VIE POLITIQUE- PERSONNALITES-
MUSTAPHA BOUCHACHI
(c) Malik Tahir, 16 mars 2019
Fils de chahid - la seule et marquante
image de son père qui est restée à l’enfant qu’il était est celle d’un homme
blessé à la main quelques mois avant sa mort au combat -, Mustapha Bouchachi avait, selon la norme en cours du régime, toutes
les qualités pour faire partie de la famille dite “révolutionnaire” acquise au
régime. Mais cet homme, profondément marqué par le combat des libérateurs, en
tire un autre enseignement que celui de la posture de l’héritier ou du tuteur.
Celui d’une demande de justice profondément ancrée chez une population marquée
par la “hogra”, ce mot spécifique où l’injustice
s’accompagne du mépris.
Le fils de chahid ne sera pas membre
de la “petite famille” du régime. Arabophone, il n’est pas non plus dans la
tendance des élites qui marchandent sur les “constantes” et s’alignent
sur le régime ou dérivent vers l’islamisme. Et il est encore plus loin de ces
intellectuels francophones qui se sont mis à pourfendre avec violence et
mépris, un peuple de “gueux” après les élections législatives du 26 décembre
1991 qui ont donné la victoire au FIS.
Ces insultes contre le peuple qui font durablement florès chez
des élites marquées par le présumé “mauvais vote” des Algériens le rebutent. Le
peuple, lui, il le respecte. Profondément. Par héritage, bien sur. Mais aussi
parce qu’il est un homme du droit. Un homme qui aime le droit. Et qui ne doute
pas que le seul souverain digne de ce nom dans un pays est le peuple.
Un atypique face à l’horreur judiciaire
Ce jijelien, décidément atypique né en
1954, l’année de la révolution, a fait ses premières études à Tizi Ouzou avant de faire son
droit à Alger, puis un magister à Southampton, va être un des avocats les plus
en vue durant la terrible décennie noire, celle où les droits élémentaires de
la défense ont été annihilés par des mesures d’exception. Les années des “cours
spéciales” où des juges refusent d’ordonner des expertises médicales à des
prévenus visiblement mal en point.
On l’accusera d’être un “avocat du FIS”, il s’en moquera, ceux
qui le connaissent aussi. Il n’est pas un islamiste, il est un homme du droit.
Et il ne supporte pas la torture, celle qu’il voit chez des accusés dont il
assure la défense. Des accusés à qui l’on met systématiquement “el koffa”, le couffin, selon la formule en usage parmi les
avocats qui “ouvrent leurs gueules”, comme Ali Yahia,
Tahri… et d’autres que l’on affuble du label
“d’avocats des islamistes”. Le “couffin”, c’est l’horreur judiciaire, c’est
toutes les accusations possibles prévues dans le code pénal que l’on colle aux
prévenus.
Bouchachi est un homme qui parle posément, avec calme, sur un ton
professoral. Il lui est pourtant arrivé durant ces années terribles de sortir
de ses gonds face à un juge qui fait de l’excès de zèle pour rappeler les
droits de la défense, pour rappeler les dispositions de la Constitution. Ces
moments de face à face durs et âpres marqueront l’histoire, non encore écrite
du système judiciaire algérien.
De la “destruction des consciences”
Durant ces dures années 90, il fait partie des militants décriés
dans la presse acquise au régime, de ces militants qui ne se sont pas résignés
à la fatalité de la dérive, qui estiment qu’ils n’ont pas à choisir de “camp”
car leur camp naturel est celui du droit et des libertés.
De ces années terribles avec les disparitions forcées, le
carnage de Serkadji et les violations systématiques
des droits de l’homme, l’avocat en sort encore plus convaincu de la nécessité
d’un changement radical. Et de ce changement, il n’exclut pas sa propre
profession, les avocats, qui n’ont bougé que quand une loi régissant la
profession d’avocat a été soumise au parlement en 2012.
“Dans cette profession, au cours de la dernière décennie, on ne
s’est pas insurgé quand des affaires de tortures ont été posées, quand des
citoyens ont été tués dans des prisons, quand les tribunaux spéciaux ont été
mis en place. Durant toute cette période, cette profession a été absente mais
elle s’est subitement manifestée quand a été soumise la loi régissant la
profession d’avocat” déclare-t-il dans un entretien à la Nation. “Soyons
clairs, les revendications des avocats sont légitimes mais leur acceptation de
la situation qui a prévalue, leur acceptation de se transformer en pur décor,
sont des indices de situation de destruction des consciences.”
Après les années 90, les années “Bouteflika”, le combat au sein
de la Ligue Algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) dont il
deviendra le président entre 2007 – 2012. Avec une certain déprime pour l’état
d’apathie régnant dans le pays, lui qui continue de croire que le changement
est possible, si les “élites sortent de leur silence.”
Le fruit d’un combat
Cette démission des élites, il ne la supporte pas. “Quand le
président décide quatre mois avec l’élection de changer la constitution sans
que les enseignants universitaires, les professeurs de droit et de sciences
politiques, ne bougent pour dire que cela ne se fait pas, cela nous donne une
idée de l’état de démission collective de la classe instruite dans ce
pays. (La Nation, 7 février 2012)
Bouchachi s’impliquera dans les ébauches de manifestations qui ont lieu,
place du 1er mai, dans le contexte du “printemps arabe” en 2011. Il se rend
compte rapidement que les conditions subjectives ne sont pas réunies, que les
divisions des années 90 marquent encore les esprits.
Au risque de susciter l’incompréhension de ses amis, il accepte
d’être candidat à l’APN sous l’étiquette du FFS en 2012. Élu, il va rapidement
se rendre compte que l’objectif qu’il s’est donné de susciter au moins des
débats au sein de l’assemblée est impossible.
Il démissionne en mars 2014 en se déclarant choqué “par le
mode de fonctionnement de cette institution qui légifère au nom du peuple”.
Cette démission lui vaut un surcroît de popularité. Mustapha Bouchachi, dont le cabinet se trouve rue Didouche, est constamment salué par les gens qui lui
témoignent de leur respect.
Cinq ans plus tard, il est une des voix les plus consensuelles
du mouvement populaire. Ce n’est pas un hasard, c’est le fruit d’un combat,
d’un long combat.