COMMUNICATION- OPINION-
PRESSE ALGÉRIE 2019- « SOLILOQUE EXPRESS » (TEXTE PUBLIÉ
FACEBOOK FÉV/MARS 2019
(c)AHCENE-DJABALLAH Belkacem , ancien DG de l’Anep et de l’Aps, ancien membre désigné du Csa,
ancien Directeur de l’Information à la Présidence de la République (1993-1999) ancien
professeur associé aux Universités,journaliste indépendant
Q : Comment expliquer
les relations de
« dépendance » des journaux en matière de publicité et leur impact
sur la liberté d’expression ? Et, dans tout cela où se situe l’Anep,
accusée de bien des maux ?
R : Depuis tout particulièrement
le début des années 2000, avec
l’affirmation de l’économie néo-libérale, plus dangereuse encore de par ses aspects informels et
insaississables , on s’est retrouvé avec la domination du marché publicitaire
par des entreprises économiques et commerciales dominatrices et très liées au
pouvoir politique (inchangé depuis 1999) dont on connaît les „façons de
faire“au niveau de la la gouvernance politique des hommes et du pays.D’où des stratégies
publicitaires „dirigées“ en faveur de
certains et rejetant d’autres. C’est là la première difficulté. La
seconde relève d’un marché de consommateurs qui a changé…..se contractant au
niveau du lectorat de la presse écrite (qui a toujours grandement besoin de ce
gisement) d’où une baisse ou une stagnation des revenus et se dirigeant vers la télévision (qui pratique
des prix défiant toute concurrence, tout particulièrement chez les „off-shore“)
. Pour l’instant les sites web ne sont pas très inquiétants (pour ce qui
concerne la pub) mais le mouvement pourrait s’accélérer avec la „normalisation“
(les sites devant se transformer réglementairement en véritables organes de
presse électroniques) de cette partie du paysage audiovisuel.
Il est évident que l’ANEP n’est plus ce qu’elle
était en matière de régie publicitaire, ne gérant qu’une part limitée de la
manne publicitaire. Donc, ne pas lui attribuer
aujourd’hui une importance qu’elle n’a plus. Le drame vient de
l’inexistence de stratégies publicitaires
fortes et claires au niveau des organes de presse qui doivent rechercher
de nouvelles voies dans la prospection et innover en matière de conquête des
publics. Le drame vient aussi de l’existence de „boîtes“ de com‘ et de régies
publicitaires presque toutes ayant un „fil à la patte“ , donc ne
travaillant pas avec les supports sur des bases transparentes et encore moins
scientifiques. Quant aux conséquences sur l’expression …..il
ne faut pas s’amuser à vous faire un dessin. Comme „il a dit, lui“: „C’est celui
qui dirige l’orchestre qui impose la musique“.Hélas, les chefs d’orchestre ne
sont pas toujours de qualité.
Bien compliqué comme paysage médiatique et
publicitaire, n’est-ce pas ? Comme tous les autres
secteurs!
Q : Les journalistes et leur position face à la censure ou les restrictions ?
R : La réaction
protestataire est saine, en ce sens que quel que soit l’organe de presse dans
lequel le journaliste (digne de ce nom)
travaille, il y a , tout en respectant la ligne éditoriale (que l’on
connaissait lorsqu’on s’est fait recruter) , tout particulièrement au niveau du
commentaire et de l’éditorial, un
minimum de respect du lecteur, ou de l’auditeur ou du téléspectateur en
particulier et du citoyen en général, en ce qui concerne la collecte, le traitement et la diffusion de
l’information courante, c’est-à-dire celle qui relève de l’intérêt général et
du service public.....Et ce, au niveau de tous
les organes , publics et/ou privés. Par le biais d’une information complète,
exacte et rapide; et rien n’empêche de faire un ou plusieurs commentaires « orientés », selon la ligne éditoriale et signés soit par
le journal soit par le red’-chef, soit par l’auteur......
Le drame, c’est de voir bien
des titres de presse du secteur public ignorer cette démarche, ou alors ne
l’aborder que timidement en arrondissant les angles .
J’ai connu cette expérience avec les journalistes de l’APS lors de la
« Révolution d’octobre 88 » et juste après 88 avec les sollicitations
multiples créées par l’ouverture démocratique.....et Abdou B. l’a connu, aussi,
encore plus durement, lors de son premier
passage à la télé publique.
En fait, je crois, que c’est,
aujourd’hui, l’occasion , pour tous les journalistes
(encartés ou non) de re-penser à la re-formulation des missions de service
public, d’une presse au service de l’intérêt général et non au service du gouvernement ou de tel ou tel ministre . Ceci à accomplir dans le cadre
de l’exercice du métier........en toute indépendance tout en tenant compte des
lignes éditoriales obligatoirement claires et non changeantes (au gré des
fortunes et des humeurs des propriétaires et des gouvernants).A l’image de ce
que fut et fit , déjà à partir de 86, le Mja...... avait « imposé » ,
indirectement, des « comités de concertation » au niveau des
rédactions, toutes du secteur public (regroupant journalistes élus et
gestionnaires).....et l’Aps avait même dégagé et mis en œuvre une sorte de
« Charte de service public » qui fut suivie à la lettre.Ou presque !
Pour clore ce chapitre, se
souvenir toujours que si la censure est tueuse (d’où une mort
« subite »), l’auto-censure (à laquelle s’ajoutent les mauvaises conditions de travail) est
tuante (d’où une mort lente....... celle qui fait le plus souffrir......doù une
espérance de vie des travailleurs de la presse de moins de 60 ans )
Q : Comment
justifier le non-traitement par les chaînes télévisés d’un évènement
historique comme celui de vendredi (22)? En autre termes, d’où vient la
peur ?
R : Ne pas s’éloigner de la réponse centrale. Pour l’instant , toutes les télévisons « off-shore » ,
même celles qui ont des bureaux accrédités à Alger, ne sont que de
« simples invitées » pouvant à tout moment être éliminées du champ
audiovisuel algérien. Pas de « couvertures », des déplacements très
difficiles sinon impossibles , plus de publicité, plus d’autorisations de
tournage....mille et une mesures de rétorsion
directes ou insidieuses.Les activités informelles ont toutes un revers ...On
comprend alors mieux l’enjeu, pas seulement médiatique mais aussi, économique
et financier. .....le marché national de la publicité étant le seul à portée
des bourses.....parallèlement au « marché de
l’influence socio-politique », certains propriétaires se servant des
dites chaînes comme moyen d’action sur
les foules et de pression (amicale ou non)
sur les gouvernants . Réponse : la peur de
perdre la marché publicitaire et une part du marché de l’influence (qui,
lui-même est lié à tout ou parties de l’économie et du commerce .....)
Q : Nombreux sont les internautes qui ont
appelé à la rupture avec la presse qui ne représente et ne transmet pas la voix
du peuple. Que répondre ?
R : Réaction (extrême
pour ne pas dire extrémiste) de citoyens qui auraient voulu que les médias
classiques aillent dans le sens de leurs attentes....même les plus
inacceptables ou les plus
farfelues. C’est plutôt une certaine
déception qui fait réagir. Les internautes oublient que la presse a beaucoup
lutté et souffert depuis 88 (et même bien avant) pour conquérir sa libération
et sa liberté . Plus de 120 morts , assassinés durant
la décennie rouge, des dizaines d’emprisonnés , des dizaines de titres qui ont
fermé les portes faute de publicité (et
parfois de lecteurs), le chômage forcé, le stress et les menaces quotidiennes
des mafias, une espérance de vie (des journalistes ) n’excédant pas les 60 ans ....La presse algérienne a (et est) été citée
comme exemple dans le monde arabe et en Afrique pour son courage et sa liberté
.Il est faux aussi de dire que toute la presse écrite (privée) n’ a pas
représenté et transmis la « voix du peuple » ? Je pense que ,bien souvent, elle a fait beaucoup et
même « un peu trop » ou « mal » ou « peu » ......le « trop » ou le
« peu » ou le « mal » étant conjugué selon son
idéologie et ses intérêts .Il n‘y a qu’à voir certaines télés
« off-shore » et certains titres de presse écrite qui surfent sur la
vague « populiste » ou religieuse.
Quant aux nouveaux médias que
sont les « réseaux sociaux » (je ne parle pas des sites électroniques d’information dont on
connaît les promoteurs, les animateurs , leur respect des règles minimales
d’éthique et de déontologie, et les adresses.....en Algérie ou ailleurs ) , ils
ont certes bouleversé le paysage informatif national grâce à leur
instantanéité.....mais ils restent encore lacunaires (surtout pour ce qui concerne l’exactitude de
l’information) en raison même de cette instantanéité...et de leur jeunesse.
Q: En 2019, les patrons de journaux reçoivent des
menaces (chantages ?) sur la « publicité », de la part de hauts
responsables, à propos de leurs traitements journalistiques de certains
sujets tabous. La presse n’est donc pas libre ?
R : Dans ces conditions , ces
patrons ne sont aucunement des journalistes.....mais seulement des «
épiciers » (parfois bien gros) de la presse. Hélas, certains journalistes ,
parfois honorables en raison de leur parcours et de leurs luttes, se sont peu à
peu transformé..... « L’aventure intellectuelle » des années 809
est bien loin , celle commerciale a commencé à la fin
des années 90....et celle « commerçante « (et non pas
industrielle et commerciale comme on pouvait l’espérer ou comme on l’a cru un
certain moment) a commencé au début des années 2000.
Et, cela va aller de mal en
pis....au niveau des entreprises. L’espoir de s’en sortir ou de « sauver
les meubles » réside dans une prise de conscience organisationnelle
aiguisée des premiers concernés .......les travailleurs de la presse......c’est-à-dire
d’abord les journalistes, puis les « patrons ».......ainsi que dans
la confection de textes réglementaires clairs, ouverts au service public et à
l’intérêt général et , surtout, ayant pour philosophie centrale la liberté de
pensée et d’agir et pour moteur la
transparence dans la gestion des entreprises.
Email : ahdjab @ gmail.com