FINANCES- BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH-
ROMAN SALAH CHEKIROU- « ARNAQUES A L’ALGÉRIENNE »
Arnaques à l’Algérienne . Roman de Salah Chekirou.
Editions Dar El Kobia, Alger 2018, 1 000 dinars,
274 pages
La
réalité : Au départ, l’intention était, peut-être
, bonne .....en temps d’instabilité sécuritaire
tous les « coups » étant permis.
Fin 1995, le pouvoir en place était assez préoccupé
par l’argent de l’économie informelle dont profitait largement la nébuleuse
islamo -terroriste, comme source de financement , de carburant....et de profit
pour les plus malins. Il fallait donc, nous dit l’auteur, grâce aux anciens du Malg, de mettre sur place une banque de droit privé vers laquelle
seront canalisés les capitaux hors la loi.....l’argent des trabendistes, et qui sera une banque commerciale de droit
primaire agréée pour les transferts de fonds.....avec ,bien
entendu, l’approbation préalable de la Banque d’Algérie. Ainsi, soit-il !
Les gens de pouvoir ( et
le « pouvoir profond » ?) croyant , comme toujours, être plus
malins que les autres pensèrent pour la
diriger, à un jeune .....issu de la famille
révolutionnaire, petit pharmacien de son état ......trésorier, disait-on, de la
section communale du Fis de Cheraga..... « ce
qui pourrait attirer aussi la clientèle des activistes intégristes et leurs
soutiens » . Ce sera donc Riad Khalifa (Khortall dans le roman) .
Tout allait pour le mieux dans le meilleur du
monde de la finance et de la politique nationales.......Mais, quelques années
et un président plus tard (les années 2000)...un inspecteur-douanier curieux
découvre, par hasard ( ?!?!) , au port d’Alger,
un conteneur abandonné éventré contenant des centaines de bouteilles de whisky
de différentes marques ...ne
contenant que de l’eau de mer. Partie
d’un juteux trafic puisque l’opération concernait soixante conteneurs et
elle venait de coûter à l’Etat 500 millions de dollars déjà partis à l’étranger.
Une enquête démarre...... avec des
arrestations multiples (à partir d’octobre 2003) mais surtout avec la découverte d’un
« empire des sables » construit par le jeune pharmacien et ce en
quelques années à peine.....et avec , toujours, le soutien et les
encouragements , parfois publics, des tenants du (nouveau) pouvoir et –selon le
romancier- des « gens de l’Ombre ».Un
« trou » financier de
trois milliards de dollars, des entreprises tous azimuts (dont deux chaînes de télé à l’étranger , une compagnie
d’aviation, une banque......), des milliers d’employés subitement mis au
chômage en raison des faillites en cascade , des milliers de gros et petits
épargnants ainsi que des caisses
sociales mis brutalement « sur la paille » , des dizaines et des
dizaines de hauts fonctionnaires, ministres , hommes politiques , magistrats,
militaires, cadres d’entreprise, journalistes
et syndicalistes, vedettes et stars étrangères......tous corrompus par
des enveloppes généreuses emplies d’euros, ayant profité –eux , leurs enfants
ou les épouses et/ou maîtresses - des
« largesses » du « tycoon » et
dont certains avaient (fait) versé les deniers publics dans les caisses de la
banque ...En tout 104 accusés....... un
ministre des Finances qui avoue à la barre « qu’il n’avait pas été
suffisamment intelligent pour détecter la gravité de la situation » ...et
un Sg (de l’Ugta) qui
déclare au tribunal « qu’il assume ses actes » ( président du Ca
de la Cnas, il avait ordonné au DG de transférer tout
l’argent de l’institution dans les caisses de la banque Khalifa) .Et un
« tycoon » en fuite puis difficilement
( ?!?!) ramené au pays de sa rapine. Un long procès....qui n’est pas allé jusqu’au bout de la vérité....et des
condamnations, comme toujours, des seconds couteaux. Et, en cours de route
(selon le romancier) des enquêteurs « curieux » sont
éliminés......Ceci pour la réalité.
Dans le roman, la fin est tout autre......le
coupable disparaissant en mer alors qu’il revenait à Alger ... « pour
dénoncer les vrais coupables ».... Où est la réalité, où est la
fiction....A vous de voir...l’auteur affirmant en guise d’épilogue,
ironiquement que « les faits relatés dans cette histoire auraient pu être
réels »......et, en Algérie, « il faut se rendre à l’évidence que la
réalité dépasse souvent la fiction littéraire »
L’Auteur : Longtemps journaliste en
Algérie, près de 35 ans , résidant actuellement au Canada , écrivain, auteur ,
déjà, de plusieurs ouvrages dont « Le grain de sable » traitant
de l’assassinat du président Mohamed Boudiaf et « L’otage » dernièrement présenté
in Mediatic). Ancien directeur de l’édition au sein
de l’Anep, poste duquel il a été écarté après la
publication, à compte d’auteur, et la diffusion (en 2006) de ce roman présenté
ce jour qui avait alors un autre titre, « Le tycoon
et l‘empire du sable »....un livre
rapidement « épuisé » ,car « ramassé » des librairies et
des dépôts de distribution puis dit-on, détruit par on ne sait quel
« service ». L’auteur, lui , sera réduit au chômage et....obligé de s’exiler.
Extraits : « L’affaire Khalifa banalisa la rapine et
la malversation, puisque l’argent sale et la corruption, la prébende sont
érigés en système de gouvernance » (pp 9-10), « Lorsqu’on se paye les
services du frère du Président comme conseiller juridique, que le président de
la République en personne vous gratifie de mots gentils et d’apparitions
publiques à vos côtés, cela tétanise et neutralise toute action des services de
contrôle.. » (p 72), « Pour le commun des mortels, Riad Khortall (ndlr : Khalifa) n’était qu’un épouvantail
derrière lequel se cachaient des personnes qui évoluaient dans le cercle des
décideurs » ( p 81), « Ce qui se disait sur Khortall et ses agissements n’étaient que la partie visible de l’iceberg. Le pays
traverse une période de grande bouffe que les années noirs
du terrorisme avaient favorisée davantage... » (p 82), « Le secteur
privé n’est pas issu des réseaux du marché pour qu’il accepte les règles du
marché. Il est issu des réseaux de l’»administration et de la
bureaucratie... » (p 216)
Avis : Un roman basé sur une histoire vraie.....et qui,
peut-être (l’histoire et ses retombées),a eu des
conséquences socio-politiques à long terme
désastreuses car elles étaient annonciatrices d’une complicité
pouvoir-affairistes(avec le règne de la « chkara ») catastrophique pour l’économie du pays (à
travers la corruption, entre autres ) et
le moral des populations, surtout celui des jeunes.
Citations : « La pays traverse une période de grande bouffe
que les années noires du terrorisme avaient favorisée davantage »(p 82), « Les gouvernants du pays ont une trouille
bleue des jeunes. Face à leur incapacité de les encadrer et l’inexistence de
partis politiques, ils maintiennent le pays dans une espèce de joug où même
l’approbation est réservée aux seuls courtisans du pouvoir effectif. N’ont-ils
pas tenté de créer une caste de
flagorneurs qu’ils nomment les nobles du président ? » (p 217)