L’Affaire Khider. Histoire d’un crime d’Etat impuni. Enquête
historique de Tarik Khider. Koukou Editions, Alger 2017. 242 pages, 800 dinars
Mohamed Khider est, c’est bien connu,
un politique d’expérience, sévère et strict.....Houari Boumediène
, c’est bien connu , n’a pas la mémoire courte. Durant la période du
Caire......nous dit l’auteur, Boumédiène a ,
en présence de H. Aït Ahmed (Khider et
Aït Ahmed sont mariés à des sœurs , donc parents assez proches) , a été giflé
par le premier. Pourquoi ? Boumediène, alors étudiant à l’université d’Al
Azhar exigeait de Khider une indemnité financière pour évacuer un logement
qu’il occupait abusivement.....Une humiliation qui sera ruminée bien longtemps,
« avant d’ordonner la terrible vengeance ». Peut-être ! Mais, il
y a bien d’autres éléments, la vie politique des « révolutionnaires »
étant toujours bien complexe et les relations inter-personnelles souvent
compliquées allant jusqu’à l’oubli de la
cause commune et à l’élimination physique : Abane Ramdane , Krim Belkacem,
Mohamed Khemisti, Châabani, A. Medeghri, Mecili Ali....et bien d’autres, dont beaucoup
d’ illustres inconnus ...la raison dite d’Etat se dressant , alors ,
toujours contre la justice. Et, bien des
coupables –exécutants et commanditaires -
jamais arrêtés et punis .
Mais qui était donc Mohamed Khider ? Pour bien des observateurs, le
grand militant de la guerre de libération nationale et futur Sg du Fln
était sincère et dévoué à la cause de
son pays . Habile manoeuvrier, il avait l’expérience
de ceux qui ont beaucoup souffert. Doté d’une ardente curiosité intellectuelle,
il avait mis à profit ses nombreuses années de captivité pour s’instruire dans
tous les domaines. « En toute honnêteté , il
donnera sa confiance et son appui à Ben Bella ». L’erreur fatale, d’autant
que Mohamed Khider « détenait » un « trésor de
guerre » (7 milliards de cts venant de La Fédération de France
et remis en 1962 à M. Khider, alors responsable des finances au sein du Bp du
Fln) qu’il avait mis à l’abri –en
Suisse- , en attendant – lui, le
partisan d’un parti de masse face au Président du Conseil Ben Bella qui voulait
un parti d’avant-garde - qu’un régime politique légitime et démocratique s’instaure juste après l’Indépendance , et ce
dans la légalité. Un « trésor » que beaucoup, et Ben Bella en tête , voulaient récupérer....à tout prix. La suite est (presque ) connue. Le 17 avril 1963 ,
Khider , démissionne de ses fonctions de Sg/Fln et part à l’étranger, voulant
se démarquer de la
« dictature » qui s’annonçait (avec un Ben Bella qui , le
pouvoir aidant , est
« consacré » par le fameux Congrès d’avril 1964) dévoilait peu à peu sa vraie nature, et d’un
ministre de la Défense , Houari Boumediène, considéré comme un « danger
potentiel pour le pays ».
L’exil ! La Suisse, la France, la Grande-Bretagne......et enfin
l’Espagne...Le coup d’Etat du 19 juin 1965 ne changera rien à la situation. Au
contraire. Avec une opposition se trouvant à l’étranger qui s’organise de mieux
en mieux (ex : le 29 décembre 1966 , à la
frontière franco-suisse, un pacte est signé entre M. Khider, Mohamed Lebdjaoui
de l’Ocra, H. Aït Ahmed du Ffs et Mohamed Boudiaf du Cndr ) et qui se verra
(ainsi, d’ailleurs que d’autres personnalités opposées à H. Boumediène) aidée
financièrement par M. Khider. . Quelques jours après, le soir du 3 janvier
1967, M. Khider est assassiné à Madrid., sous les yeux horrifiés de son
épouse.....L’enquête , menée rapidement par la police
espagnole établit l’implication de membres de l’ambassade d’Algérie à Madrid et
d’un certain Dakhmouche Youssef....... recherché mais jamais arrêté. Mohamed
Khider sera enterré à Casablanca. Il y est encore.....
Après la mort de H. Boumediène, et
grâce à la politique plus ouverte et plus conciliante de Chadli Bendjedid,
l’affaire des fonds trouvera enfin son dénouement.......Qu’en fera –t-on ?
Là , c’est une toute autre histoire.
Aujourd’hui, heureusement, et grâce à Ali Kafi, le nom de Mohamed Khider est
donné à l’aéroport à l’Université de Biskra......et ,
selon les « mémoires d’un agent secret » européen (Grasset,
1976), Dakhmouche , après avoir échappé
à toutes les recherches, est mort, «la
tête écrasée par un char »....ayant « trébuché sur une pierre
(sic !) , lors de manœuvres militaires » auxquelles il était invité.
L’ Auteur : C’est le
fils de Mohamed Khider, né en 1954 au Caire. Agé de 13 ans au moment du drame,
il consacre sa vie à la recherche de la vérité sur la mort de son père. Son
livre est dédié à sa mère , à sa famille mais, en
premier lieu, à son père « assassiné par ses « frères »
.......et aux compatriotes « qui ont soif de vérité »
Extrait : « Malgré ces dissensions internes,
la Révolution marque des points sur la scène internationale. Enlisée dans le
bourbier algérien, la France perd le peu de prestige que le Général De Gaulle
lui a restauré après la débâcle du régime
de Vichy en 1940. La torture pratiquée à grande échelle par l’armée française
soulève l’indignation de la communauté internationale. Un front Nord africain
consitué à l’Onu mettra la France dans le banc des accusés » (p 58)
Avis : Très
convaincant ! Fourmille d’informations et chargé d’émotion.....car, et
c’est bien vrai , malgré tout, « les héros ne meurent jamais ».Voir ,
en annexes, des textes de haute teneur politique pour l’époque, le discours de
M. Khider au Parlement français lors des
séances du 18 mars 1947 (débat sur l’Indochine) , du 26 juillet 1949
(débat sur l’intégration de l’Algérie dans le Pacte Atlantique) , du 13
décembre 1949 (débat sur les évènements de Sidi Ali Bounab)
Citations : « Il
avait un sens de l’humour très vif......Critiquant ce qu’étaient advenus les
comités algériens d’autogestion....il avait dit « A vrai dire, ce sont des
comités d’autodigestion » (p 131) , « Que peut-on espérer , en effet,
d’un régime décidé à effacer toute trace de Khider , de sa personnalité, de son
combat ?Non satisfait de lui avoir
ôté la vie, il veut salir son
âme. Continuer à le faire passer pour un voleur
reste , pour Boumediène, la seule voie à suivre pour achever sa victime
» (p 163), « La guerre de libération a été , pour les uns une guerre
totale et sincère contre l’occupant pour l’indépendance ; pour d’autres,
une opportunité pour prendre le pouvoir afin d’asservir et de s’enrichir. Pour cela , ils n’ont pas hésité à éliminer ceux qui n’étaient
pas d’accord avec eux » (p 198)