’enquêtes, dont 4, les 3 frères
Kouninef et Ali Haddad, sont déjà placés en détention, alors que Mohamed Bairi,
actionnaire avec l’homme d’affaires Mazouz dans la marque de véhicule Iveco et
vice-président du FCE (Forum des chefs d’entreprise), et Mahieddine Tahkout
sont toujours sous enquête de la gendarmerie.
Pour sa
part, Mourad Oulmi, patron de Sovac, a démenti avoir pris la fuite vers
l’étranger. Dans une déclaration à El Watan, il a expliqué «avoir reçu
une convocation alors qu’il se trouvait à l’étranger et que la deuxième
convocation est prévue pour la semaine prochaine, une fois rentré au pays».
En tout
état de cause, toutes ces affaires ciblent aussi bien la sphère économique que
politique. Leur ouverture dans un climat aussi tendu suscite déjà un vent de
panique, surtout que chaque jour, de nouveaux noms s’ajoutent à la liste des
personnes convoquées.