VIE POLITIQUE- OPINIONS ET POINTS DE VUE- SATIRE
POLITIQUE-ANALYSE E.PEREGO/TSA
« Par la satire, les Algériens
démontrent une analyse très aiguë de la scène politique »
(c) Tsa/ Younès Djama , lundi 25 Mars 2019
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Source : facebook/elizabeth.perego
Elizabeth Perego est une
historienne américaine. Elle a réalisé une thèse traitant de la satire
algérienne et son évolution après l’Indépendance. Elle travaille actuellement
sur un livre sur le même thème intitulé “De-mock-ratiyya : l’humour, l’histoire, le militantisme et l’humour
en Algérie, de 1988 à 2005. L’histoire et les traditions historiques du
pays”.
Pourquoi cet intérêt à la satire politique en Algérie ?
En fait, quand j’étais à la faculté de la Nouvelle-Orléans,
j’avais un professeur d’histoire qui était spécialiste de l’histoire algérienne
pendant l’époque coloniale. Par la suite et sous sa direction, j’ai travaillé
un peu sur la politique de l’armée et gouvernement français envers les
musulmans algériens avant et pendant la Guerre d’Indépendance. Après avoir
terminé ma licence, j’ai enseigné l’anglais en Tunisie et c’est là, juste avant
la “Révolution du Jasmin” où j’ai développé une admiration profonde pour
l’humour politique dans les sociétés maghrébines. J’ai fait un doctorat en
Histoire africaine et islamique à l’Université de l’Etat d’Ohio en 2017. Ma
thèse traitait de la satire algérienne et son évolution après l’Indépendance.
Je me suis bien focalisée sur l’humour durant la décennie noire.
Actuellement, je suis en train de terminer un livre sur le
même thème intitulé “De-mock-ratiyya
: l’humour, l’histoire, le militantisme et l’humour en Algérie, de 1988 à 2005.
L’histoire et les traditions historiques du pays”. Un titre inspiré d’un
spectacle de l’humoriste Fellag.
La satire portée par la jeunesse est revenue en force encore une
fois lors des manifestations actuelles contre le régime. Qu’est-ce qui
caractérise l’humour chez la nouvelle génération de manifestants ?
Les participants aux manifestations, surtout les jeunes,
emploient l’humour dans les pancartes, slogans, et chants pour montrer leur
créativité de jeunes, leur colère, leur souplesse et leur génie, à un régime
qui apparaît à leurs yeux vieux et rigide et qui manque d’imagination. C’est
une façon très nette et très claire de faire descendre ceux d’en haut et cette
pratique d’instrumentaliser la comédie et le rire est typiquement algérienne et
date depuis longtemps, même si on assiste à pleins de nouveautés et innovations
dans ce “hirak”.
Par contre, le sourire ou le rire dans cette « révolution du
sourire,» comme j’ai vu les gens l’appeler, témoigne du pacifisme de ce
mouvement national.
Pouvez-vous nous retracer brièvement l’historique de l’humour post-indépendance ?
La satire politique algérienne est une notion qui s’est
établie à travers le temps, pendant les années 60 et 70 ; ses traditions
et influences, historiques et actuelles, locales et globales sont à la fois
trop complexes, sophistiquées et riches dans ses articulations, performances,
textes. Il y a une tradition très longue de la satire politique qu’on peut
qualifier « d’algérienne » dans le sens où l’humour reflète des cultures
existantes dans le pays depuis longtemps tels que les contes oraux comme les
histoires de Djeha ; cet humour sert à critiquer
les figures politiques sur l’échelle nationale, surtout les présidents et
dirigeants du FLN. Les intellectuels comme les dessinateurs et écrivains
parlent, eux aussi, d’un humour algérien et je pense que la comédie entre dans
une vision de soi de la nation, du caractère national et des émotions liées à
une identité nationale.
Après l’indépendance, le parti unique a même engagé des
artistes pour utiliser surtout les dessins et les bandes dessinées comme la
revue de M’Quidèche. Cela ne veut pas dire, par
contre, que les artistes travaillaient sous la main du régime, ils arrivaient
même à critiquer très subtilement l’Etat qui était, effectivement, leur
employeur. En même temps, à travers l’oralité les Algériens ont utilisé
l’humour comme une moyen pour mesurer, tester et faire réfléchir sur la réalité
souvent absurde de la “boulitique” dans leur pays (et
je dois remercier mon collègue Idriss Jebari pour
m’avoir éclairci le fait que l’humour encapsulant l’absurdité fait une bonne
réplique aux circonstances complètement absurdes).
On assiste aussi à une continuation entre l’humour politique
avant et après la Guerre d’Indépendance, à l’image de l’autodérision qui
existait pendant l’époque coloniale pour cibler d’une manière très subtile les
colons et le système politique de répression atroce.
Pour moi, cette satire algérienne signifie que, depuis
longtemps, des communautés importantes d’Algériens possèdent une analyse très
aiguë et astucieuse de la scène politique et, si l’Etat est puissant, le peuple
est puissant aussi car muni d’une arme forte : leur conscience politique
qui est capable de rendre lisible même des actions politiques opaques.
Au cours des dernières années, les Algériens ont pu obtenir
des concessions à travers les micro-manifestations (et le chercheur Bill
Lawrence sait plus sur ce fait).
Qu’en est-il de l’humour durant la décennie noire ?
L’humour est devenu au fur et à mesure une partie très
importante du patrimoine culturel national (algérien) et une façon importante à
mes yeux de définir même l’algérianité, surtout juste
après l’Indépendance. Il y avait tout un genre de blagues qui imaginaient les
Algériens ou les hommes politiques tels que les présidents dans
des scénarios où ils côtoyaient des ressortissants et dirigeants
d’autres pays.
En effet, ces blagues soulignent et définissent le caractère
soi-disant “algérien” et par extension l’état des choses particulier dans ce
”bled mickey.” La décennie noire a donné lieu à un humour beaucoup plus
militant de la part des dessinateurs, un humour beaucoup plus sérieux et macabre
de la part des blagueurs, et qui allait parfaitement avec l’atmosphère qui
régnait dans le pays.
Selon
mes narrateurs (j’ai mené des entretiens d’histoire orale), par contre, ceux
qui habitaient les quartiers et régions extrêmement touchées par le conflit
n’ont pas créé, ni ne se sont engagées dans cette comédie comme des
blagues sur les faux barrages. Et je veux juste terminer par dire qu’il y a un
humour féminin algérien et on a bel et bien vu celui-ci le 8 mars dernier.