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Roman Ryad Girod- "Les yeux de Mansour"

Date de création: 28-02-2019 12:38
Dernière mise à jour: 28-02-2019 12:38
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RELATIONS INTERNATIONALES- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN RYAD GIROD- « LES YEUX DE MANSOUR »

Les yeux de Mansour. Roman de Ryad Girod. Editions Barzakh, Alger 2018, 750 dinars, 225 pages.


Ryad Girod nous avait entraîné , déjà, dans son second roman, vers le côté obscur de la société .... Globalement, toujours la même atmosphère lourde, pesante, oppressante même...et même menaçante. Cette fois-ci, il faut toujours faire gaffe à ce que l’on fait, à ce que l’on dit, à ce que l’on touche, à ce que l’on mange , à ce que l’on boit......car  les gardiens du sacré sont là.....et les jugements, au nom de l’Islam, sont sans appel. L’Arabie saoudite ? Une véritable prison ...certes dorée , pour les expatriés....européens, mais implacable –pour touts les autres, en général les musulmans non « arabes »-  lorsqu’il y a « dépassements ».

C’est ce qui va arriver à Mansour, un cadre expatrié (architecte travaillant dans une représentation en même temps que son ami, le narrateur) , citoyen  syrien, roulant en Camaro rouge (une voiture de luxe) , arrière-arrière-petit-fils  de l’émir Abdelkader.....devenu un « idiot magnifique » (car subissant une maladie rare, dégénérative) tombé entre les bras et les jambes de la belle Nadine une australienne, lumineuse et énigmatique,  d’origine libanaise , chrétienne, trente-neuf ans, mariée..... totalement ..... « habitée » , comme Mansour, par le désert et   cherchant à franchir franchissement sa beauté immédiate pour atteindre son vide et s’y réfugier. A la recherche de l’infiniment beau du vide infini ! Tout un mélange de poésie (Khayyâm, Ibn Arabi,  Adonis, Hafiz...) , de fumée d’encens, d’histoire (la colonisation française de l’Algérie et les promesses non tenues), de méditation sur la gloire perdue des Arabes, de géopolitique contemporaine....et de références aux grands maîtres soufis dont Mansur el-Halladj (le mystique persan du soufisme qui perdit sa tête, au centre de la grande esplanade de Bagdad, un jeudi 26 mars 922, devant une foule immense avide de sang et de membres découpés un à un , de corps brûlé et de cendres dispersés un vendredi 27 mars du haut d’un minaret ... ) .....tandis que l’époux, Stan, produisait son mauvais vin dans la cave de la maison.....ignorant la surveillance du chauffeur pakistanais, Ikram.

Pour cinq cents riyals de récompense, le dit-chauffeur s’en ira dénoncer Mansour et Nadine aux gardiens des bonnes mœurs du royaume. Coupables d’adultère ! un crime ne méritant qu’une centaine de coups de fouet en public et l’expulsion du pays. Mais, il  a fallu que Mansour .....Mansour al-Jazairi.....Mansour ben Soltane ben Hassan ben Mohamed ben Abdelkader.....en rajoute une très, très grosse couche devant ses juges. « Je suis de lui.....Je suis lui ». Quoi ! Tu es Lui ? Le désastre absolu. Le suicide.....Illico, c’est la mise en détention.......avant un procès en hérésie. Très, très vite expédié. On ne badine pas avec la religion en pays intégriste. Il sera décapité – à l’ancienne - sur Al –Safa Squara (Médine) devant une foule en délire : Gassouh ! Gassouh ! « Face à un  idiot magnifique, à la fois innocent et coupable, figure sacrifiée et sacrificielle »

L’Auteur : Né en 1970 à Alger où il vit et y travaille en tant que prof’ de maths ‘ . Grand prix, avec ce roman, Assia Djebar 2018 (langue française). A enseigné à Ryad et  .Paris dans le cadre de L’Agence pour l’Enseignement français à l’étranger. Auteur de deux autres ouvrages dont « La fin qui nous attend » (Editions Barzakh, 2015) déjà présenté in « Mediatic » du jeudi 11 février 2016.....  Un livre étrange, plein de haine et de mépris pour l’humanité telle qu’elle est, car trop cruelle.... l’histoire romancée ,des derniers jours «  de  la fin du monde » annoncée, d’une société en pleine décomposition, prise en étau entre les affairistes  jouisseurs et les religieux mortifères, société  dirigée par une caste  de militaires et d’oligarques   qui vit « ailleurs », en dehors d’elle , dans le luxe, la luxure et l’indifférence.....

Extraits : « Mansour !Nous n’avions rien compris du monde et de sa chute. Nous pensions voir clair dans les intentions des puissants alors que nous n’avions, tous les deux, ni l’intelligence ni l’intuition pour espérer comprendre quoi que ce soit à quoi que ce fut » (pp 85-86), « Le seul mécanisme pérenne depuis la grande époque de Bagdad ou de Damas était celui des souks et des étals.....transformés aujourd’hui en buildings et enseignes de luxe avec, tout autour, un fourmillement de petites mains pour maintenir l’éclat artificiel de la ville. Voilà , peut-être le peuple arabe (....) des riches et des millions de pauvres qui ne vivent que pour devenir riches....avec, transversalement, des milliers de pauvres convaincus qu’ils ne seront jamais riches et qui veulent tout faire sauter et des centaines de riches qui subventionnent cette entreprise désespérée au cas où celle-ci deviendrait un jour rentable........ » (pp 112-113),

Avis : Le  style Girod ! Une écriture totalement originale, maîtrisée, bien sûr,  et de virtuose, qui ne vous lâche pas : ramassée, rapide, vertigineuse.... aux ponctuations rares ou introuvables …..Livre mortifère et déprimant car tortueux et compliqué...et tout en longueurs nécessitant donc une attention permanente pour ne pas se perdre dans les sables (mouvants) des déserts d’Arabie et dans les pensées tardives d’Abdelkader.

Citations : « La foule appelle la foule, la haine, la curiosité, la peur, l’oisiveté, la conviction, l’erreur, l’attente, la vengeance... » (p 18), « Quel homme d’entre ces hommes n’aurait pas souhaité être à la fois le centre et la circonférence » (p 158), « Nous sommes si souvent dans l’erreur.....il suffit de si peu de choses, un tout petit argument, aussi insignifiant soit-il, juste légèrement erroné mais suffisant pour dévier notre trajectoire de la vérité......que toute rationalité du monde, la plus rigoureuse , ne saurait ramener la vérité » (p 175),