HISTOIRE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
ROMAN TAHAR DJAOUT- « LES VIGILES »
Les Vigiles. Roman de Tahar Djaout. Quipos
Editions, Alger 2014 (Editions du
Seuil Paris 1991 et Points Editions Paris 1995), 900 dinars, 223 pages
Trois personnages, un lieu, un thème, une intrigue (ou, plutôt, un complot)
et, à la fin une morale civilo-politique assez vite récupérée idéologiquement par la
Révolution. Côté cour, dans une toute petite ville perdue dans la campagne mais
assez proche de la toute grande et puissante capitale, deux anciens
combattants, toujours sur le qui-vive, continuent leur combat, se croyant
toujours dans on ne sait quel maquis , voulant à
tout prix « protéger » le pays de toute tentation de
détournements des objectifs de la Révolution de Novembre. Côté jardin, un jeune
chercheur quelque peu contestataire - juste ce qu’il faut pour ne pas tomber
dans les multiples pièges tendus par l’ordre établi- tentant, dans la
discrétion et œuvrant surtout la nuit (voilà qui est louche !), de mettre
en plan une nouvelle machine à tisser sur la base de ce que ses ancêtres
utilisaient. Les « vigiles » , n’ayant plus à rien à faire, sont là,
à surveiller les allées et venues, rapportant tout aux « Autorités »
(d’autres super-vigiles plus proches encore de la Capitale).....et élaborant un
véritable « complot » pour punir le « contrevenant » , de
plus un « étranger »....venu de la grande ville.
Quatre parties aux textes dignes d’être étudiés au niveau des grandes Ecoles
sectorielles :
- Une discussion entre « intellectuels ».....Dans un lieu de
« contestaion » underground
, un bistrot enfumé et bruyant de la Capitale avec ses propos et ses interrogations assez
snobinards (pp 74-75)
-La faim, la soif qui poussent, hélas, à l’asservissement et à l’idolâtrie
des dictateurs, avec l’acceptation d ‘un ordre des vainqueurs et d’un ordre des
vaincus (pp 119-122)
-Un interrogatoire de police (imaginé, bien sûr !) avec ses multiples
questions allant de la plus grave à la plus ridicule (pp 128-129)
-Les tracasseries bureaucratiques (aujourd’hui n’ayant plus cours,
heureusement !) au Port d’Alger (pp 141-146)
Huereusement la presse (non, pas la presse, plutôt
un journaliste) est là.....L’Appareil central réagit et le complot local se transforme assez vite en récompense du
chercheur.
L’Auteur : Poète, romancier, journaliste. Né en 1954 à Ihil Ibahriyen (Oulkhou) près d’Azzefoune. Une
multitude d’écrits journalistiques et des œuvres littéraires (dont Les
chercheurs d’os). Décédé le 2 juin 1993, suite à des blessures
, victime à la sortie de son domicile (Alger) d’un attentat
terroriste islamiste.
Extraits : « Il s’était demandé un jour,
(....) pourquoi les femelles, elles , ne quittaient
pas les hommes stériles. Sans doute parce que, avait-il conclu, les enfants
n’étaient jamais perçus comme une descendance de femme, mais seulement comme
une descendance d’homme. La femme n’a pas de postérité » (p 17), « La
fringale de béton n’est satisfaite que pour quelques années : une denture
de ferraille se dresse toujours sur la terrasse, en prévison
de l’étage supplémentaire que l’on songe à élever » (p 47), « Ce qui
est effrayant chez cette nouvelle génération de dévôts
zélés, c’est sa négation même de toute joie, c’est son refus de toute opinion
différente , son rêve de soumettre le monde aux rigueurs d’un dogme inflexible
« (p 71)
Avis : Un livre –clé de la nouvelle littérature
nationale, celle des années 90 (adapté au cinéma). Thèmes toujours d’actualité,
hélas, dans d’autres habillages. De la critique politique d’abord et sociale
ensuite, fortement mais clairemnt annoncée. Et, que
d’humour !
Citations : « Notre religion ne s’accommode pas , hélas, de la
gaieté dispensée par les essences des fruits fermentés. Nous avons quelques
bons siècles de gaieté gaspillée à rattraper » (p 32), « Le rêve de
culture et d’élévation du pays s’est englué dans une immense bouffe, s’est noyé
dans une kermesse stomacale. Un pays en forme de bouche vorace et de boyau interminable , sans horizon et sans rêves » (p 104), « Ici, la pierre , le foin et les bêtes
sont proches ;il suffit de gratter une mince couche pour les voir et les
respirer. La seule richesse de la ville est sa lumière qui crépite comme de la
chaux vive » (p 142), « La femme ne procrée pas pour la tendresse ou
pour le plaisir d’être mère. Elle procrée non pour se perpétuer mais pour
perpétuer l’homme qui l’asservit » (p 214)