HISTOIRE- BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH- RÉCIT
SLIMANE ZEGHIDOUR- « SORS, LA ROUTE
T’ATTEND.... »
Sors, la route d’attend. Mon village en
Kabylie, 1954-1962. Récit de
Slimane Zeghidour. Editions les Arènes, Paris, 2017 , 294 pages , 1 500 dinars
Il a vécu toute son enfance à « l’écart de tout, à l’abri des barbelés
électrifiés, soumis , à l’intérieur ,
aux discours des officiers de la SAS et à l’extérieur (les adultes, cela
s’entend) aux mots d’ordre des moudjahidine ; dans un djebel équarri en
zones, balisé de casernes, de pitons et de tours de guet, un sol miné, un ciel
sillonné d’avions ; en un mot, sous couvre-feu et presque sous vide, hors
du temps, à contretemps. »
Il n’allait pas encore à l’école quand toute la population rurale de la
région (entre autres celle du village natal, El Oueldja)
a été, brusquement et brutalement
, laissant maison, outils et animaux derrière elle,
« regroupée » dans un camp. Ce sera celui d’Erraguene,
tout près d’une carière
d’où sont extraites les pierres destinées ...à un barrage en construction. De
la main-d’œuvre à bon marché pour les entreprises ! Et puis le bruit (tout nouveau pour des personnes habituées au
silence de la montagne et aux seuls appels des animaux) des camions et des
bulldozers, des explosions, des sirènes, des avions et des hélicoptères....sans
oublier, la nuit, les coups de feu. Un encadrement assez serré des nouveaux
habitants par des militaires : des officiers chargés beaucoup plus de l’ « action
psychologique » (l’ « Ecole » – en fait un Centre
d’instruction de la pacification et à la contre-guerilla,
, CIPCG – de Jeanne d’Arc, aujourd’hui L. Ben M’hidi,
près de Philippeville, aujourd’hui Skikda, créée le 10 mai 1958 est ,en peu , de temps connue mondialement par
tous les apprentis dictateurs et régimes répressifs, puisqu’elle accueillera
des « étudiants en treillis » venus apprendre à lutter contre
la « subversion rouge » et à utiliser de « la crevette
Bigeard » et à s’inspirer des méthodes paras lors de « la Bataille
d’Alger » : belges,, brésiliens, argentins, chiliens, portugais,
sud-africains, israéliens et même sud-coréens.....huit mille au total.... ) et des troupes pour contrôler les allées et
venues et réprimer . Cent cinquante
mille fellahs –des ruraux hagards – ont été arrachés à leur terroir et on atteri dans un millier de camps de regroupement....soit un
paysan sur deux .....et qui fourniront , pour la
plupart contre leur gré, sous la pression des opérations de
« retournement » , un demi
–million d’auxiliaires , au minimum un adulte sur quatre.Tous transformés, sans qu’ils le sachent presque
toujours , avec leurs familles, en « amis de la France ».
Le barrage est terminé.....le camp est déplacé un peu plus loin......de
l’école....et dans des conditions d’accueil encore plus dures.....et c’est le
retour aux travaux des champs si oubliés......et puis, c’est le
« cessez-le-feu » , le départ des troupes
françaises, les premières joies de la liberté retrouvée. Retour au point de
départ et, devant la résurgence des
anciens conflits tribaux et claniques couverts dans un espace totalement
abandonné mais tombé , parfois, aux mains , aux
mains des « marsiens ».
Un nouvel exode (presque une fuite) pointe
...cette-fois ci vers ........Alger. La route, toujours la route.
Le reste est une autre histoire.
L’ Auteur: Né en septembre
à El Oueldja (près de Jijel , ex-Djidjelli)
en septembre 1953. Journaliste et essayiste français d’origine
algérienne installé en France depuis mai 1974 (il sera « réintégré »
en 1991). Habité par le dessin, il participa, ainsi, à dix sept ans, à la
naissance de la première bande dessinée algérienne ,
autodidacte grand voyageur (Amérique du Sud , monde arabe....) et grand
reporter pour de grands titres de presse français, il est, aujourd’hui,
éditorialiste à Tv 5 Monde. Auteur de plusieurs ouvrages dont « La vie quotidienne à la Mecque de
Mahomet à nos jours » qui avait obtenu le prix Clio d’histoire (Hachette
1989)
Extraits : « Au djebel, pour insalubre qu’il
soit, un domicile n’est pas une habitation profane, c’est bel et bien un
temple, un espace quasiment sacré » (p 15), « Suis-je vraiment un
étranger à Paris, un immigré, un « isssu »
de je ne sais quoi, un binational ou un Français pas tout court mais tout long,
tout au long d’un bon siècle et demi d’Histoire et d’histoires ? » (p
70), « Diviser pour régner....A cet antique expédient, la France a succombé , dès la conquête du pays. D’une main, elle a aggrandi le territoire et unifié les colons aux origines
disparates, de l’autre, elle a disloqué le bled des autochtones et réduit leurs
tribus en poussière de clans (...) . But de
l’opération, consacrer la cohésion des Européens ,
sceller la désunion des Musulmans « (p 135), « La France , qui a
fabriqué l’Algérie de toutes pièces, se voit elle-même redessinée par le
Fln : déclaré wilaya VII, l’Hexagone est placé sous l’autorité d’un
organisme spécial , la Fédération de France « (p 137)
Avis : A lire
....pour se pénétrer de la vie durant l’époque coloniale et ses
retombées.....Destiné surtout à ceux qui s’intéressent à un aspect
« oublié » de la guerre : la vie dans les centres de
regroupement des populations rurales gérés par les Sas. Moult digressions assez critiques avec des comparaisons hier-aujourd’hui,
une habitude bien de chez nous, ....et tendance lourde à se « kabyliser »...sans préciser si le choix relève de la
géographie (la Kabylie –selon moi, région occupée par des tribus berbères
« arabisées » ou non, montagnardes - allant du Chenoua
jusqu’au massif de Fil Fila, en passant par le Djurdjura et c’est que
comprenait l’administration coloniale avant de se lancer dans des opérations de
division) ou de l’ethnographie.
Citations : «
C’est la guerre d’indépendance qui nous a fait rencontrer les Français. Il aura
fallu que le Fln nous fasse miroiter l’Algérie pour que la France y accorde, afin d’y suppléer ,
sous l’aspect d’un Janus, ce dieu des choix et des passages à deux faces :
le soldat et l’ingénieur, l’infirmier et le légionnaire, puis la séringue et le fusil, l’école et la caserne, l’hôpital et
la prison... » (p 74), « La guerre, y compris
« populaire » , n’a qu’un nerf :
l’argent » (p 76), « Le conflit algérien n’ayant point été reconnu en
tant que tel, il n’a eu ni début ni fin. Il se poursuit aujourd’hui, en France
désormais, avec d’autres moyens, mais les mêmes acteurs (....), des mots
similaires (....), des hantises et des mots d’ordre qui font écho à ceux d’antan :
submersion démographique, colonisation à rebours, islamisation, guerre civile,
expulsion... ».( pp 157-158)