Nom d'utilisateur:
Mot de passe:

Se souvenir de moi

S'inscrire
Recherche:

Opinions et points de vue - Chronique Belhimer A.- Déclin des Empires

Date de création: 23-04-2019 17:31
Dernière mise à jour: 23-04-2019 17:31
Lu: 1039 fois


RELATIONS INTERNATIONALES- OPINIONS ET POINTS DE VUE – CHRONQUE BELHIMER A.- DECLIN DES EMPIRES

 

Le nouvel ordre chinois

(c) Ammar Belhimer/ Le Soir d’Algérie/Chronique « A fonds perdus »/mardi 23 avril 2019

 

«Au moins deux cents empires se sont développés et son tombés au cours de l’Histoire et les Etats-Unis ne feront pas exception », pronostique Alfred McCoy, professeur d’histoire à l’université de Wisconsin-Madison, dans le quotidien américain The Nation.(*)
L’éminent auteur ne doute pas un instant du déclin imminent du pouvoir mondial des États-Unis. C’est juste une question de temps et de circonstances, précise-t-il.
L’horizon 2025 lui paraît crédible pour acter ce déclin.
«Le déclin et la chute de la puissance mondiale américaine n’ont, bien entendu, rien de particulier dans la grande vague de l’Histoire. Après tout, au cours des 4 000 années écoulées depuis la formation du premier empire de l’humanité dans le Croissant Fertile, au moins 200 empires se sont développés, sont entrés en collision avec d’autres puissances impériales et se sont effondrés au fil du temps. Au cours du siècle dernier, deux douzaines d’États impériaux modernes sont tombés et le monde s’est très bien débrouillé à la suite de leur disparition.»
A ses yeux, la domination mondiale de Washington depuis 75 ans qui repose sur une série de piliers — «des bases militaires américaines, des sociétés multinationales, des coups d'État de la CIA et des interventions militaires étrangères» — a révélé ses premiers signes d’essoufflement pour la première fois en 2011.
Dans quel sens le déclin de la «seule superpuissance» actuelle de la planète affectera l’ordre mondial issu de l’effondrement de l’Union soviétique ?
Pour répondre à la question, l’auteur propose de revenir vers l’histoire de l’effondrement des ordres impériaux d’une planète en mutation, même si les analogies sont toujours imparfaites : « Depuis le début de l'exploration européenne au XVe siècle, quelque 90 empires, grands et petits, ont disparu. Au cours de ces mêmes siècles, toutefois, il n'y a eu que trois grands ordres mondiaux : l'âge ibérique (1494-1805), l'époque impériale britannique (1815-1914) et le système mondial de Washington (1945-2025). »
Chaque ordre repose sur un texte formel : pour l’Espagne, c’est le traité de Tordesillas en 1494, pour la Grande-Bretagne le Congrès de Vienne en 1815 et pour les Etats-Unis la Conférence de San Francisco qui a mis au point la charte des Nations-Unies en 1945.
Plus précisément, l'ordre mondial finissant de Washington a pris forme à Bretton Woods, dans le New Hampshire, en 1944, lorsque 44 pays alliés ont créé un système financier international assis sur la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, puis, à San Francisco en 1945, avec la charte des Nations-Unies.
«Si Pékin succédait à Washington en tant que puissance prééminente du monde, les futurs historiens reviendraient probablement sur son Forum Ceinture et routes, qui a réuni 130 nations à Pékin en 2017, marquant ainsi le début officiel de l'ère chinoise.»
Le règne chinois sera accompagné d’une sérieuse menace : «Le changement climatique, à mesure qu’il s’accélère, constitue la base d’un cataclysme capable de secouer un ordre mondial aussi profondément enraciné. Les effets en cascade du réchauffement planétaire seront de plus en plus évidents, non pas dans le futur lointain de 2100 (comme on le pensait), mais dans seulement 20 ans, affectant la vie de la plupart des populations de nos jours.»
Un récent rapport du groupe d'experts intergouvernemental sur les changements climatiques des Nations-Unies, publié en octobre dernier, avertit qu'il ne reste que 12 ans à l'humanité pour réduire ses émissions de carbone de 45%, faute de quoi la température dans le monde augmenterait d'au moins 1,5 degré Celsius par rapport à l'époque préindustrielle d’ici 2040 : «Cela entraînerait d’importantes inondations côtières, des tempêtes de plus en plus intenses, une sécheresse extrême, des incendies de forêt et des vagues de chaleur pouvant entraîner des dommages pouvant atteindre 54 000 milliards de dollars. Dans quelques décennies, le réchauffement climatique, en l'absence de mesures héroïques, atteindrait un dangereux 2 degrés Celsius, avec encore plus de ravages.»
L'impact géopolitique du changement climatique se fait déjà sentir dans notre région, le Bassin méditerranéen, qui compte 466 millions d'habitants, où les températures en 2016 avaient déjà dépassé les 1,3 degré Celsius par rapport aux niveaux préindustriels (la moyenne mondiale actuelle étant toujours autour de 0,85 degrés).
Alors que la puissance mondiale de Washington s’essouffle et que son ordre mondial s’affaiblit, Pékin s’emploie à mettre en place un système alternatif conforme, avec pour trait caractéristique fondamental la subordination des droits de l’homme à une extension de la souveraineté des États.
Plus généralement, Pékin construit un système international alternatif tout à fait distinct de l’ordre institutionnel hérité de la fin de la Seconde Guerre mondiale.
En contrepoids à l'OTAN, la Chine a créé l'Organisation de coopération de Shanghai (Shanghai Cooperation) en 2001, un bloc sécuritaire et économique orienté vers l'est de l'Eurasie grâce à l'adhésion de pays comme la Russie, l'Inde et le Pakistan.
En contrepoids de la Banque mondiale, elle a créé en 2016 la Banque asiatique de développement des infrastructures, qui a rapidement attiré 70 pays membres et a été capitalisée à hauteur de 100 milliards de dollars, soit près de la moitié des fonds de la Banque mondiale.
Ce sont les assises de la nouvelle route de la soie qui mobilisent 1,3 billion de dollars, soit dix fois plus que le plan Marshall américain, qui a reconstruit une Europe ravagée après la Seconde Guerre mondiale. Pékin s’applique aujourd’hui à réunir jusqu’à 8 000 milliards de dollars supplémentaires pour financer 1 700 projets en une décennie, dans 76 pays d'Afrique et d'Eurasie, où vit la moitié de l'humanité, dans une infrastructure commerciale intégrée.
«En abandonnant les idéaux actuels des droits de l'Homme et de la primauté du droit, un tel ordre mondial futur serait probablement régi par la realpolitik brute de l'avantage commercial et de l'intérêt national», conclut Alfred McCoy.

(*) Alfred McCoy, The End of Our World Order Is Imminent , The Nation, 28 février 2019, https://www.thenation.com/article/end-of-world-order-empire-climate-change/