CULTURE- BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH- ÉTUDE
ALI AID- « L’ALGÉRIE DANS LE JEU DU CINÉMA FRANÇAIS.... »
L’Algérie dans le jeu du cinéma français,
1897-1962. Etude de Ali Aid. Enag
Editions ,
Alger 2017 , 550 dinars,260
pages.
De 1911 à 1962, les cinéastes français ont
tourné une centaine de films environ en Algérie (voir liste et descriptif en annexe,
p 241) .....dont une cinquantaine de production étant
des adaptations de romans, de pièces de théâtre, de drames et de biographies.
Globalement, ils ont choisi la glorification
directe de la conquête, de ses bienfaits, de ses « apports » à
l’Algérie et à ses populations. Le parti-pris manifeste « gomme les Algériens » et , dans les meilleurs des cas , les cinéastes (tous ou
presque tous) « les utilisent en
produits sous-jacents pour des arrières –plans douteux »
Au départ, à l’époque où les techniques
cinématographiques étaient rudimentaires (et période durant laquelle les seules
salles étaient dans les villes et les quartiers européens et les publics étaient –quasi-totalement- les seuls français ) on a eu droit à des images
« tournés » sur le vif sur des sujets en apparence réalistes
mais aux reflets « exotiques ». En face d’une
« mère-patrie » noble et lissée, les autochtones sont saisis en
groupes, voilés, dans des rues délabrées au pied de murs fissurés...... Ainsi,
« L’Appel du Muezzin » est une « véritable caricature animée
soumettant son personnage aux lois d’une pesanteur déréglée », installant
l’islam « comme un capharnaüm de cultes barbares et insolites ».Objectif ,conscient ou non...soutenir le colonialisme en
quête de maintien de la société algérienne....
à faire évoluer !
Une parenthèse....celle de la Grande guerre
(14-18)...le système lâchant un peu de lest .Les images parlent de
« dévouement ». Les comportements racistes sont momentanément mis de
côté. ... La « chair à canon » - Les Indochinois, les Maghrébins, les
Africains - est « ménagée » et
leurs fêtes respectives sont célébrées avec faste et bruit....Tous ces hommes
ne sont plus des « sauvages » à libérer ,
mais des « hommes » venus libérer la République .
Une (petite) parenthèse qui ne va pas
durer....Les « anciens combattants », les indigènes issus des colonies sont assez vite
renvoyés aux oubliettes. La fin de la guerre redynamise la production
cinématographique mais « elle n’éloigne pas pour autant les bobines des
voies faussées ». .L’image des Algériens exploitables revient au
galop ; et « les voilà affublés de nouveau de tous les maux de la
vie ». « Des hommes à histoires, un peuple sans Histoire ».
D’ailleurs, à
travers toute la production cinématographique, les Algérien(ne)s ne sont
que rarement associé(e)s....surtout comme figurant(e)s à la mine patibulaire ou
confiné(e)s dans des rôles de serviteurs, de guides, de chauffeurs,de
proxénètes et de bandits sans foi ni loi, de gibiers de potence , de
sauvages, de barbares, d’épouses asservies,de servantes, de femmes faciles partiellement
nues, de prostituées.... dans des contrées attardées. Bien sûr, on a eu Mohamed
Iguerbouchen (pour la musique de certains films),
Tahar Hannache, Himoud Brahimi, Ksentini Ahmed.....et
d’autres noms qui traversent
, tous et toutes, les génériques à grande vitesse. Des places de
faire-valoir...... comme les décors d’ailleurs, conçus pour la plupart de
l’autre côté de la mer, avec des raccords d’extérieurs, comme ceux de la
Casbah, filmés à Marseille et à
Sète.....défigurant ainsi les réalités.
Une telle démarche ne changera pas jusqu’à
l’indépendance du pays. On peut même affirmer que cela a été de mal en pis ,
« l’ image (bien lissée) supplantant l’histoire (en vérité
tragique) » (comme pour les massacres du
8 mai 1945), l’inimitié (ou la haine ou la rancune ......et il n’y a qu’à se référer au fameux article 4 de
la fameuse loi du 23 février 2005,
évoquant le « rôle positif de la présence française outre-mer »....et
attendre octobre 1999 pour que le
Parlement français reconnaisse
« l’état de guerre en Algérie » dans les années 50.....et le film
« J’ai huit ans » de Poliakoff et Le Masson, réalisé en 1961 n’a
obtenu son visa de diffusion......qu’en 1974 ) allant de mal en pis au fur et à
mesure de la montée en puissance et en actes (à partir de 54) de la résistance
et du déclenchement de la guerre de libération nationale . Les récits restent
enfermés dans leur histoire, sans se défaire de l’obsession colonialiste. Et,
alors que « la guerre fait rage, les images parlent de paix », les
conflits n’étant pas abordés ouvertement et l’attachement à la vision
colonialiste persistant pernicieusement . « L’Algérien
passe du sauvage à le hors-la –loi, de malfaiteur à criminel et de brigand à
terroriste » .
Peu d’exceptions. Il a fallu que des cinéastes (français comme René Vautier dès 49 à sa sortie de l’Idhec
–avec un film « Africa 50 », tout de suite
interdit et projeté publiquement seulement dans les années 90 - , Cécile Decugis,Pierre Clément, Yann le Masson et Olga Poliakoff,
Jacques Panijel ou Algériens comme Djamel Tchanderli et
.... un peu
Jean-Luc Godard avec « Le petit soldat », mettant en scène un
déserteur, tourné en en Suisse en 1960 et vite interdit de diffusion en
France .....) « prennent
le maquis » et filment la
réalité parfois en remontant le temps,
dévoilant ainsi les abominations du
colonialisme. Aujourd’hui encore,en
France, le « (beau) temps
colonial », à quelques rares exceptions près, reste encore dominant soit
au niveau des productions soit au niveau des débats.
Quelques titres dont la seule lecture , à elle seule, annonce un certain
contenu , sans parler des premières productions franchement islamophobes
et racistes, comme « Le Musulman rigolo » en 1897 ou
« Le Sorcier arabe »,
« Vengeance Kabyle » (1911), « Visages voilés, âmes
closes » ( 1921) , « Sarati le terrible » (1922), « La fille des
Pachas » (1926), « L’Esclave blanche » (1927), « Dans
l’ombre du harem » (1928), « Le Bled » (1928), « El Guelmouna » (1931), « Ombres sur le Rif »
(1932), « Tartarin de
Tarascon » (1934), « Légion d’honneur » (1937), « Pépé le
Moko » (1937), « Sos Sahara » (1938), « L’Appel du
Bled » (1942), « L’Escadron blanc » (1949), « La soif des
hommes » (1949), « Au cœur de
la Kasbah » (1951), « Sidi Bel Abbès »
(1953), « Les Suspects »
(1957), « Sergent X » (1959)....
L’Auteur : Né en
1954 à Azzefoun. Etudes à l’Ehdss-Cinéma
de Paris . Plusieurs études et articles .....journaliste reporter.
Extraits : « Les cinéastes, indissociables de l’histoire qui
les porte, épousent les contours des situations ambiantes. Ils chargent leurs
bobines de préjugés rentables et incitent les consommateurs à ne regarder les
choses qu’en surface. Leur cinéma s’arroge d’entrée le rôle de miroir déformant
des réalités visibles et de traducteur des desseins colonialistes » (p 12), « Que
le sujet soit en relation ou non avec l’Algérie, l’éviction de ses fondements
sociologiques et de sa réalité accompagne la colonisation au-delà de
l’indépendance » (p 67), « La progression du récit situe les
Algériens ignorants, têtus et irresponsables. Menaçants, conservateurs, inaptes
au progrès, ils tendent une embuscade à leurs bienfaiteurs et pour ennoblir la
culture, l’Européen et la science qu’ il met en avant, l’auteur ,pétri par
les préjugés fixés par ses prédécesseurs, fait de sorte que ces
« arriérés » blessent la princesse (commentaire du film
« Vénus », 1930) » (p 97), « L’industrie, l’agriculture et
les infrastructures sont filmées et commentées avec passion et ardeur en
justifications de la colonisation. Le présentateur (d’un film réalisé pour le
compte du Gouvernement général, en janvier 1949) les expose presque d’un
souffle. Les points et les virgules trouvent tout juste l’espace nécessaire au
soupir dans son commentaire » (p 145)
Avis : Passionnant.
Les vérités sur l’essence du colonialisme - et de ses suppôts - à travers les films coloniaux et l’esprit
colonialiste.
Citations : « En
Algérie, comme en Métropole, seuls l’exotisme et les rêveries irriguent les
écrans » (p 41) « L’Algérien en tant qu’être n’intéresse pas les
cinéastes de la colonisation.
L’important est en ce qu’il représente : la peur. Et dans ce que la
manière dont il est filmé provoque :le
rejet » (p 50), « La cause commune aux colonisateurs et aux
cinéastes exclut l’Algérie de sa terre, de sa maison, de sa cité et de son
histoire ; c’est dans l’ordre de la logique colonialiste. La France tente
d’absorber l’Algérie en substituant son histoire à la sienne » (p
51), « L’Algérie, reliée à la
France à coups de sabre, de canon, de lois scélérates et de manipulations
extrêmes, est maintenue hors de son histoire » (p 74)