COMMUNICATION- OPINIONS ET POINTS
DE VUE- PROPAGANDE- KITOUNI HOSNI
(c) El Watan/KITOUNI HOSNI, lundi 1 AVRIL
2019
Déstabiliser le régime
ou le peuple ?
Les dessous de la campagne de désinformation en cours
La presse et les réseaux sociaux se sont fait l’écho d’un article
écrit par un général français, Dominique Delawarde en
l’occurrence, sous le titre «Algérie : révolte spontanée ou déstabilisation
préméditée et organisée ?», selon lequel le duo américano-israélien
mènerait actuellement dans notre pays une campagne de déstabilisation, les
manifestations en cours n’en seraient qu’une étape. Leur stratégie, conduire au
chaos et par la suite installer un pouvoir favorable à leurs intérêts.
Dans la
lutte actuelle pour l’hégémonie mondiale, entre le camp Etats-Unis-OTAN-Israël
et celui ayant pour noyau la Russie- Chine-Inde, l’Algérie, selon Dominique
Delaware, a su sauvegarder son indépendance en adoptant trois positions jugées
inadmissibles par le camp occidental : bonnes relations avec la Russie,
l’Iran et Bachar Al Assad
de Syrie ; refus de participer à la grande
coalition saoudienne au Yémen ; soutien continu à la cause
palestinienne.
Pour
Dominique Delawarde, le duo USA–Israël
veut se débarrasser de Bouteflika. Il applique à l’Algérie le scénario syrien,
raison pour laquelle, affirme-t-il, « je
ne crois pas à la spontanéité de tous les événements qui agitent aujourd’hui la
rue algérienne». Ces allégations auraient pu
paraître banales en raison du manque de preuves tangibles, mais les
circonstances très sensibles que traverse le pays en ont décidé autrement.
Elles font le buzz ! Nous avons donc voulu interroger
le texte de Dominique Delawarde, enquêter
sur ses sources pour savoir exactement de quoi il retourne et que vise le
propos dans le contexte actuel ?
Qui est
Dominique Delawarde ?
C’est un
général à la retraite, le dernier poste qu’il a occupé est chef du service
«Situation-Renseignement-Guerre électronique » à l’état-major interarmées
de planification opérationnelle. Spécialiste en guerre électronique, il a servi
plus de 8 ans dans différents pays en situation de crise.
Franc-maçon,
membre du Comité Valmy, un cercle souverainiste français, il est proche de
Moscou et de l’Iran, il a souvent prêté son expertise et sa plume aux causes de
ces deux pays, notamment dans l’affaire Skripal
(agent double russe empoisonné en Angleterre) ou encore celle des attaques
chimiques en Syrie. En France, il est connu pour appartenir à la mouvance
souverainiste proche de Gérard de Villiers. Rien, absolument rien ne le
prédispose à parler de l’Algérie sinon ses accointances avec d’obscurs réseaux.
Voilà pour l’homme ; qu’en est-il pour le site propagateur de l’article ?
Le site
www.Breizh-Info.com qui a mis en ligne l’article appartient à l’extrême droite
française, il est dirigé par Yann Vallerie, ancien
président de Jeune Bretagne, un groupuscule d’extrême droite lié au Bloc
Identitaire et disparu en 2014, il est également ancien membre d’Adsav, un groupe de l’extrême droite indépendantiste
bretonne.
L’article
du général Dominique Delawarde est publié le 22 mars
2019, soit trois jours après que les Russes aient reçu Ramtane
Lamamra à Moscou et déclaré par la voix de leur
ministre des Affaires étrangères s’opposer à « toute
ingérence dans les affaires internes de l’Algérie». Déclaration laissant supposer l’existence de forces
extranationales parmi les protagonistes de la crise algérienne. On peut
considérer que l’article du général venait à point nommé pour donner à la
déclaration russe les éléments de langage dont elle avait besoin.
Les sources
de Dominique Delawarde ?
Ne nous
arrêtons pas à son argumentaire, il est sans intérêt, attachons-nous plutôt à
analyser ses sources et les réseaux auxquels ils appartiennent. Il cite deux
sites russes, Sputnik et RT France relayant les
positions officielles de ce pays, et un article paru sur le blog http://stratediplo.blogspot.com.
Les
alertes de Stratediplo est un blog d’obédience ultra
droite souverainiste. En date du 13 mars 2019, il a mis en ligne un article
sans nom d’auteur sous le titre : «Déstabilisation de l’Algérie». Dès le
chapeau, le ton est donné : «La fièvre
du vendredi matin, que l’on constatait en Syrie en juin 2011, touche à présent
l’Algérie» (on a l’impression de lire Ouyahia). L’article est truffé de fausses informations, de
tics complotistes, d’allégations mensongères tendant
à faire accroire à un vaste complot ourdi par le duo Etats-Unis – Israël visant
à chasser le président Bouteflika.
Le complot
existerait de longue date, depuis le mouvement Barakat
et il se poursuivrait avec les manifestations du 22 février. En effet, il est
écrit : «Dans tout le pays, en fin de
matinée et en synchronie surprenante, les gens se sont spontanément mis à
manifester en sortant des dizaines de mosquées des grandes villes, comme si une
révélation prophétique leur était soudainement apparue sans que personne ne leur
donne de consigne.»
Alors
qu’en Kabylie «la réaction assez générale des
journaux et des réseaux sociaux semble être un appel à la sécession.» (sic) Les manifestations pacifiques
prépareraient selon l’auteur une situation de chaos qui conduirait à une intervention
militaire en cours de préparation au Maroc où «dans un centre de coordination installé à Rabat, un certain
nombre d’agents étatsuniens, marocains et de spécialistes d’Otpor
(l’agence initialement serbe financée par Soros pour
les “révolutions de couleur”) travailleraient depuis déjà un an à la
planification, au financement et au ravitaillement de mouvements activistes en
Algérie, et des cadres algériens auraient suivi là six mois de formation
intensive.
Deux
douzaines d’officiers étatsuniens, marocains, serbes et français (et quelques
Algériens félons), seraient déjà à pied d’œuvre dans deux états-majors de
conduite opérationnelle déployés à Oujda et Er Rachidia
(Maroc), et des dizaines d’autres formeraient déjà un millier de futurs
miliciens dans trois camps d’entraînement (dont un en Mauritanie), tandis que
deux bases de soutien logistique auraient été installées en Tunisie.»
Mais d’où
l’auteur de ces affirmations tient-il ses informations ? Il dit les avoir
tirées d’un article publié le même jour, le 13 mars 2019, par le site
électronique algérien Algérie Patriotique, sous le titre : «Un plan de
destruction de l’Algérie est entré en action à partir du Maroc».
Etrange coïncidence !
Comment
cela se peut-il qu’un journaliste professionnel attende la dernière minute pour
aller pêcher son information principale dans une publication parue le même jour
et à la même heure sur un site étranger ? Plus intrigant encore, Algérie
Patriotique n’en est pas producteur, mais le relais. Allons voir du côté d’Algérie
Patriotique.
Algérie
patriotique et la source iranienne
Youcef Benzatat, auteur de l’article que cite
largement le blog alertes de Stratediplo,
donne les détails techniques sur les camps de mercenaires qui se prépareraient
à attaquer l’Algérie. Il dit détenir ces informations d’un analyste iranien,
Mohammed Sadeg Al Hosseini,
qui les aurait obtenues d’«une source
(américaine) de renseignements spécialisée dans l’analyse des mouvements
populaires dans le monde». Ce
Mohammed Sadeg Al Hosseini,
ancien conseiller du président iranien Khatami, est
connu pour être un propagandiste alimentant par ses articles des sites complotistes de la blogosphère. Quant à la source
américaine à l’origine de ces informations, nous n’en saurons rien, puisque ni Benzatat ni son informateur ne la dévoilent.
Résumons
Le 22
mars, le général français spécialiste en «désinformation électronique» publie
sur un site d’extrême droite un article décrivant un projet de déstabilisation
de l’Algérie. Il dit détenir ses informations de deux sites russes et d’un
article paru le 13 mars sur un site de l’extrême droite française. Ce dernier
reprend in extenso les informations données par Y. Benzatat
d’Algérie Patriotique qui affirme les détenir d’un analyste iranien, qui
atteste les reprendre de révélations faites par un spécialiste américain
inconnu au bataillon. Voilà comment se fabrique une fake
new. Une sorte de vases communicants qui débouchent sur le vide.
Les
propagateurs…
L’article
de Dominique Delawarde est vite repris par Press TV, un site de la TV iranienne :
www.presstv.com. Le site de la chaîne Al Manar-Liban (Hezbollah chiite) :
www.french.almanar.com. Le site d’extrême droite français www.auxfrontieres.com
Le site pro-iranien www.parstoday.com
Pour avoir
une idée de la ligne éditoriale du site Parstoday,
rappelons les titres de ses derniers articles : Algérie : Riyad/ Tel-Aviv se
réactivent ; Algérie : la mise en garde russe ; Algérie, les USA menacent
! ; L’Algérie et l’objectif occidental ; Algérie : «les mains sales
israélo-américaines»…
En
Algérie, c’est le site Raina.com qui se présente comme le porte-voix d’une
« alternative anticapitaliste» qui, dès le 23 mars, publie l’article in
extenso dans sa rubrique contribution en précisant qu’il l’a reçu directement
de son auteur. Ensuite, le texte du général spécialiste de la guerre
électronique fait le buzz…
Entendons-nous
bien, ce qui pose problème dans ces prises de position se relayant les unes les
autres, ce n’est pas de vouloir attirer l’attention sur une hostilité avérée du
camp occidental à l’égard de notre pays. Personne de sensé ne peut en douter.
Ce qui doit être dénoncé avec vigueur, ce sont les sous-entendus selon lesquels
les manifestations actuelles feraient partie d’un plan de déstabilisation
visant l’Algérie. Parce que cette thèse fait l’impasse sur l’origine réelle de
la crise et qu’elle tente de réveiller chez les Algériens les vieux démons de
la peur, elle doit être fermement dénoncée.
Qui a intérêt à promouvoir la thèse
du complot ourdi ?
La
question qui se pose est celle-là : pourquoi la thèse de la déstabilisation
extérieure a pris de la vivacité juste après le voyage de Ramtane
Lamamra à Moscou ? Pourquoi ce sont les sites de la
mouvance souverainiste française et ceux proches de l’Iran et de la Russie qui
la propagent ?
A cette
série de questions, vient s’ajouter une autre essentielle : qui a intérêt à
voir échouer le Hirak ?
L’entrée
en force du peuple algérien sur la scène politique, l’exemplarité de sa
mobilisation, la créativité, l’inventivité dont il fait preuve font peur au
pouvoir algérien, mais aussi bien au-delà. Qu’en Algérie un mouvement populaire
d’une ampleur sans précédent réussisse à mobiliser dans le calme et la bonne
humeur des millions de personnes pour réclamer la chute du régime et la fin
d’un système prédateur n’est pas pour plaire aux maîtres du monde, qu’ils
soient de l’Est ou de l’Ouest. Un peuple debout est toujours un mauvais
exemple.
Mauvais
exemple aussi, les formes de luttes qui sont apparues dans les manifestations
populaires, où l’auto-organisation par le bas a permis au mouvement de prendre
de l’ampleur et de libérer des potentialités créatrices.
Mauvais
exemple aussi, la dynamique politique qui a permis aux sans-voix de prendre la
parole et d’avancer leurs revendications pour le changement pacifique. Les
élites traditionnelles se trouvant ainsi dépassées et obligées de s’immerger
dans le peuple.
Stopper
l’insurrection éthique du peuple algérien arrange bien des oppresseurs. Il est
sûr que de nombreuses officines sont à l’œuvre ici et là, peaufinant des
stratégies, des éléments de langage, pour semer le doute parmi le peuple,
briser sa solidarité, casser son élan, le dévier de sa trajectoire et
l’entraîner sur de fausses pistes. En ces heures très difficiles, la vigilance
doit être de mise. Que tout le monde sache que nous n’avons qu’un seul
adversaire : le système actuel et qu’un seul but : donner à notre pays un Etat
réellement représentatif des aspirations de son peuple.