POPULATION- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
ESSAI K. BERGER ET C. RAY – « TOI ,MA
SŒUR..... »
Toi, ma sœur étrangère. Algérie-France sans guerre et sans tabou.
Essai de Karima Berger & Christine Ray. El Ibriz
Editions, Alger 2016 ( Editions du Rocher, 2012).
192 pages, 620 dinars
Elles voulaient « goûter ensemble le sel de leur histoire ». L’une
est Algérienne musulmane, une « indigène », une « Arabe »,
l’autre est une « roumia » de France ayant
vécu une partie sensible de son enfance en Algérie (cinq années : 55-59,
de l’âge de trois ans à huit) , avec des parents
« transplantés » professionnels.
Elles n’ont pas eu l’occasion de se croiser alors et encore moins
« manger du sel ensemble » et pourtant, bien des années plus tard,
elles ont bien des choses à dire et à se dire......les deux n’arrivant pas à se
« libérer » du pays d’adoption (l’Algérie) pour l’une, du pays natal
(l’Algérie encore et toujours) pour l’autre, car elles sont encore
« habitées » par une histoire commune, un lieu commun, un soleil toujours
éclatant et des événements partagés.
Un livre à deux voix, beaucoup de questions et des réponses se terminant
bien souvent ....en questionnements. Il est vrai que, aussi bien pour l’une que
pour l’autre, il est toujours difficile d’analyser et encore moins de
juger de situations vécues durant
l’enfance et les maux des autres.
La société algérienne, la guerre pour l’Indépendance, le racisme pied-noir,
et /ou l’indifférence des autres à l’endroit des « indigènes » , l’Islam, les religions, la tolérance, les personnalités
qui ont marqué l’Histoire coloniale ( dont l’Emir Abdelkader, le Cardinal
Duval, Camus, Germaine Tillon, ...) , les croyances,
la femme, les lieux (Tipasa, Alger, Timimoun....) ,
l’exil......tout y passe nous laissant parfois sur notre faim. Mais ce qui
transparait le plus , c’est bien un amour
« fou » (avec ses souffrances,ses angoisses
et ses joies) pour l’Algérie telle qu’elle a été vécue certes (avec des yeux
d’enfant, cela s’entend) , mais aussi telle qu’elle est aujourd’hui. Et,toujours,
de l’ espoir.
Les Auteures : Karima Berger, l’Algérienne, est née à
Ténès. Et, ayant vécu à Médéa jusqu’en
1963. Etudes de droit et sciences
politiques (Université d’Alger). Départ en France en juillet 1974 à l’âge de vingt
ans. Auteure de plusieurs romans et essais (dont un édité en Algérie en 2013,
« L’Enfant des deux mondes » )
Christine Ray – aujourd’hui plasticienne et écrivaine -
, née en France, et arrivée en Algérie en 1955 à l’âge de trois ans, a
passé quatre années de son enfance à Alger (1955-1959). Elle y est revenue
comme journaliste entre 1979 et 1983. Auteure de plusieurs essais, notamment
une livre d’entretiens sur le Cardinal Duval.
Extraits : « Mon pays est cet archipel aux
filiations multiples, souterraines, aux identités plurielles qui creusent la
matière de son histoire « (Karima, p 15), « L’Algérie (...) est une
très belle femme, généreuse et splendide, elle a des enfants, très beaux aussi
mais il lui manque un homme et personne ne veut l’épouser » ( Karima, p
52), « A l’inverse de nous, nos voisins marocains vivent leurs origines
de façon plus décomplexée, c’est qu’ils n’ont pas connu la dépossession des
Algériens ; chez nous, même après la guerre, c’est encore la guerre »
( Karima, p 63), « La guerre d’Algérie , pour moi, ce sont des images de
fils de fer barbelés. Ils ont poussé partout.Et les
voilà , aujourd’hui, au cœur de l’Europe » ( Christine, p 83) ,
« L’Orient n’était pas qu’un continent ou une terre, il était une idée,
une vision , un horizon, une boussole pour le cœur ;aujourd’hui, il est
devenu une immense plaie, une terre à occuper, détruire et ....recontruire pour les plus grands bénéfices futurs des
marchés » (Karima, p 187)
Avis : Un
ouvrage à deux voix , et tout particulièrement en
forme d’ essai, est toujours difficile à lire. Et, quand les sujets sont délicats,
la liberté de ton ne cache pas toutes les divergences, la Guerre laissant
toujours des traces même chez ceux et celles les moins engagées. Une
psychothérapie à deux ? Un livre –défouloir ? Un livre qui tente de
rassembler, surtout !
Citations : « Celui
qui ne brûle pas derrière lui son bateau et reste les yeux rivés sur le pays
perdu, risque de brûler ce qui est devant lui.
Plutôt que de gagner le large de sa nouvelle terre et aller voir ce qui
l’attend, il ne cesse de revendiquer son origine par une série de signes qui
émergent comme des épaves à la surface d’une mer gelée......Il demeurera à
l’âge où il a quitté son pays » (Karima, p 31) , « Le
« voir » est un art suprême dans la culture arabo-musulmane, et les
femmes maîtrisent plus que tout cet art en restant cachées ; voir au
dehors, c’est s’évader » (Karima, p 54) , « Libération , c’est
tellement beau pourtant ! Dans Libération, on est dans le plaisir, dans
Indépendance, on est dans l’après-coup.....Indépendance appartient aux
politiques, Libération appartient au peuple » ( Karima,
p 77), « Les religons ont transmis les textes,
les saints, les récits de ceux qui ont cherché Dieu. Mais elles ont aussi
accaparé le divin, enchaîné les esprits au lieu de les libérer. C’est un tout,
mauvaises herbes et bon grain mêlés. La foi s’y fraye un petit sentier « ( Christine, p 126)