POLITIQUE- BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH- ÉTUDE
MAHIOUT MERHAB- « POUVOIR ASSASSIN ! »
Pouvoir assassin ! Etude de Mahiout Merhab. Tafat Editions, Alger
2018, 239 pages, 600 dinars.
Printemps 2001. La Kabylie. Durant de longues
semaines, en avril-mai et juin, des émeutes d’une violence inégalée dans l’histoire
récente du pays. Bien plus que le printemps d’Avril 80 où il n’y avait que des
revendications politico-culturelles. Ici, on a un face-à-face sanglant , opposant une jeunesse révoltée, aux
revendications socio-économiques en plus de celles politiques , marginalisée, décidée
à dire publiquement ses vérités à un système politique soft et mielleux en apparence (le
« système » Bouteflika en construction) mais , en profondeur, encore
plus autoritariste que tous les autres. On aura une répression sauvage des
manifestations.
Bilan . Lourd, très lourd : plus de 120 morts et des
centaines de blessés, handicapés pour la vie pour certains. Tous des jeunes à
la fleur de l’âge..
Au départ, une « bavure » policière
( ?!). Avec la mort d’un jeune lycéen, Guermah
Massinissa, 19 ans à peine, préparant son bac, dans les locaux de la gendarmerie
nationale d’Ath Douala (on dit qu’un
gendarme maladroit avait laissé échapper son arme, blessant ainsi grièvement
les (deux) lycéens interpellés suite, dit-on, à un banal chahut de quartier, ainsi qu’un
gendarme) ......et une déclaration plus
que maladroite sinon provocatrice du ministre de l’Intérieur de l’époque, un
bien-nommé, un homme du premier cercle du pouvoir de l’heure. Pour lui,
Massinissa « n’était pas un lycéen », sous-entendant qu’il s’agissait
d’un délinquant de 26 ans, « arrêté parce que soupçonné de vol », comme
si la valeur humaine n’était pas, à ses
yeux, la même pour tous les êtres. Le signe attendu par les lycéens de toute la
Kabylie pour descendre dans la rue.
Il ne faut pas oublier, de plus, qu’en
septembre 1999, à Tizi-Ouzou, le président A. Bouteflika (« un homme issu
du noyau dur de l’arabo-islamisme », une idéologie « qui a fait
de la négation de tout pluralisme identitaire un absolu politique » nous
dit l’auteur et il n’pas totalement tort) avait publiquement menacé la région
en disant qu’il « était venu pour crever votre ballon de baudruche ».
Plus provocateur que ça, tu meurs ! De l’arrogance, du mépris....et,
surtout, de l’ignorance crasse des nouveaux ressorts profonds de la société et
de sa jeunesse et la naïveté de se croire une sorte de « messie » de
la politique et du pays . En face, une génération
« atypique » qui a grandi dans la paradigme de la crise (la décennie
rouge) , aussi bien politique , économique que morale et à laquelle on n’a
laissé que la rue , et l’émeute et la « harga »
comme lieux et moyens d’ expression... Ulac Smha Ulac ! Ne pas oublier.
Normal !
Donc, une insurrection juvénile qui a
engendré une crise politique qui a mis toute une région emblématique du pays au
bord de la communauté nationale. Bon nombre d’institutions de l‘Etat ont tout
bonnement cessé de fonctionner et ce, durant des semaines et des mois ayant
suivi la déflagration. La Kabylie était quasi-interdite d’accès aux
officiels...et les élections programmées ont purement simplement été empêchées.
Donc, un puissant mouvement de contestation
politique (la demande identitaire n’étant présente qu’en arrière-plan) initiée
par la génération de ceux qui avaient 20 ans à la fin des années 90 et qui
n’ont connu qu’une Algérie « terrorisée » – et dont les
conséquences sur la génération de ceux
qui ont vingt ans à la fin des années 2010 et qui ne connaissent de l’Algérie
que le «bouteflikisme», se font (se feront) sentir
plus ou moins, aujourd’hui :.
D’abord, il y a la haine du
« Système » (celui qui perdure depuis l’Indépendance
; et, depuis 2000 encore bien plus) .Le Système ? Une organisation quasi –mafieuse qui refuse
toute ouverture sur les attentes et les aspirations de la société, qui contrôle
la rente et qui refuse la démocratie et le pluralisme vrais sous toutes leurs
formes.
Ensuite, une sorte de forme de
« commandement collectif » (on a eu en 2001, le « Mouvement des
Coordinations » qui a pris en main la destinée de la protestation)
remettant en cause la pratique politique sous sa forme classique et le retour
du local comme champ d’action politique alternatif
Enfin, il y a ,malgré la « sauvagerie »
de la répression, la (re-) naissance d’un patriotisme
(pas le nationalisme radical et aveugle )
formidable qui a su éviter au pays les séismes politiques entraînant la
dislocation du pays et a pu récupérer tout ou parties des symboles
auparavant exploités à des fins politiciennes et même mercantiles (les langues
nationales, l’emblème, l’histoire de la révolution armée....)
Il y a , aussi, une
certaine mise à l’écart des partis politiques traditionnels
Bien sûr, la volonté et l’engagement des
« leaders médiatiques » et la gestion horizontale ne suffisent jamais à porter une « révolution »,
les militants mélangeant souvent, sinon toujours (et tout particulièrement
quand le mouvement n’est pas irrigué par les idées claires que seules des
élites, toujours objet de méfiance comme au temps de la guerre de libération, peuvent produire.....et quand il n’est pas
conduit par un centre de commandement ou de coordination unifié), les
revendications et les exigences , le tout débouchant sur des impasses conceptuelles....et,
à moyen et long termes, menant soit à la
récupération par les « restes » du Système soit à l’échec.
L’Auteur : Né
en 1972, enseignant de profession, passionné de lecture et d’écriture. Première
publication.
Extraits : «
Comme à chaque fois que la population se mobilise, la classe politique choisit
le confort de la facilité en recourant à la thèse de la manipulation par les
clans du système. Comme si la société était génétiquement incapable de se
prendre en charge de manière autonome.....Cet atavisme renvoie à un
soubassement politico-idéologique qui considère que seul le système peut faire
bouger la société , à l’exclusion de tout autre ressort »(p 93), « Le
retour aux structures d’organisations locales est symptomatique de la crise de
la représentation politique et des désillusions sociales » (p 141),
« Une corrélation entre succès populaires et poussée de la radicalité a
été observée :plus le mouvement enregistre des succès populaires, plus la
fièvre radicale augmente, sans pour autant redescendre au moment du reflux de
la mobilisation .» (p 161)
Avis : A lire (par le
citoyen lambda, les partis politiques, les « décideurs » et autres
administrateurs...les jeunes aussi) pour mieux comprendre ce qui se passe en Algérie
depuis le 22 février 2019, et surtout pour mieux saisir le déroulement d’une
« révolution », avec ses montées en cadence, ses surenchères, ses
lacunes, ses ambitions, ses récupérations, ses victoires et ses échecs.
Riches annexes avec des documents
concernant Illoula Oumalou,
El Kseur, les revendications, le rejet des
élections....
Citations : « Le vertige du large a cette particularité de faire oublier une
règle de base commune à toute communauté
humaine : La confiance accordée engage autant , sinon plus, celui
qui la reçoit que celui qui l’accorde » (pp 20-21), « Notre sport
favori est de chercher à tout problème, non plus une solution, mais un
coupable. C’est un trait de caractère hérité du nationalisme et qui a diffusé
dans la société » (p 23), « Dans le logiciel de ce parti (ndlr :
le Ffs, mais c’est aussi le cas pour presque tous les
autres partis et organisations professionnelles dites de masse) , il n’y a que deux acteurs capables de faire bouger la
rue : lui et le système. Douloureusement, les jeunes révoltés lui ont
imposé d’apprendre à compter jusqu’à trois ! » (p 95), « La
Kabylie est la bouche d’un volcan dont
le gisement souterrain de lave en fusion couvre toute l’étendue du territoire
national. Elle est la faille d’un séisme, par laquelle l’énergie contenue fait
irruption » (p 197. Kateb Yacine cité)