VIE
POLITIQUE- ENQUÊTES ET REPORTAGES - TRACTS POLITIQUES- GRAFFITIS
La politique a toujours
été inscrite sur nos murs
Les graffitis, ces tracts
politiques aux accents prémonitoires
(c)
par AMEL BLIDI/El Watan magazine,
jeudi 21 mars 2019
En l’absence de communication entre le peuple
et ses gouvernants, les murs ont porté, des années durant, les doléances, les
espoirs et les émotions des tagueurs. Les mots gribouillés disaient ce que les
hommes cachaient. La parole politique y a toujours été présente et certaines
inscriptions sont aujourd’hui brandies par les manifestants contre les tenants
du système.
Certaines pages, à
l’exemple de «A travers la7youtes» relayent sur les réseaux sociaux les
aspirations et les états d’âme de tagueurs issus de toutes les régions du pays.
Il y apparaît que les murs ont, tour à tour, fait office de registres de
doléances, mais aussi de journaux intimes, sur lesquels l’on raconte les amours
contrariées et les désirs d’ailleurs. Y lire aujourd’hui ces mots est
désarmant : «Pour la première fois, je n’ai pas envie de quitter mon
Algérie.» (cité Malha, Aïn Naâdja). Le fait est que des
années durant, les murs ont soutenu les rêves d’ailleurs d’une jeunesse qui se
dit «désenchantée».
A Biskra, un slam en
arabe, visible du côté du lycée Larbi Ben Mhidi, conjurait: «On vous laisse l’Algérie,
laissez-nous la mer.» Les bâtiments 750 de Sétif demandaient : «Afrique,
libère-nous !» La station de bus Laloum de Constantine se désolait :
«Le temps passe et nous sommes encore en Algérie.» Les remparts de Sétif
stipulaient : «Quand ta patrie te délaisse, tu dois en trouver une autre»,
(septembre 2018). «C’est désolant de vivre dans un pays que tu ne rêves que de
quitter», résumait-on à Chbaita Mokhtar,
Annaba.
Bien avant les manifestations, les murs
étaient devenus des tracts politiques d’une jeunesse ulcérée par le mépris du
pouvoir. Les murs sont aujourd’hui les témoins d’une contestation
annoncée : «Accepterais-tu d’être gouverné par un cadre ?», demande-t-on à
Fouka. «Comment veux-tu que le pays marche quand
celui qui le gouverne ne marche pas», interrogeait-on à La cité 1006 logements
de Sétif. «Peuple résistant pour un gouvernement paralysé moralement». uement» (Chelghoum
Laid, Mila). «Cet infirme nous a handicapés», a-t-on pu lire du côté d’El
Harrach. «Que celui qui nous rappellera la décennie noire, nous lui
rappelleront les milliards volés et les valeurs perdues», inscrit-on.
Et de souligner, à Bordj Bou Arréridj, en novembre 2018, que «le service national était
réservé aux pauvres, pendant que la caisse publique était confiée aux . Et de Prévenir à la cité Keblouti
de Biskra que le peuple a été «muet, mais pas aveugle». Et d’admonester,
près du stade Ben Omar de Kouba : «Fermez vos
gueules, les voleurs.» Et de rassurer près de Marignon:
«N’ayez pas peur, nous pouvons vivre sans vous !» Avant de consoler ses
semblables : «Courage, D’zaïr we jouz» (Courage, l’Algérie et
ça passera…)
Au centre-ville de
Djelfa, au début de l’année, l’on pouvait lire : «Le pays a besoin d’un
fidèle et non pas d’un voleur ». L’inscription « Coupables
d’exister », à l’université de Béjaia qui fait
écho au désormais célèbre tag « smhoulna ki raina 3aichine » (pardonnez-nous de vivre !)
« La vie est comme le gouvernement, sans pitié ni justice, ni égalité
« (Bel Air, Mascara, juin 2018). Malgré le dégoût que semble leur inspirer
le système, certains mots restent drôles et tendres : à l’exemple dit «El Dawla machi bent
familia», (l’Etat n’est pas issu d’une bonne
famille), ou encore : «Le gouvernement ne connaît pas l’amour.»
Systématiquement, le «vous» renvoie à «El dawla» (l’Etat), dans un besoin de pointer un doigt
accusateur à ceux qu’ils jugent responsables de leurs malheurs : «Nous
mourrons pendant que vous dansez», Vous êtes tous derrière les coulisses, bande
de traîtres» (Bellevue, Constantine).
Surtout, les mots, écrits plusieurs semaines
avant les contestations, ont aujourd’hui des accents prémonitoires : «On
sait désormais qui est le berger et qui est le loup, si le peuple se réveille,
les démons tombent», lit-on près d’El Mohammadia, à
Alger. «Si le peuple se lève, le jeu se terminera enfin», prédit-on du côté du
lycée El Kendy, à Jijel. «On pense, donc on ne vous
suit plus», déclare-t-on du côté de Raïs Hamidou.
Et
puis, il est des mots reflétant les déceptions de leurs auteurs. «Je n’ai jamais souhaité
pleurer un jour, mais… le malheur de mon temps m’a fait pleurer. Je souhaitais
vivre comme je voulais, mais j’ai vécu comme mon temps voulait», peut-on lire sur les
murs décrépis de Belcourt, Alger. En novembre 2018,
près d’El Hamiz, un tagueur disait déjà son envie de
dire ouvertement ce qu’il pensait: «S’il y avait une liberté d’expression en
Algérie, nous n’écririons pas sur les murs.»
Sur les murs aussi, il y aura un avant et un
après 22 février. Un peu partout à Alger-centre, entre la rue Didouche Mourad et la place Audin,
là où les manifestations sont récurrentes, il est possible de lire
l’inscription suivante : «Si vous êtes un grand peuple, votez pour
vous-mêmes à l’instant crucial.» Et entre deux cris de révolte, les tagueurs
expriment aussi leurs déceptions amoureuses : «Je l’ai aimée comme les
marches du vendredi, écrit un jeune homme éconduit près de la cité 5 Maisons (Mohammadia), mais son cœur est comme Bouteflika.»