COMMUNICATION- ETUDES ET ANALYSES- ECONOMIE DE
L’INFORMATION- ETUDE LOUISE DIMITRAKIS
(c) Louise Dimitrakis, www.algerienetwork.com, 25 octobre 2016
Jamais les médias
algériens n’ont été aussi monopolisés par le pouvoir de l’argent. De riches
oligarques font et défont désormais les opinions à travers leurs télévisions
privées
Mahieddine Tahkout, Isaad Rebrab, Ali Haddad, Reda Mehegueni, Ayoub Ould Zmirli…
Ces hommes d’affaires contrôlent aujourd’hui la plupart des chaînes de
télévision algériennes financées à coup de milliards de dinars pour servir
leurs intérêts ou s’attirer les faveurs du régime.
Tout commence à l’été 2015 lorsque la vente de la chaîne de la télévision El-Djazaïria, l’une des trois premières télévisions privées
lancées en Algérie, à l’homme d’affaires discret Ayoub
Ould Zmrili impose le règne
des oligarques sur le petit écran algérien. Inconnu du grand public, ce
richissime businessman qui a fait fortune dans l’immobilier à Alger où il a
vendu pendant des années des appartements à prix d’or dans quartier chic
d’Alger, Hydra, a fait une entrée fracassante dans le monde des médias algériens.
El-Djazaïria, le zèle politique
Il s’empare d’El-Djazaïria à
la suite d’une longue et harassante négociation avec Karim Kardache
et les deux autres anciens actionnaires de cette télévision qui a révolutionné
le paysage médiatique algérien à travers des émissions satiriques très
critiques comme Journane El Gosto
ou El-Djazaïria Week-end. Au départ, les premiers
propriétaires demandent pas moins de 8 millions d’euros. Mais l’homme
d’affaires fait appel à des lobbyistes pour faire baisser le prix. A 4 millions
d’euros, le marché est conclu. El-Djazaïria change
diamétralement de ligne éditoriale et le nouveau propriétaire fait appel à Hamraoui Habib Chawki, l’ancien
patron de l’ENTV, et l’un des communicants d’Abdelaziz Bouteflika lors de ces
quatre dernières campagnes électorales. Divertissement et zèle politique, El Djazaïria change de look et d’identité. Le pouvoir de
l’argent a pris le dessus sur l’indépendance éditoriale.
KBC, la vitrine d’Issad Rebrab
Une indépendance que risque de perdre prochainement la chaîne KBC, la
télévision du groupe de presse El-Khabar, le premier
quotidien arabophone en Algérie. Fortement endetté et après de nombreux échecs
commerciaux, KBC a fini par céder à l’appel d’un bailleur de fonds, le célèbre
milliardaire Isaad Rebrab
qui veut lancer sa télé depuis des mois. Mais ses récents conflits avec le clan
présidentiel d’Abdelaziz Bouteflika ont amené le patron de Cevital
à revoir ses calculs : il est plus judicieux d’acquérir des parts dans une télé
d’ores et déjà existante que de se lancer seule dans une aventure incertaine.
KBC pourrait encaisser prochainement
un chèque de l’équivalent de 5 millions d’euros de la part de Rebrab. Mais la télévision d’El-Khabar
risque de perdre énormément de son Indépendance. Et pour cause, les intérêts
économiques de l’empire Rebrab en Algérie sont
immenses et ses accointances avec les anciens leaders du DRS risquent de peser
sur les choix éditoriaux de KBC. Au sein du groupe El-Khabar,
de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer cette vente partielle à
l’homme le plus riche d’Algérie. Mais la majorité des actionnaires préfèrent
récupérer le cash du patron de Cevital afin de
surmonter la profonde crise financière qui les secoue.
Echorouk, secoué par la chute du DRS
Une crise financière qui secoue fortement Echorouk,
l’autre puissant groupe médiatique algérien qui possède deux chaînes de
télévisions très regardées : Echorouk TV et Echorouk News TV. Dirigé par Ali Fodil,
ce groupe qui a prospéré grâce au soutien indéfectible du DRS au temps du général
Toufik connaît aujourd’hui des difficultés structurelles qui menacent sa survie
depuis la chute de ses revenus publicitaires et le départ de plusieurs hauts
gradés du DRS, ses principaux soutiens. Pour sortir de l’ornière, Ali Fodil avait fait la danse du ventre à l’homme d’affaires
Ahmed Mazouz, un puissant oligarque très proche de Sellal et du palais d’El-Mouradia.
De la concession automobile jusqu’à l’agro-alimentaire, Mazouz
fait une percée remarquable dans le business ces dernières années avec à la clé
des projets très stratégiques. Mazouz s’apprêtait à
racheter 40 % des parts du groupe d’Echorouk. La transaction a failli se
conclure, mais un revirement à la dernière minute a gelé la décision finale. Mazouz aurait exigé des concessions politiques importantes.
Et Echorouk qui a déjà adouci sa ligne éditoriale
prend le temps de réfléchir. Mais Ali Fodil n’a pas
le choix et il le dit haut et fort à son entourage.
Ali Haddad en quête
d’audience
Autre grade figure de l’économie algérienne, Ali Haddad impose aussi ses
marques dans le paysage audiovisuel algérien. Ses deux chaînes de télévision, Dzaïr TV et Dzaïr News TV,
résistent à la crise financière, s’équipent même d’un siège flambant neuf et
améliorent sans cesse leur grille de programmes. Toutefois, l’audience n’est
pas au rendez-vous car la ligne éditoriale très « servile » repousse les
téléspectateurs. Seuls les programmes sportifs et la diffusion des matches de
football offre une certaine visibilité aux deux chaînes de télé d’Ali Haddad,
le deuxième homme le plus riche d’Algérie, qui continue ainsi de dominer la
scène médiatique avec ces deux quotidiens, Le Temps d’Algérie, WAKT El-Djazaïr
et ses télévisions
Sellal, sur le qui-vive
Ce joyeux destin, Mahieddine Tahkout
ne l’a guère connu avec Numidia News, la chaîne de télévision qu’il a
rachetée en 2015. Une télévision sulfureuse qui s’est distinguée par ses
campagnes haineuses et diffamatoires à l’égard des opposants au 4e mandat de
Bouteflika. Tahkout injecte des milliards dans sa
télé, mais le résultat est catastrophique : les scores reculent, les démissions
se succèdent et la mauvaise gestion plonge Numidia
News dans les abysses de l’audience.
Beur
TV emprunte le
chemin inverse et réussit là où Numidia News a
échoué. La chaîne de télévision du milliardaire Reda Mehegueni, un entrepreneur du secteur des télécoms qui a
fait fortune dans des conditions très sombres avec l’appui de plusieurs
décideurs du DRS, gagne des points grâce à des programmes plus au moins
critiques. Son associé, Brahim Turki, un autre
richissime homme d’affaires, connu pour ses réseaux tentaculaires au sein du
régime algérien, l’aide à renforcer les finances de la chaîne afin de l’offrir
sur un plateau en or au clan de Sellal, le Premier
ministre algérien, qui rêve de succéder à Bouteflika.
Ennahar TV, l’organe du palais
Pour l’heure, seule Ennahar TV échappe au contrôle des
milliardaires les plus riches d’Algérie. Mais la chaîne dirigée par Anis Rahmani n’échappe nullement au contrôle du Palais d’El-Mouradia. Elle est la télévision attitrée du clan
présidentiel qui l’utilise pour faire passer tous ses messages. Les caisses d’Ennahar TV sont toujours renflouées et pas besoin d’un
milliardaire pour la financer.
Coincée entre le pouvoir politique et celui de l’argent, les télévisions algériennes
ont fait le deuil de leur liberté. L’immense promesse d’ouverture lors de leur
lancement semble avoir été enterrée. C’est la course au sensationnalisme et à
l’enrichissement qui détermine les règles du jeu. De nombreux citoyens
algériens dressent amèrement ce constat. Après l’économie, c’est l’information
qui tombe entre les mains des oligarques. Et ce processus ne fait que
commencer.