POPULATION- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
RECUEIL NOUVELLES ISABELLE EBERHARDT- « YASMINA ET AUTRES
NOUVELLES... »
Yasmina et autres nouvelles algériennes. Recueil de nouvelles de Isabelle Eberhardt. Editions Talantikit,
Bejaia 2015, ????dinars, 248 pages
Certes, j’avais déjà lu des articles, des études et des ouvrages sur
Isabelle Eberhardt, personnage de légende ; chaque auteur, selon son
orientation politique ou son humeur, faisant pencher la balance d’un côté ou de
l’autre. Certains n’y ont vu que la Russe
devenue (comme sa mère) musulmane,
d’autres, l’amie du Maréchal Lyautey donc trop proche du corps militaire
d’occupation (avec tout ce que cela
entraîne comme doutes et suspicions) , quelques-uns n’ont pas apprécié sa manière de
se vêtir et de vivre.....
En réalité, on ne peut bien la découvrir qu’à travers ses reportages et ses
« nouvelles », écrits à chaud, puisés du terrain (surtout les Hauts
Plateaux et le Sahara) et , indirectement, de sa vie
publique ou privée . Ils sont rares à être publiés, mais l’ouvrage présent est,
peut-être , le plus représentatif de sa personnalité
aventurière, certes , mais pas si enigmatique qu’on
l’a prétendu.
Les « nouvelles » présentées sont un mélange difficile à démêler. Et , à partir d’un certain moment, on ne sait plus où
s’arrête la fiction et où commence la réalité. Tant les valeurs essentielles du
pays et les situations sont décrites
avec force et vérité.....avec un amour profond et sincère pour l’Algérie et ses
populations. De l’empathie à pleines pages. Avec des descriptions émouvantes
, remuant les tripes, de la misère
économique et sociale, de la pauvreté
des « indigènes » , avec des
révoltes contre l’exploitation coloniale
et les expropriations , l’aveuglement militaire, l’exploitation sexuelle et la
prostitution ,la solitude, la condition de la femme, la vie (si triste, si dure) , avec l’inévitable grand amour (si beau mais si
bref et parfois, si traître) , avec l’acceptation fataliste de la mort (parfois
si attendue) et avec la dénonciation des
superstitions et de la pratique de la sorcellerie.
Vingt trois textes, longs et courts,dont le plus
émouvant (ils le sont tous, en vérité) est « Yasmina », l’histoire
d’une toute jeune bédouine, bergère de son état, ayant succombé au charme d’un
militaire « kefer », bel officier
nouvellement débarqué de France.....Par la suite , oubliée de son amant affecté
ailleurs, abandonnée de tous, elle finira prostituée...toujours en attente de
son amoureux. Une « histoire tirée par le cheveux » ? Oh que
non, sûrement bien vraie.....une parmi des centaines d’autres, l’occupation
coloniale militaire s’étant accompagnée,
toujours, d’une exploitation
inimaginable de la femme.Le repos du guerrier ?
L’Auteure : D’origine russe, née en février 1877 en
Suisse, très tôt musulmane, ayant vécu
une partie de son enfance (deux années) à Bône ou Annaba (c’est sa prononciation préférée), une
ville inoubliée (sa mère y est enterrée, au cimetière Zaghouane,
la « colline sainte », car convertie à l’Islam ).
A partir de 1899, drapée dans les plis d’un burnous et bottée en cavalier
arabe, elle part à la découverte du Sahara dont elle tombera follement
amoureuse.....et deux années après, elle épouse Slimane ,
un interprète , sous-officier des spahis. Elle s’initie à la confrérie soufie
des Kadirias. Reporter de guerre ,
elle est emportée par une crue soudaine
à Ain Sefra (où elle réside) à l’âge de 27 ans, le 21
octobre 1904. Elle laisse de multiples
écrits :des lettres, des reportages, des
articles, des esquisses de roman, des « journaliers » , sorte de
journal intime........et ces nouvelles.
Extraits : « Maintenant, Oum Zahar
et Messaouda serviraient leur père seules. Puis,
l’une après l’autre, il les donnerait à des hommes que lui-même aurait choisis
et dont elles deviendraient les servantes... Puis, pour elles aussi, se
lèverait le grand jour de la maternité. Et, ainsi toujours, de génération en
génération « (p 111) , « Le système en
vigueur avait pour but le maintien du statu quo.....Ne provoquer aucune pensée
chez l’indigène, ne lui inspirer aucun désir, aucune espérance d’un sort
meilleur. Non seulement ne pas chercher à les rapprocher de nous, mais, au
contraire, les éloigner, les maintenir dans l’ombre, tout en bas....rester
leurs gardiens et non pas devenir leurs éducateurs » (p 150) ,
« C’est le règne de la stagnation , et ces territoires militaires sont
séparés du restant du monde, de la France vivante et vibrante, de la vraie
Algérie elle-même, par une muraille de Chine que l’on entretient, que l’on
voudrait exhausser encore, rendre impénétrable à jamais, fief de l’armée, fermé
à tout ce qui n’est pas elle » (p 150)
Avis :Un style « (très)
grand reportage »..... qui date....mais pas prétentieux et
,surtout , accessible aux rêveurs et aux nostalgiques
Citations : « Le crime est souvent, surtout
chez les humiliés, un dernier geste de liberté »( p
131), « Si tous les bras retombaient impuissants devant l’œuvre à
accomplir, si personne ne donnait le bon exemple, le mal triompherait toujours,
incurable » ( p 148),