VIE POLITIQUE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
ESSAI BACHIR DAHAK- « LES ALGERIENS, LE RIRE ET LA POLITIQUE.... »
Les Algériens, le rire et la politique.De
1962 à nos jours. Essai de Bachir
Dahak (Préface de Boualem Sansal , postface de
Elisabeth Pérégo, illustrations de Ali Dilem). Editions Frantz Fanon, Tizi
Ouzou 2018, 700 dinars, 187 pages.
Bien sûr , il y a le meilleur des blagues populaires mais il y a
,aussi, les portraits « vrais » , c’est-à-dire tels que les
percevaient les citoyens, des dirigeants successifs du pays ainsi que ceux de
certains des décideurs –clés. Toujours presque bien mieux que ceux présentés
par les études universitaires entreprises par des politologues qui , hélas, se « perdent » habituellement
(recherche oblige !) dans les explications académiques assez austères des
faits et gestes , s’éloignant ainsi des images perçus.
On a ,donc,
successivement, Ahmed Ben Bella, Amar Ouzegane, Kaid Ahmed, Houari Boumediene,
M-C Messadia, Chadli Bendjedid, Ali Kafi, L. Zeroual, A. Bouteflika, A. Sellal,
les militaires , les islamistes…Un seul dirigeant échappe à la
moulinette des humoristes : M.Boudiaf. Beaucoup plus en raison de son passage
–éclair et ,aussi , de sa stature d’homme intègre. Donc, l'humour est un instrument puissant :
il vulga (ri-re) se la politique ; il fait tomber les barrières
idéologiques et rejoint facilement un large public.
L’auteur,
Bachir Dahak, le bien-nommé, s’en est donné à cœur joie en récoltant les
« meilleures » tout en les inscrivant dans le contexte
socio-politique du moment et tout en portraiturant les « cibles ».
Avec lui, on
se régale d’autant que ,pour les plus âgés d’entre les
lecteurs, le travail présenté les replonge dans un univers que les moins de
quarante ans n’ont pas connu....mais qui
, heureusement ou hélas, les plonge dans presque toujours la même
atmosphère : là où il n’y a pas de liberté . Siné, le caricaturiste
engagé –et , concepteur de la charte graphique de
Sonatrach - à Rev’Af au début des années 60, n’avait pas tenu longtemps comme ,
d’ailleurs, « Le Chameau
prolétaire » un supplément d’Algérie Actualités alors dirigé par Youssef Farhi,avec Issiakhem comme
caricaturiste et Kateb Yacine comme commentateur qui n’avait pas, au milieu des
années 60, fait long feu avec, seulement, 2 ou 3 numéros. Là où il y a de
la hogra. Là où il y a du favoritisme et
de la corruption (soft ou dure). Là où
il n’y a pas, encore (
le point de rupture n’étant pas atteint) de passage à l’acte tout en y
pensant sérieusement, de violence ou de
harga ou de suicide ...il y a, même
accompagnés de rires dits « jaunes » ou forcés..... la plaisanterie, l’humour....des armes peut-être pas fatales
en politique, mais quelque part guérisseuses, ne serait-ce que partiellement ou
momentanément. Toujours ça de pris !
Depuis la
libération de l’expression journalistique en 1990, le relais a vite été trouvé ,d’abord
avec les caricaturistes de presse . Oubliés les anciens du « Chameau
prolétaire », oubliés « M’kidèche » , Slim , Melouah et leurs frères (déjà assez
offensifs mais malgré tout assez prudents) des années 60, 70 et 80.
Heureusement, ils ont enfanté (en silence) , après la
révolution d’octobre 88, Dilem (plusieurs
de ses dessins accompagnent le texte de Dahak), Ayoub, Chawki Amari, le Hic,
.....ainsi que des titres de presse (dont « Essahafa » de Rachedine,
« El Manchar » de Tamini ,
« L’Epoque » de Baya Gacemi.......) et des émissions (de télés)
spécialisés dans la chose humoristique. Hélas, les « forces de la
grimace » sont plus fortes et rares ceux et celles qui échappèrent
ou échappent aux « contres » des pouvoirs en place. Même les
technologies nouvelles de la communication ne
sortent pas indemnes (en Algérie mais aussi à travers le monde..., les
réseaux se trouvant de plus en plus astreints à respecter des règles d’éthique et de déontologie contraignantes., car au service d’un certain ordre public )
Heureusement,
il y a encore le « cafés-maures » (pas si morts que ça !) et les soirées au
coin des rues, en bas des immeubles populaires, encore bien vivants, terreaux
d’une véritable littérature orale venant entretenir, sans discontinuer et
évitant tous les slogans sentencieux, la gourmandise des peuples pour les
plaisanteries et les anecdotes politiques. Des « bols d’air » venant
faire oublier , à un peuple naturellement libre, une
atmosphère « mélancolique » et pesante lestée de difficultés
quotidiennes de plus en plus lourdes, sinon insupportables (tout particulièrement
lorsqu’elles sont comparées aux promesses
« politiciennes » démagogiques
et populistes déversées depuis 1962).
Quelques
traits d’ « esprit », restés encore inscrits au tableau
d’honneur de l’humour national :
- Suite à
l’arabisation menée au pas de charge, les surnoms dont sont affublés les
fonctions ....le « Abou » suivi d’un adjectif (p 83) : exemples de « Abou
Bri » pour le ministre de la Planification, « Abou Tik » pour le
ministre du Commerce, « Abou Portant » pour le ministre de la Défense.....
-
« Nous sommes au bord du précipice, nous allons faire un pas en
avant ! »
-
« L’Etat qui n’a pas de problèmes n’est pas un Etat. Grâce à Dieu, l’Etat
algérien n’a pas de problèmes »
- Celle
concernant les « dauphins » du Roi du Maroc et des
« requins » de Chadli Bendjedid (pp 114-115)
- Celle
citée pp 90-91 est la meilleure ...Mais,
trop osée et trop macho pour être
reprise ici.
- « A
l’indépendance en 1962, notre économie était égale à zéro et, grâce à vous (les
syndicalistes réunis) et à vos sacrifices nous l’avons multiplié par 12 »
- « Ce
que nous inaugurons aujourd’hui (un barrage) est très important car je peux
vous dire que l’avenir de l’ Algérie est dans l’eau »
Et d’autres,
et d’autres......
L’Auteur :Juriste de formation, avocat mais
aussi chargé de cours aux Universités de Tizi Ouzou, d’Alger et de
Montpellier.....ancien président de l’Association de soutien aux travailleurs
migrants et du Réseau d’accueil et d’intégration de l’Hérault (France).....
Extraits : « Les Algériens ont toujours su
rire de leurs dirigeants à défaut de pouvoir les critiquer ou les
renvoyer » (p 43), « Ahmed Ben Bella a été le premier chef d’Etat
algérien ;à ce titre , il a bénéficié de deux années de grâce avant que
son profil de despote et de « grosse gueule » ne reprenne le
dessus » (p 45), « L’Algérie est alors –début des années 60-
engagée dans une politique socialiste qui va tenter de faire à son détriment
une impossible synthèse entre les expériences soviétique, chinoise, guévariste,
titiste auxquelles on va ajouter l’arabisme nassérien ainsi qu’un zeste de
panafricanisme » (p 51), « Plus rien ne correspond à plus rien et les
alliances que les promotions politiques ont vocation à exprimer ne renvoient à
aucune explication socio -politique ou économique fiable » (p 177).
Avis :
Un régal....qui nous change de la littérature
trop respectueuse des formes trop respectables .
L’humour....au nom du peuple .....qui préfère rire de sa situation, de ses dirigeants .....pour cacher sa peine,
sa douleur..... et sa haine. Un livre dans lequel il
n’y pas tout mais tout y est.
Citations : « Tous les régimes
liberticides génèrent leur part de ridicule » (p 7), « Les
révolutions commencent par l’humour. C’est une loi. C’est ainsi que les peuples
opprimés entament leur douloureux chemin vers la libération » (Boualem
Sansal, préface, p 15), « Comme les autres peuples du monde, les algériens
ont toujours su transcender leurs détresses par le rire en en faisant une arme
de destruction passive » (p 178), « A défaut de pouvoir donner congé
aux saltimbanques qui hypothèquent leur avenir, les Algériens ont toujours su
rire et plaisanter et c’est ce que personne ne peut nier ou effacer » (p
180)