HISTOIRE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
ESSAI ALICE CHEKRI- « MEMOIRE ANACHRONIQUE.... »
Mémoire anachronique. Lettre à moi-même et à quelques autres. Essai
de Alice Chekri. Editions Barakh, Alger 2016, 370 pages, 950 dinars. Ouvrage annoncé
également en France aux Editions de l’Aube
Elle est loin, très loin de ces « nouveaux » intellectuels
médiatiques (d’ici et d’ailleurs) « qui ne savent rien de la guerre et qui
la pratiquent, qui n’ont aucune expérience, même viscéralement, quelles
que soient leurs performances de ce qu’est le décentrement, le
« messianisme » dirait Derrida, ou le « désert du
désert ».Une position où elle se reconnait comme personnne
et comme analyste.
Plus simplement , elle est, en fait, profondément
humaine, totalement universelle et entièrement Algérienne
Déjà , au début des années 50, s ’était précisé
, pour elle , le sentiment que la France et les Français étaient étrangers à
l’Algérie . Fin 54-début 55,
étudiante en médecine, à Alger,
fréquentant l’association de André Mandouze,
alors professeur de Lettres, proche de Boualem Oussedik, de Daniel Timsit, de Pierre Chaulet , de Saïd Hermouche (un des
premiers étudiants à prendre le maquis ), de Janine Belkhodja....et
de F. Fanon, elle était déjà convaincue que « l’Indépendance de l’Algérie
était souhaitable et inévitable ».
Elle soutient la lutte de libération nationale : formation
d’infirmiers, approvisionnement en médicaments, collecte et diffusion de
tracts, résistant face aux étudiants pro-Algérie française, antisémites et
« machos ».....Détail important,
un soutien qui ne relevait d’aucun « militantisme », mais
plutôt et surtout d’un « engagement avec une participation active ».
Non pour réaliser un « tout
idéal », pour défendre « la Cause », mais pour que s’inscrive
une différence......relative, mais essentielle à ses yeux : Que les Algériens
colonisés sortent de la situation coloniale, que les filles aillent à l’école
et autres mutations. De l’humain, de l’universel et de l’Algérianité
avant tout.
Elle nous raconte donc, à travers
douze années de vie, son itinéraire, non de façon linéaire (« un
travail fastidieux ») mais au fil de ses souvenirs retrouvés (parfois
difficilement, le temps assassin ayant parfois« silencié »
la mémoire) dans un mélange de lieux et de temps, donnant encore plus de
suspens à ce qui va être dit le paragraphe ou le jour suivant. A chaque page,
on (re-) découvre , avec
elle, un moment de vie. Donc, pas un récit historique mais une
« traversée », « une lettre ,
littéralement la lettre en souffrance à partir de laquelle viennent se former
des mots ou des paroles qui s’adressent à un autre, intérieur ou
extérieur » .
Avec, bien sûr, des pointes d’humour, un esprit critique très finement
ciselé (règlant , au passage,
quelques « comptes » : en fait, elle dit, tout simplement,
directement, ses « quatre vérités » « à ceux qu’elle aime »
...et « à ceux qui ne l’aiment pas » ) et quelques « révélations ».
Soixante-dix pages d’annexes dont trois
merveilleux textes : le premier sur son père, « L’homme au
profil andalou » ( Chèvrefeuille étoilée, 2007);
le second, « Fille d’Alger » ( Bleu Autour, 2012) et le troisième , « Qui êtes-vous, madame
la France ?» ( Gallimard, 2007), les trois documents publiés dans des ouvrages
collectifs (français) dirigés par Leïla Sebbar.
L’Auteure : Psychiatre, psychanalyste, essayiste. Née à Alger en 1936, renvoyée de l’école publique à l’âge de 4 ans
alors élève en maternelle , par les autorités
« pétainistes » et pro-nazies de l’époque,
parce que « juive », étudiante à la fac’ d’Alger durant les années
50. Part active (en Algérie, en France, en Tunisie, en Rda....) dans la lutte
pour l’Indépendance (elle parle surtout de « guerre contre la
France », ce qui est un concept à mieux et à plus approfondir par nos
historiens). A collaboré avec F. Fanon , à Blida et en
Tunisie. Vit et travaille à Paris depuis
1965, mais revient très régulièrement à Alger. Auteure de plusieurs ouvrages dont
« Frantz Fanon, portrait » édité en 2000 aux Editions Le Seuil ainsi qu’à
Alger et elle écrit dans de nombreuses revues . Séjourne plusieurs fois par an en Algérie dans
le cadre de commémorations, de manifestations et de formation...
Extraits : « Les Allemands ont très peu de curiosité pour les
Maghrébins, pas assez orientaux pour leurs fantasmes » (p 43) , « Ai-je
raison de rappeler l’antisémitisme massif des Européens d’Algérie si occulté de
nos jours ? En lieu et place , on clame
l’antisémitisme des musulmans maghrébins. Il existe, certes, essentiellement
lié à la confusion entre sionisme et judaïsme, au conflit
israélo-palestinien et à la ségrégation larvée des enfants de banlieue »
(p 48), « Je peux nommer ce qui me fascine à travers les années chez
certains hommes : leur haine du lien qui leur fait entreprendre tous
azimuts, et peu après déconstruiire, détruire même.
Cela ne concerne pas seulement les artistes, mais aussi des hommes politiques -
et, pour ces derniers, je dirais surtout. » (p 50), « Il y a , en France du moins, un énorme tapage autour des juifs
qui partent pour Israël, pas un mot sur ceux,
nombreux, qui en reveinnent « (p 171),
Avis : Emouvantes, captivantes.....confessions. Accompagnées d’un amour réel, profond .....et fou (et
« jamais déçue par l’Algérie » ) pour le
pays natal, pour la terre des ancêtres. Toujours moudjahida
(forcée à un certain « exil », car refusant de se plier au « diktat »
d’un article exhortant à demander la nationalité algérienne « pour
services rendus à la Révolution », elle dont ses ancêtres , issus de
l’antique diaspora et des Berbères judaïsés, ont habité l’Algérie
depuis plus de deux mille ans. Elle a reçu la nationalité algérienne par décret
présidentiel du 13 novembre 2012
Pour la première fois, je re-lis un
ouvrage juste après l’avoir lu. Non pour mieux comprendre des thèses ou des
points de vue ou des appréciations , jamais osées ou
originales, mais pour apprendre.
Citations : « La série
télévisée, de préférence policière, a pour effet de suspendre l’angoisse, de la
suspendre seulement » (p 46) , « On s’engage
au nom de ce qui va être différent sans qu’il s’agisse d’idéologie.
Lutter, combattre même pour un
changement que l’on estime nécessaire, n’implique pas que l’on y mette tous ses
espoirs ou que l’on s’y perde ; il suffit d’espérer seulement qu’à l’issue
du combat s’inscrive une différence » (p 123) ,
« L’identité n’est pas un précipité chimique ; si l’on peut parler
d’identité , c’est un index tendu vers ce qui vient, est à venir, se
transforme, laisse des traces. Assigner à un sujet une identité est le propre
du nationalisme et même de l’intégrisme . Dire
« je suis » est un franchissement de cet assujettisseemnt
et se fait à partir de multiples identifications toujours en mouvement et
toujours à venir » (p 154), « Un livre, une fois écrit et livré aux
lecteurs, on l’oublie. A la différence d’un enfant » (p 193)