CULTURE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
BIOGRAPHIE SAID SADI- « CHERIF KHEDDAM.... »
Chérif Kheddam. Abrid
iggunim. Le chemin du devoir. Biographie et
témoignages par Said Sadi. A compte d’auteur, Alger
2017, 1 200 dinars, 455 pages
Il est né un jour de janvier 1927 à Bou Messaoud , un petit village
haut perché de la Grande Kabylie niché au cœur du massif du Djurdjura, dans une
famille paysanne très modeste, maraboutique (donc sinon conservatrice , du
moins rigoriste) ....et après, sept
années d’études religieuses dans une zaouia (Boudjellil) ....
Première rupture : à dix-sept
ans, il prend , comme beaucoup d’autres , en
ces temps d’oppression et de misères, le
chemin de l’exil. Alger, puis la France en 1947. Avec l’accord de son père qui,
au fond de lui-même , voulait certainement en faire un
imam.
Il est décédé en France un jour de janvier 2012 (sa santé –il ne vivait qu’avec un seul rein
et les séances périodiques de dialyse l’épuisait - avait commencé à décliner à
partir de 1995) et il sera enterré dans son village natal qui
, tout au long de sa itinéraire
,n’a jamais quitté l’âme de ses chansons et de sa musique.
Il avait hérité de la sensibilité de la mère qui l’avait ,
comme toutes les mamans berbères, bercé en chantonnant. Premier disque 78 tours
enregistré.....seulement en 114 exemplaires..et sans
faire figurer son nom sur la
pochette. « Par modestie ou prudence sociale » mais « une astuce marketing
(involontaire ?) qui provoqua intérêt et demande
du public ».
Le reste est « une succession de ruptures » qui l’amèneront, lui,
« l’homme à la fierté muette », le toujours « solitaire et
solidaire » (il aurait pu avoir pour devise de vie : « Agir seul
mais toujours demeurer disponible pour l’autre ») ,
à la reconnaissance d’un public de plus en plus large , à la renommée –en
Algérie et en France - et, surtout, au grand respect de son peuple. : Déjà
solidement installé sur la scène musicale kabyle, il rentre à la radio
nationale (la Rta)
en 1963 (chaîne kabyle qui deviendra la II.....une « institution
politiquement tolérée faute de mieux ») . Là,
surtout lorsqu’il est chargé du « Bureau musique »
, il croisera, soutiendra et
encouragera bien des talents émergents ou confirmés.....dont Mohamed Iguerbouchène, lui aussi rentré au pays, Cheikh Nordine, Mohamed Hilmi, Akli Yahyaten, Nouara......et beaucoup
de « maquisards de la chanson ». Et, plus important encore à
signaler, il se rapprochera des jeunes étudiants kabyles animateurs du
mouvement culturel amazighe naissant (dont l’auteur). Cela lui permis de
rencontrer et de chanter –entre autres - devant plusieurs centaines d’étudiants
(1200) , à la salle de cinéma (700 places disponibles) de la cité universitaire de Ben Ak’ avec ......Taos Marguerite Amrouche,
invitée alors au Festival panafricain de la culture de juillet 69
mais, écartée du programme officiel...sur instruction de Boumediène lui-même, au grand regret de M-S Benyahia,
alors ministre de l’Information et de la Cultureur .
« Témoin et acteur primordial de son temps »,il
résistera , durant les années 90, à la vague de « ceux qui avaient déclaré
la guerre à la liberté , au beau et à la raison ». Ainsi, pour
« relooker l’image d’un pays dévasté », il annonce son retour sur
scène (conférence de presse en janvier 1996) et le 23 juin 1996, accompagné par l‘Orchestre
philarmonique international, il anime un fabuleux concert au Palais des Congrès
de Paris (3500 places...et 4000 spectateurs). La quasi-totalité des jeunes
chanteurs (dont Matoub Lounès)
sont présents.
La suite de sa vie est bien remplie avec, toujours, une fidélité sans
faille à son engagement politico-culturel.
L’ Auteur : Médecin
psychiatre, membre fondateur de la Ladh, à l’origine
de la création de la première section d’Amnesty International en Algérie,
plusieurs fois emprisonné (car très tôt engagé dans le combat pour la
réhabilitation de l’identité amazighe et la défense des droits humains) ,
fondateur (en février 1989) du Rcd qu’il dirigera
jusqu’en mars 2012. Deux fois candidat à l’élection présidentielle, élu deux
fois député à l’Apn.....auteur de plusieurs ouvrages
Extraits : « En Kabylie, où vivre signifie
violence et combat contre l’autre, famine ou maladie, on n’exhibe pas son
intériorité, on ne confie pas ses sentiments, heureux ou pénibles » (p
275), « Cinq anq après sa disparition et jusqu’à
plus ample informé, aucune rue ne porte le nom de Chérif Kheddam,
aucune place ou édifice public ne lui a été dédié » (p 440)
Avis : Une grande aventure humaine ,
culturelle et artistique.....et, aussi,
politique. Selon l’auteur, Chérif Kheddam, en « ouvrant , pour les nouveaux chanteurs, l’école musicale
qui a marié l’esthétique et le combat, fut le quatrième pilier qui a porté la
plate-forme politique et doctrinale sur laquelle prendra appui la jeunesse
estudiantine qui a lancé le mouvement culturel berbère »
Citations :
« L’échec engendre la violence et la violence ,
accentuant l’échec, entretient la gouvernance de l’abus » (p 16),
« Quand le pouvoir et la société font cause commune, il reste le dialogue
avec soi-même. Galilée avait ses certitudes, le chanteur peut parler à son
compagnon de travail. Sans médiation, l’instrument ne trahit pas. Lui, au
moins, vibrera selon les impulsions de l’artiste » (p 216), « Du
courage, il y a en eu une telle consommation pendant la guerre qu’il ne doit
plus en rester grand-chose dans cette société » (Taos Marguerite Amrouche, p 263)