HISTOIRE- BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH-
ROMAN TAHAR OUETTAR- « L’AS »
L’As. Roman de Tahar Ouettar.Enap
Editions /Temps actuels-France , Alger 1983, 300
dinars (acquis chez un bouquiniste), 214 pages
Bien souvent, la naissance
d’un roman, surtout le premier, est une aventure bien plus extraordinaire que
le contenu lui-même. « L’As »
n’ est pas le premier roman, mais c'est le troisième
livre de Tahar Ouettar .
Il avait commencé par des nouvelles dont « Noua » en 1950, qui sera par
la suite adaptée au cinéma.
Donc des nouvelles, des pièces de théâtre, mais il avait surtout envie , comme il l’a
dit, de faire « un grand projet, une grande réalisation », et il
laissait toujours le sujet de « L’As » de côté car, pour lui, « c'est un sujet très
délicat ».
En 1965, il a senti le besoin de « liquider
cette affaire, de liquider tout le passé, faire un bilan général de la
Révolution algérienne ». Il était quand même bien placé au sein du parti,
membre de la commission nationale de l'orientation et de l'information, à l'époque
de Ben Bella, mais il avait vu que « cela ne va pas durer comme ça,
il y a trop d'anomalies ». La Révolution, pour lui, doit s'arrêter ou changer de direction, un
jour ou l'autre.
« Il y avait beaucoup de conflits, il y a
la nouvelle bourgeoisie qui a récupéré les anciens militants, les anciens moudjahid, les anciens maquisards, il y a aussi
l'absence de la culture, l'absence de formation politique et idéologique chez
les militants.... »
Bref, il était « comme tous les
Algériens, tous les militants sincères, trop ambitieux d'avoir une révolution
algérienne profonde ». Chercher l'origine du mal ? Comme tout
« intellectuel révolutionnaire vrai » de l’époque....se positionnant
alors comme « militant Fln – de gauche, marxiste léniniste et
non bâathiste» !
Faut pas en rire. Il faut contextualiser
pour comprendre.
« L’As » est donc le
roman de l’engagement de la population paysanne (ou rurale) dans le combat armé
révolutionnaire contre l‘occupant colonial. Un engagement sans
calculs.....seulement des « précurseurs » dans une société colonisée
depuis près d’un siècle et demi, une société « plus arriérée que les
sociétés du Moyen Age, une société retardataire , bédouine et pastorale, fermée
sur elle-même », une société qui ressemble à un nouveau –né ......mais qui
se développera ..dans bien des souffrances (voir p 87 et 88)
. L’histoire est simple. Celle de combattants, hommes et femmes d’un
village de montagne qui acceptent de se sacrifier , de
sacrifier leurs biens (quand ils en ont) et de
mourir sans regret. C’est ,aussi, l’histoire de
luttes (idéologiques) internes au sein même des combattants.....les
« rouges » (entendez par là les communistes) , par exemple, réduits au silence : ils devaient soit
s’intégrer totalement et individuellement au sein du Fln/Aln,
reniant ainsi leurs idées et leur
appartenance à toute autres mouvance...soit être purement et simplement
liquidés .......par égorgement. La révolution armée mangeuse
d’hommes......laissant parfois la voie libre et royale à d’anciens « collabos » . Pour paraphraser des « rescapés » , ne « resteront dans le lit de l’oued que ses galets ! ». Et, les meilleurs , les bienheureux, seront ceux qui ont , au
cours de la guerre, perdu la mémoire. Car, ils
« ne ressentent rien,parce
qu’ils vivent encore la Révolution. Mieux encore, ils sont la Révolution ».! .
L’Auteur : Né
en 1936 du côté de Sédrata (Ain As-Sanab) , étudiant à l’Université Zitouna de Tunis, moudjahid (Organisation civile du Fln) ,
gestionnaire de journaux après l’Indépendance
puis, de 1970 à 1983, contrôleur du parti Fln (alors parti unique)
. Retraité puis, à partir de 1990, Dg de la radio nationale (Enrs).
Fondateur et animateur d’une association culturelle ,El
Djahidyya, jusqu’à son déçès.....Nouvelliste,
romancier prolifique..... « rompu à l’exercice dépouillé et poétique de la langue » (Achour Cheurfi) et ,bien souvent ,
volontairement provocateur .
Extraits : « Les
nouvelles des chiens furent le premières nouvelles de la révolution. On
commença par les égorger, puis on égorgea les traîtres.....Ils assurent notre
protection en temps de paix et, la guerre venue, ils sont les premières
victimes » (p 46) , « Il y a
deux catégories d’hommes dans la vie : la première sue comme toi, comme
tous les travailleurs et les chômeurs et la seconde profite de cette
sueur......tant que la seconde catégorie n’est pas éliminée, la sueur de
l’humanité contribuera à couler en vain.....les intérêts d’une catégorie sont
contraires à ceux de l’autre, c’est pourqoui elles
constituent deux ennemis à jamais irréconciliables... » (p 86), « La
bougie a pour fonction de mourir.....de se consumer.......la bougie a pour rôle
d’éclairer......d’éclairer et de mourir........quel sacrifice
idéal ! » (p 190)
, « La France ne partira pas facilement d’ici et la guerre
de libération ne sera pas écrasée facilement. Avec la guerre, les choses
pourraient évoluer d’une manière inattendue.....Beaucoup ne tiendront pas
plusieurs années, les générations et les dirigeants se succéderont pour
poursuivre leur guerre... » (p 196)
Avis : Idée
du roman née en septembre 1958 et début d’écriture entre mai 1965 et 1972 . Edité ,pour la première fois, en 1974, traduit de l’arabe par Bouzid
Kouza avec la collaboration de Idris Boukhari et Jamel Eddine Bencheikh. Du Ouettar encore tout jeune, à peine 29 ans, tout juste sorti
de la guerre et nourri de beaucoup d’espoirs et d’illusions
« révolutionnaires » . Du grand
roman.....même si certains idées
politiques peuvent apparaître , aujouurd’hui,
bien dépassées.
Citations :
« Pour être politicien, on doit d’abord comprendre que les Français sont
des êtres humains, comme nous. Ils ont leur pays, comme nous avons le
nôtre » (p39), « Les guerres écrasent certaines classes et certaines
couches tout en créant d’autres, celles des parvenus et des opportunistes à
l’avidité sans pareille » (p 125)