HISTOIRE – BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH-
ENQUÊTE KAMEL BENIAICHE –« SÉTIF, LA FOSSE COMMUNE.... »
Sétif, la fosse commune. Massacres du 8
mai 1945. Enquête de Kamel Beniaiche
(Préface de Gilles Manceron). El Ibriz
Editions, Alger 2016, 900 dinras, 337 pages
Mardi 8 mai 1945 : Le monde libre scelle
la capitulation des armées nazies.
Le matin, la ville de Sétif est en
ébullition. La cité a été repeinte pour l’occasion....Une ambiance de kermesse.
C’est, de plus, jour du marché hebdomadaire, ce qui a amené à la ville bon
nombre de ruraux.
Environ 8 000 Algériens, sans armes et sans
« aâssa » (canne habituelle) doivent
défiler , pacifiquement, scouts en tête (répondant à l’appel de l’AML
et du PPA, interdit depuis 1939, selon l’auteur, p 38) ...et aller déposer une gerbe de fleurs au
monument aux morts, et seulement « brandir des slogans politiques », « démontrant
leur bonne foi ». Car, des dizaines de milliers d’Algériens sont morts
pour libérer l’Europe du nazisme . La France coloniale
(dont une bonne partie avait épousé la « cause » nazie à
travers le pétainisme) l’oublie assez vite. En cours de route, le drapeau
algérien est brandi......Bousculade. Saâl Bouzid est abattu par le policier européen Olivieri ( Peur ? Une
« autorité » mal contrôlée ? Exécution d’
ordres venus d’en haut ? Ou , provocation
délibérée ?....). D’autres tirs et « chasse à l’Arabe » . Réaction de la foule...à Sétif et ailleurs, la
rumeur ayant la part belle : 103 morts et 110 blessés européens....Répression
féroce .....même dans les endroits de la région (et du pays) où il n‘y eut
aucun incident durant les défilés.....Jusqu’à Guelma . Kherrata, El Eulma,
Bordj Bou Arréridj,Ain El Kébira,
Bougaa, Ain Abbasa, Bouandas, El Ouricia......
45 000 morts algériens (6 000 tués et 14 000 blessés selon le
Gouvernement général de l’époque) , des exécutions sommaires (dans une
« chasse aux merles » menée par les troupes – composées entre autres
de légionnaires, de soldats sénégalais et marocains - et les milices formées de
colons haineux), des emprisonnements sans jugement ou suite à des procès
expéditifs, des milliers de disparus sans sépulture victimes d’exécutions extra-judiciaires, des charniers sans compter (dont
beaucoup restent encore à découvrir), des villages et douars entiers bombardés, mitraillés et détruits
(300 sorties aériennes en six jours et pilonnages des montagnes des Babors par les forces navales –dont le croiseur
« Duguay –Trouin » - à partir des rivages
de Bejaia et Jijel ) , des familles et
des tribus décimées, des viols, des incendies, des humiliations publiques, des
cadavres sans sépulture livrés aux chacals et aux chiens.........les leaders
politiques nationalistes accusés d’être responsables des « émeutes »
et emprisonnés (à l’exemple du « Tigre », Ferhat Abbas et du Dr Ahmed Saâdane
–qui furent arrêtés dans le salon d’attente du gouverneur général d’Alger, le 8
mai 1945 à 10 h 30. Mis au secret, ils n’apprirent les événements du
Constantinois que deux semaines après -
et de Cheikh Bachir Brahimi.....et, même Mme
F. Abbas, Marcelle Stoetzel, sera malmenée et écrouée à El Harrach, puis à
Alkbou, puis
en résidence surveillée, à Mascara) , des interdictions de
séjours.....des traumatismes pour la vie, que l’on redécouvre à travers les
témoignages recueillis auprès de survivants. Même les enfants ne sont pas
épargnés. Ainsi , 17 collégiens sont priés «de quitter
les bancs du collège » (ex-Albertini) pour avoir participé à la manifestation de
Sétif....On y retrouve les noms de ......Kateb Yacine, Abdelhamid Benzine, Benmahmoud
Mahmoud, Mostefai Seghir, Maïza Mohamed Tahar, Zeriati
Abdelkader, Torche M-Kamel, Khïer Taklit,
Abdeslam Belaïd, Djemame Abderezak........et , certains seront, par ailleurs, emprisonnés. Un
véritable massacre en « vase clos », la pressse
coloniale (mis à part, un peu plus tard, « le Courrier algérien ») et , aussi , « métropolitaine » (comme « Le
Monde » ou « Le Figaro ») n’évoquant que les morts européennes.
Seules les révélations du Consul général britannique à Alger, Carvell et du consul
de Suisse à Alger, Arber, lèveront, par la suite , le voile sur
une partie de l’holocauste. De Gaulle, qui dirigeait alors la France
(gouvernement provisoire) , ne lui a consacré que deux
lignes dans ses « Mémoires ».
L’Auteur : Né
à Sétif en juin 1959. Ancien professeur de l’Enseignement secondaire,
journaliste correspondant d’ « El Watan »
(bureau de Sétif) depuis juin 1996.
Extraits : « On
ne déclenche pas une insurrection avec des mains vides, des cailloux ou des
chaises du café de France. Les incidents qui se sont produits dans tous les
coins de la région de Sétif ne sont ni plus ni moins qu’une révolte des damnés
humiliés par la faim, la misère, les maladies, les injustices et les servitudes »
(Un acteur des événements, p 18) , « On ne m’avait pas envoyé dans le trou
pour avoir commis un délit, mais pour le seul crime d’être un indigène aspirant
, comme beaucoup d’autres, à une citoyenneté pleine et entière » ( Cheikh
Ahmed, p 64)
Avis : Onze
années de recherche et cinquante témoins . Un livre
– pas facile à lire - qui fourmille de détails sanglants et émouvants. Un livre
qui alimente la nécessaire réflexion sur
les responsabilités françaises dans la répression (un « crime
d’Etat » selon le préfacier Gilles Manceron) mais aussi qui pousse à s’interroger sur les
responsabilités personnelles et particulières...... Un ouvrage qui n’oublie pas
de mentionner les meurtres et les violences commises à l’encontre d’Européens
Un ouvrage qui est, aussi, disponible en
arabe (nouvelle couverture et à compte d’auteur. Edité en 2018) .
Citation : « Le
drame de mai 1945 est ancré dans ma tête. Il a scellé la rupture et construit
la haine. Au fil du temps, celle-ci s’est accentuée. Les rapports entre
musulmans et colons ne sont plus les mêmes.......Le déclenchement de la Guerre
de Libération réveille l’hémorragie qui sommeillait en nous » (Essaïd, p149),