RELATIONS INTERNATIONALES- BIBLIOTHEQUE
D’ALMANACH- ROMAN RYAD GIROD- « LES YEUX DE MANSOUR »
Les yeux de Mansour. Roman de
Ryad Girod. Editions Barzakh, Alger 2018, 750 dinars,
225 pages.
Ryad Girod nous avait entraîné , déjà, dans son second roman, vers le côté obscur
de la société .... Globalement, toujours la même atmosphère lourde, pesante,
oppressante même...et même menaçante. Cette fois-ci, il faut toujours faire
gaffe à ce que l’on fait, à ce que l’on dit, à ce que l’on touche, à ce que
l’on mange , à ce que l’on boit......car
les gardiens du sacré sont là.....et les jugements, au nom de l’Islam,
sont sans appel. L’Arabie saoudite ? Une véritable prison ...certes dorée , pour les expatriés....européens, mais implacable
–pour touts les autres, en général les musulmans non « arabes »- lorsqu’il y a « dépassements ».
C’est ce qui va arriver à Mansour, un cadre
expatrié (architecte travaillant dans une représentation en même temps que son
ami, le narrateur) , citoyen syrien,
roulant en Camaro rouge (une voiture de luxe) , arrière-arrière-petit-fils de l’émir Abdelkader.....devenu un
« idiot magnifique » (car subissant une maladie rare, dégénérative)
tombé entre les bras et les jambes de la belle Nadine une australienne,
lumineuse et énigmatique, d’origine
libanaise , chrétienne, trente-neuf ans, mariée..... totalement
..... « habitée » , comme Mansour, par le
désert et cherchant à franchir
franchissement sa beauté immédiate pour atteindre son vide et s’y réfugier. A
la recherche de l’infiniment beau du vide infini ! Tout un mélange de
poésie (Khayyâm, Ibn Arabi, Adonis, Hafiz...) , de fumée d’encens,
d’histoire (la colonisation française de l’Algérie et les promesses non
tenues), de méditation sur la gloire perdue des Arabes, de géopolitique
contemporaine....et de références aux grands maîtres soufis dont Mansur
el-Halladj (le mystique persan du soufisme qui perdit sa tête, au centre de la
grande esplanade de Bagdad, un jeudi 26 mars 922, devant une foule immense
avide de sang et de membres découpés un à un , de corps brûlé et de cendres
dispersés un vendredi 27 mars du haut d’un minaret ... ) .....tandis que l’époux, Stan, produisait son mauvais vin dans la
cave de la maison.....ignorant la surveillance du chauffeur pakistanais, Ikram.
Pour cinq cents riyals de récompense, le
dit-chauffeur s’en ira dénoncer Mansour et Nadine aux gardiens des bonnes mœurs
du royaume. Coupables d’adultère ! un crime ne
méritant qu’une centaine de coups de fouet en public et l’expulsion du pays.
Mais, il a fallu que Mansour
.....Mansour al-Jazairi.....Mansour ben Soltane ben Hassan ben Mohamed ben Abdelkader.....en
rajoute une très, très grosse couche devant ses juges. « Je suis de
lui.....Je suis lui ». Quoi ! Tu es Lui ? Le désastre absolu. Le
suicide.....Illico, c’est la mise en détention.......avant un procès en
hérésie. Très, très vite expédié. On ne badine pas avec la religion en pays
intégriste. Il sera décapité – à l’ancienne - sur Al –Safa
Squara (Médine) devant une foule en délire : Gassouh ! Gassouh !
« Face à un idiot magnifique, à la fois innocent et coupable, figure
sacrifiée et sacrificielle »
L’Auteur : Né
en 1970 à Alger où il vit et y travaille en tant que prof’ de maths ‘ .
Grand prix, avec ce roman, Assia Djebar
2018 (langue française). A enseigné à Ryad et
.Paris dans le cadre de L’Agence pour l’Enseignement français à
l’étranger. Auteur de deux autres ouvrages dont « La fin qui nous
attend » (Editions Barzakh, 2015) déjà présenté
in « Mediatic » du jeudi 11 février
2016..... Un livre étrange, plein de
haine et de mépris pour l’humanité telle qu’elle est, car trop cruelle.... l’histoire
romancée ,des derniers jours « de
la fin du monde » annoncée, d’une société en pleine
décomposition, prise en étau entre les affairistes jouisseurs et les religieux mortifères,
société dirigée par une caste de militaires et d’oligarques qui vit « ailleurs », en dehors
d’elle , dans le luxe, la luxure et l’indifférence.....
Extraits : « Mansour !Nous n’avions rien compris du monde et de sa chute. Nous
pensions voir clair dans les intentions des puissants alors que nous n’avions,
tous les deux, ni l’intelligence ni l’intuition pour espérer comprendre quoi
que ce soit à quoi que ce fut » (pp 85-86), « Le seul mécanisme
pérenne depuis la grande époque de Bagdad ou de Damas était celui des souks et
des étals.....transformés aujourd’hui en buildings et enseignes de luxe avec,
tout autour, un fourmillement de petites mains pour maintenir l’éclat
artificiel de la ville. Voilà , peut-être le peuple arabe (....) des riches et
des millions de pauvres qui ne vivent que pour devenir riches....avec, transversalement,
des milliers de pauvres convaincus qu’ils ne seront jamais riches et qui
veulent tout faire sauter et des centaines de riches qui subventionnent cette
entreprise désespérée au cas où celle-ci deviendrait un jour
rentable........ » (pp 112-113),
Avis : Le style Girod ! Une
écriture totalement originale, maîtrisée, bien sûr, et de virtuose, qui ne vous lâche pas :
ramassée, rapide, vertigineuse.... aux ponctuations rares ou introuvables
…..Livre mortifère et déprimant car tortueux et compliqué...et tout en
longueurs nécessitant donc une attention permanente pour ne pas se perdre dans
les sables (mouvants) des déserts d’Arabie et dans les pensées tardives
d’Abdelkader.
Citations : « La foule appelle la foule, la haine, la curiosité, la peur,
l’oisiveté, la conviction, l’erreur, l’attente, la vengeance... » (p 18), « Quel
homme d’entre ces hommes n’aurait pas souhaité être à la fois le centre et la
circonférence » (p 158), « Nous sommes si souvent dans
l’erreur.....il suffit de si peu de choses, un tout petit argument, aussi
insignifiant soit-il, juste légèrement erroné mais suffisant pour dévier notre
trajectoire de la vérité......que toute rationalité du monde, la plus
rigoureuse , ne saurait ramener la vérité » (p 175),