VIE POLITIQUE- OPINION ET POINT DE VUE- DECENNIE
NOIRE/FIS 2019- RISQUE OU CHANTAGE ?
« Retour à la décennie noire » : risque avéré ou chantage ?
(c) par
Nidal Aloui /www.tsa-algerie.com,
vendredi 8 Mars 2019
·
“L’Algérie
sera le tombeau de l’intégrisme”, prédisait dans les années 90 un responsable
de la lutte antiterroriste. Vingt après la signature d’un accord entre l’ANP et
une partie des groupes armés représentés par l’AIS de Madani Mezrag et Ahmed Benaïcha, la
prédiction s’est-elle réalisée?
Incontestablement,
l’armée a brisé le terrorisme et revendique cette victoire. Pourtant, le
discours politique continue de faire croire à une survivance de l’extrémisme.
Il peut rejaillir, pronostique-t-on sous la forme de la “décennie noire”, voire
même du chaos syrien. On parle moins de la Libye où Kadhafi a fini terré dans
une canalisation avant de rencontrer son cruel destin.
Risque
avéré ou chantage ? En tout cas, les partisans du 5e mandat, à commencer par le
président de la République et le chef d’état-major de l’armée, n’hésitent pas à
agiter ce spectre devant les citoyens de plus en plus nombreux à rejoindre les
cortèges des manifestants et face à la communauté internationale que verrait
l’Algérie basculer encore dans l’instabilité.
L’ambassadeur
d’Algérie à Paris Abdelkader Mesdoua, dont le propre
fils jubile à la vue de ces cortèges en rêvant d’un “changement générationnel”,
a poussé l’audace jusqu’à prévoir des hordes de barbares débarqués dans les
banlieues françaises en cas de retrait de Bouteflika. Simple hypothèse : et si
le chef de l’Etat venait à être rappelé à Dieu, évidence que le mystique qu’il
est ne doit pas manquer d’envisager pour chaque instant ? Sauf à fourbir un
autre projet que ses zélateurs auraient peut-être déjà ficelé. Et puis, si les
intégristes l’emportent, ils n’auront pas besoin d’envahir les banlieues de Paname.
A bien
observer la situation pourtant, le spectre tient plus du chantage que d’une
menace réelle. L’islamisme est en plein reflux après avoir connu son apogée
dans les années 90. Son expansion découlait à la fois de la révolution
iranienne et de la fin du communisme en Afghanistan où le président Mohammed
Najibullah fut renversé en 1992 subséquemment à l’effondrement de l’URSS.
En
Algérie, l’islamisme violent est d’abord le produit d’une manipulation. En
1988, pendant que brûlaient les symboles du pouvoir sous les coups de tison des
manifestants, la Sécurité militaire avait lancé ses hommes contre les militants
progressistes, arrêtés et torturés par centaines. Pour éteindre l’incendie qui
se propageait malgré la proclamation de l’état d’urgence et le déploiement de
l’armée qui a tiré sur la foule, le président Chadli eut l’incroyable idée
d’ouvrir les portes de la présidence de la République aux chouyoukh,
parmi lesquels Abassi Madani.
Ce fut un
cadeau divin. Chadli venait d’offrir aux islamistes la direction d’une
insurrection sans leaders. Ils n’avaient joué aucun rôle dans son déclenchement
mais le rendez-vous à la présidence était un acte de légitimation. La suite
sera pain bénit.
Les
islamistes créent le Front islamique du Salut (FIS) qui sera reconnu au mépris
de la Constitution. La loi fondamentale énonçait clairement qu’on ne pouvait
pas créer un parti sur “une base religieuse”. Pourquoi cette mansuétude? Parce
que la présidence était animée par un calcul sordide. Le “parti de Dieu”
reconnu, on l’encouragea à prospérer en toute liberté, ne mettant aucune limite
à ses menaces et à ses violences. Le but était de gonfler à l’hélium cet
épouvantail hideux pour faire apparaître le FLN comme le recours. En 1990, il
gagne les élections locales. On vit disparaître du fronton des édifices publics
la devise républicaine remplacée par “baladia islamiya”. “L’administration est en train d’ensemencer les
germes de la guerre civile”, avait averti un dirigeant de l’opposition. Il n’a
pas été écouté.
Un an
après, c’est le rendez-vous des législatives. Mais le FIS ayant manifesté des
désirs d’émancipation, on décide de le brider grâce à une loi sur le découpage
électoral taillée spécialement pour une victoire du FLN. Pas dupe, le FIS lance
une grève politique. Il demande l’annulation de la loi et réclame
l’organisation d’élections législatives et présidentielle en même temps. Chadli
était brocardé sous le sobriquet de “mesmar Djeha” (clou de Djeha)
qu’il fallait absolument arracher. Dans les rues, les légions islamistes criaient
“mesmar Djeha, lazem yatnaha“. Mais
l’arrache-clou fut ôtée de leurs mains par l’armée qui a décrété l’état
d’urgence et arrêté les principaux dirigeants du FIS. C’est à ce moment que se
formèrent les premiers groupes armés, comme le dira plus tard Mansouri Méliani exécuté après sa
condamnation à mort. Dans ses prêches, Abassi Madani disait que ses “soldats”
allaient même “bouffer” les chars de l’ANP.
L’affaire
était une aubaine pour le pouvoir. En faisant appel à la violence, le FIS avait
fourni les motifs légitimes de sa dissolution. Au lieu de cela, le pouvoir
tergiverse et s’entête à vouloir affaiblir politiquement le FIS, déjà diminué
de ses leaders incarcérés. Il décide de l’entraîner dans de nouvelles élections
législatives sur la base d’un bancal sondage qui donnait le FIS défait. Mais ce
dernier triomphe contre toute attente, avec la promesse de pendre les généraux
sur la place publique. La République islamique désormais à porte d’urnes, le
pouvoir est pris de panique décide de tout annuler. Privés de leur victoire,
les “fous de Dieu” passent pour des victimes devant l’opinion mondiale. Le
terrorisme deviendra même de la “résistance légitime” face à ce qui passe comme
une “spoliation”.
Quand les
groupes armés furent écrasés, le pouvoir décide de négocier avec leurs résidus.
En réalité, leur éradication n’a jamais été à l’ordre du jour parce que
l’épouvantail doit pouvoir être agité à n’importe quel moment. “C’est nous ou
eux”, comme on nous le dit aujourd’hui.
La menace, pour l’instant, n’a pas
l’air de faire trembler. On défile ensemble en mini jupe ou en hidjab, en
costume ou en qamis. Ali Belhadj s’égosille devant un
petit cercle de fidèles. Les cheikhs cathodiques des chaînes privées ont moins
de résonance que les jeunes sur les réseaux sociaux. S’il n’est pas mort,
l’intégrisme est au moins dans un état comateux dans le pays. S’il n’est pas
réanimé, l’Algérie sera bien son “tombeau” comme promis il y a plus de 20 ans.