COMMUNICATION-
ENQUETES ET REPORTAGES- FAKE NEWS- MUSTAPHA BENFODIL
Accélération des
événements et fébrilité au sommet de l’état
Guerre des clans, rumeurs et fake news
(c) MUSTAPHA BENFODIL/El WATAN,
lundi 1 AVRIL 2019
Réunion secrète à Zéralda, arrestation de Ali Haddad, interdiction de quitter
le territoire pour un certain nombre de personnalités et d’hommes d’affaires,
supposé déploiement des forces de la Gendarmerie nationale à Alger…
Les
événements s’accélèrent frénétiquement ces derniers jours, notamment depuis les
dernières sorties médiatiques d’Ahmed Gaïd Salah,
charriant leur lot d’informations contradictoires, de récits fantasmatiques et
de sensationnel au goût douteux. Nous sommes devant le scénario-type des
dictatures agonisantes et des ambiances de fin de règne, avec la fébrilité qui
les caractérise.
C’est le
genre de micro-climats où prospèrent les rumeurs,
l’intox, et prolifèrent les fake news. Nous en avons
eu un vif aperçu samedi soir avec cette info balancée par la chaîne Echorouk TV, annonçant un déploiement massif de la
Gendarmerie nationale dans la capitale. Cela a obligé des dizaines d’Algérois à
sortir vérifier par eux-mêmes, faisant parfois de longues rondes en voiture,
jusqu’aux abords du palais d’El Mouradia et les
autres quartiers susceptibles d’être bouclés par les forces de l’ordre.
Beaucoup ont posté des images de rues désertes assorties de commentaires
acerbes.
D’autres ont répondu par l’ironie,
l’arme redoutable des «antisystème». «Selon Echorouk
de Ali Fodil, Alger est (en) état de siège», a posté
le comédien et humoriste Idir Benaibouche,
accompagnant son message d’une photo d’Alger by night et la caricature d’un
hélicoptère survolant la ville, un hélico pas plus menaçant qu’un dessin
d’enfant.
«Echorouk,
même lorsqu’ils me donnent l’heure, je vérifie sur ma montre pour être bien
sûr», se gausse Farid Kadache, l’une des
plumes les plus acérées et les plus drôles de la communauté Facebook.
Sidali Kouidri Filali –
dont la moindre saillie fait mouche – écrit de son côté : «Hey les
gars, qui croient sérieusement Echorouk TV ? Je vous
rappelle que c’est la chaîne de Belahmar, du complot
universel, des djnoune et du professeur Zaibet !»
Pour
sauver la face, Echorouk News a cru bon de diffuser
des images tard la nuit montrant des convois de véhicules de la Gendarmerie
nationale fendant une foule nocturne massée à la place Audin.
Mais rien n’y fait : pour beaucoup d’internautes, l’info était à tout le moins exagérée et créait un climat de peur. Même la
très décriée Ennahar TV a consacré un sujet à «l’infox» de sa rivale.
«Sortie de
milliers de citoyens dans les rues de la capitale pour démentir l’information
relative au déploiement de la gendarmerie», indique
la chaîne d’Anis Rahmani sur sa page Facebook en postant un reportage télé réalisé dans la
foulée. Loin de soigner sa cote de popularité, Ennahar
TV reste exécrée par un large pan de l’opinion pour son jeu trouble et sa
proximité coupable avec la «îssaba», la bande à Saïd.
Résumant la gémellité éditoriale des deux chaînes concurrentes, El Manchar titre : «Ennahar et Echorouk fusionnent dans une seule chaîne, Zigou TV».
Réunion secrète
La chaîne
dirigée par Ali Fodil fait l’objet depuis quelques
jours de tirs groupés sur les réseaux sociaux, lui reprochant notamment de
semer la confusion et de verser dans la psychose et la «désinformation», dans
un contexte extrêmement délicat, marqué par une guerre des clans féroce et de
fortes velléités de manipulation. Le pauvre Ali Fodil
qui a été enlevé, selon ses dires, jeudi dernier, dans des conditions
rocambolesques en pleine autoroute avant d’être conduit à la caserne Antar, à
Hydra, a vite perdu l’élan de sympathie que son interpellation musclée a
suscité.
Et le positionnement de sa chaîne
y est sans doute pour beaucoup. Un des sujets les plus polémiques diffusés par Echorouk News portait sur les dessous de la réunion secrète
évoquée par Gaïd Salah dans sa dernière annonce. Le
chef d’état-major de l’ANP a affirmé ce samedi que «certaines
parties malintentionnées s’affairent à préparer un plan visant à porter
atteinte à la crédibilité de l’ANP et à contourner les revendications légitimes
du peuple».
C’est ce qu’a indiqué un
communiqué du MDN qui nous apprend qu’«en date du 30 mars 2019, une
réunion a été tenue par des individus connus, dont l’identité sera dévoilée en
temps opportun, en vue de mener une campagne médiatique virulente à travers les
différents médias et sur les réseaux sociaux contre l’ANP et faire accroire à
l’opinion publique que le peuple algérien rejette l’application de l’article
102 de la Constitution».
Croyant détenir la vérité sur ces
fameux cercles occultes, Echorouk News nous explique
qu’un conclave s’est tenu mercredi dernier en présence de «responsables
du renseignement français». D’un ton martial, l’auteur du sujet avance
les noms de Saïd Bouteflika, Bachir Tartag et le
général Toufik, ainsi que «certains partis politiques qui ont
des liens avec l’étranger», qui auraient pris part à ce conclave. Les
conjurés auraient abouti à une feuille de route «dont l’objectif est de
faire des concessions à la France». Ce plan secret prévoirait,
toujours selon la même chaîne, les étapes suivantes : dissolution des deux
Chambres du Parlement, démission immédiate du président Bouteflika et
provocation d’un vide constitutionnel.
Proposition aurait été faite à
Liamine Zeroual, assure la même source, de diriger la période de transition
avec attribution d’un poste-clé au général Toufik à titre de «conseiller
sécuritaire». Cependant, c’est à l’ex-patron du DRS que reviendrait le «pouvoir
réel», et ce, «en coordination avec la France». Pour
parvenir à leurs fins, les auteurs de ce plan méphistophélique seraient prêts à
tout : ils s’emploieraient notamment à «attiser les tensions
régionales au centre et au sud du pays, et à pousser au chaos (…) sur le
modèle du scénario libyen ou vénézuélien». A terme, le but recherché
est «la création d’un gouvernement local et un autre reconnu à
l’étranger».
Les ISTN, un nid d’«infox»
La chaîne télé ajoute qu’une autre
réunion s’est tenue ce samedi 30 mars «entre le général Toufik et
l’ancien président Liamine Zeroual». Son objectif aurait été
d’étudier la mise en application du plan machiavélique présumé. Echorouk News a pris soin de préciser que Zeroual aurait
finalement rejeté ce stratagème et serait «rentré à
Batna».
D’après la chaîne, ce seraient
donc ces derniers développements qui auraient poussé Gaïd
Salah à convoquer cette importante réunion à laquelle ont pris part les «commandants
de forces, le commandant de la 1re Région militaire et le
secrétaire général du ministère de la Défense nationale», selon le
communiqué du MDN.
Il tombe sous le sens que le sujet
diffusé par Echorouk News fait des révélations très
graves qu’il est difficile d’authentifier, et de l’avis de beaucoup de
téléspectateurs, ce traitement sert surtout à donner de Gaïd
Salah l’image du «sauveur de la nation» et à transformer le «khawa-khawa» scandé
par les manifestants en blanc-seing au vice-ministre de la Défense, surtout
après que plusieurs voix, et pas des moindres, aient exprimé leur rejet du plan
de transition centré sur l’article 102.
Toujours
au chapitre des fake news, il convient aussi de faire
attention aux infos concernant les interdictions de sortie du territoire et
autres arrestations de personnalités proches du sérail. Selon le site Actu’fil, Cevital a apporté un
démenti concernant une prétendue interdiction qui aurait touché M. Rebrab.
«Issad Rebrab ne fait pas l’objet d’une interdiction de sortie du
territoire national contrairement à ce qui a été diffusé sur les réseaux
sociaux, a-t-on appris auprès de Cevital», indique
le site d’information qui ajoute : «Issad Rebrab est en train d’embarquer pour l’Allemagne où il a
des rendez-vous d’affaires en marge de la Foire d’Hanovre.» Mahieddine Tahkout a lui aussi
démenti les allégations selon lesquelles il serait concerné par une ISTN. «Contacté,
son frère Rachid dément : “Mon frère est dans son bureau. Nous travaillons
normalement”», rapporte TSA.