VIE POLITIQUE- ENQUÊTES ET REPORTAGES – RÉGIME BOUTEFLIKA- FAMILLE
KOUNINEF
(c) Akli Rezouali/Liberté, mercredi 27 mars 2018
Ils
ne font pas que s’assurer les faveurs du frère, jusqu’ici omnipotent, du
président Bouteflika. Ils le dirigeraient absolument et lui dicteraient parfois
même la conduite à suivre dans la gestion des affaires économiques du pays et
bien au-delà. Eux, ce sont les membres de la famille Kouninef.
Et c’est bien en ces termes que l’on évoque habituellement ce patronyme dans
les milieux politiques et les cercles d’affaires algériens.
Richissimes, très puissants et très influents aux plus hauts sommets du
pouvoir, ils seraient ainsi ce côté le plus obscur du régime finissant de
Bouteflika ; que tout le monde ou presque redoute jusqu’à éviter, même
parfois, d’en citer, ne serait-ce que le nom.
Karim, le frère aîné, Noah-Tarik, Souad, mais aussi et surtout Redha — le frère cadet — et leur mère, Mme Kouninef Rose Marie Lislote Horler, à qui certains prêtent même quelques accointances
avec des lobbies israélites… dont ils finançaient et géraient régulièrement et
avec zèle les campagnes électorales. Ils formeraient, eux et leurs alliés,
cette espèce de “famiglia”, d’oligarchie si puissante
et si proche de très longue date, du président Bouteflika, depuis le tout début
de cette ère politique qui désormais finit… Le cœur même de cette fameuse “casa
d’El-Mouradia”, comme la qualifient si bien les
nouvelles générations d’Algériens, en parodiant la série à succès de Netflix, La casa de papel, qui
met en scène des pratiques et des cercles mafieux aussi nuisibles que
sophistiqués.
Au fil des mandatures présidentielles, les Kouninef
seraient devenus l’éminence grise, le noyau d’un système véreux, le cœur même
d’un régime politique faisant la part belle à la corruption et à la prédation
économique, ouvertement et impunément.
Or, le mur de la peur étant désormais brisé depuis le déclenchement du
mouvement populaire du 22 février, le poids, le rôle et les affaires plus que
douteuses des Kouninef sont, depuis, régulièrement
mis en lumière, dans “la rue”, comme sur les scènes politique et médiatique.
Car, bien plus que la simple éviction du président Bouteflika lui-même, c’est
le régime tout entier, dans toutes ses composantes et avec tous ces appendices
et ses satellites, que le peuple a décidé d’évacuer en manifestant massivement
et en se réappropriant pacifiquement les espaces politique et public. Les Kouninef, Rédha en premier, sont,
dès lors, désignés comme l’une des faces les plus sombres et les plus à
redouter de ce régime.
Des oligarques dont on ne connaît que très peu le visage, mais que l’on sait
aussi manipulateurs et influents sur Saïd Bouteflika que celui-ci sur son
propre frère malade et cérébralement impotent pour
gouverner au sommet de l’État. Évoquant une famille ayant “une influence
considérable sur le clan présidentiel”, Djamel Zenati,
l’une des figures les plus en vue de la lutte pour la démocratie en Algérie,
n’a pas hésité, lors de sa récente intervention au Forum de Liberté, à aller
jusqu’à alerter sur l’existence même d’un véritable danger sur la sécurité du
pays, en allusion au pouvoir des Kouninef. Louisa Hanoune, mais aussi Mokrane Aït Larbi et bien d’autres acteurs de la scène politique
nationale y font également souvent allusion ces dernières semaines, en
dénonçant le régime des Bouteflika, l’oligarchie qui accapare les richesses de
la collectivité nationale et même des soupçons de fuites de capitaux colossaux
en devises auxquelles s’adonneraient ces oligarques depuis le début du
mouvement de contestation populaire contre le régime.
D’autres affaires scabreuses mettant directement en cause les Kouninef, dont un préjudice financier énorme causé à
Algérie Télécom et d’éventuelles lignes de crédits suspectes qui auraient
été débloquées tout récemment à leur profit, sont, du reste, régulièrement
évoquées ces derniers jours à travers les réseaux sociaux et les médias
nationaux.
Depuis près de deux ans, les Kouninef, qui dirigent
un groupe diversifié et puissant grâce, surtout, aux marchés publics et aux
largesses du pouvoir, sont également dénoncés pour leurs velléités de s’arroger
un monopole de fait sur le marché de la trituration de graines oléagineuses,
usant pour cela de leur influence au sein du clan présidentiel pour bloquer des
projets concurrents dans la même filière et pour accéder à des financements
colossaux auprès des banques publiques. Plus d’une vingtaine de milliards de
dinars ont ainsi été alloués au groupe Kouninef par
un consortium de banques étatiques pour financer un projet d’usine de
trituration dont le coût annoncé serait très fortement surévalué en comparaison
à d’autres projets concurrents lancés dans la même filière.
Quoi qu’il en soit, entre ce qui est colporté sur la place publique et ce qui
forge réellement leur réputation d’oligarques très influents, les Kouninef, de par leur étroite proximité avec le clan
Bouteflika depuis plusieurs décennies, figurent aujourd’hui, à n’en point
douter, parmi les forces les plus obscures et les plus ciblées par la défiance
et la contestation populaires qui s’expriment contre le pouvoir.