ECONOMIE- ETUDES ET ANALYSES—REFORMES ECONOMIQUES-
APPROCHE M. CHERIF BENMIHOUB
L’économiste Mohamed Cherif Benmihoub à
la radio : «Il faut en finir avec les réformettes sur l’année»
(c) Synthèse, N.Bouaricha/ El Watan, lundi 4
février 2019
Le
professeur en économie Mohamed Cherif Benmihoub a
alerté, hier (Ndlr : dimanche 3 février 2019) sur les ondes de la « Chaîne 3 »,
sur l’état de l’économie nationale et la nécessité d’entreprendre de vraies
réformes afin d’éviter de tomber dans un scénario à la vénézuélienne.
L’invité
de la rédaction de cette chaîne de radio estime que la situation est réellement
préoccupante. «La préoccupation majeure est d’ordre économique. Nous avons
trois déficits cumulés, le déficit budgétaire, le déficit du Trésor et celui de
la balance commerciale.
Trois
déficits à la fois, c’est inquiétant», dit-il, notant que la crainte c’est de
voir, même si le cas de l’Algérie est singulier, une situation comme celle du
Venezuela. «Ma crainte c’est le cas du Venezuela, le populisme mène à des
situations comme celle-là, évitons d’en arriver là ; il est impératif de
rétablir nos équilibres», avertit l’économiste.
L’invité
de la radio constate une dépendance de plus de plus accrue aux hydrocarbures,
malgré les appels à la diversification de l’économie. «Nous importons
davantage, alors que la production ne suit pas.
Nous
investissons peu et nous consommons plus avec chaque année 1 million
d’Algériens qui s’ajoutent à la population. Nous sommes dans une situation de
croissance démographique qui n’est pas adossée à une croissance économique.
Cette
dernière est faible pour le niveau de développement du pays. 2,5%, c’est trop
bas, alors qu’un marché existe. Nous n’utilisons que 50% de nos capacités de
production et c’est là un vrai problème, nos usines ne tournent pas à plein
régime», déplore l’économiste.
Et de
préciser que dans des conditions idéales et avec un projet économique
ambitieux, l’Algérie avec sa superficie et ses richesses est faite pour nourrir
100 millions d’habitants. «Mais dans les conditions actuelles de fonctionnement
de notre économie, même 40 millions d’habitants c’est beaucoup trop pour être
nourris par la seule rente pétrolière.
Si on veut
continuer à compter sur la seule rente pétrolière, il ne faut pas plus de dix
millions d’habitants pour vivre correctement.» Mohamed Cherif Benmihoub, et sans démagogie aucune, regrette l’absence
d’un projet politique ambitieux pour aller vers cette Algérie prospère avec 100
millions d’habitants. «Il y a différentes raisons à cela. Mais d’abord, il
n’existe pas de projet politique qui va au-delà de la loi de finances.
L’Algérie
fonctionne depuis de longues années à partir de lois de finances. Un instrument
administratif budgétaire est devenu le document de doctrine. On a fait de la
loi de finances un instrument de stratégie, alors que non, ce n’est pas
possible, la stratégie ce n’est pas sur une année, il faut être plus ambitieux
que cela et avoir une vision sur plusieurs années», dit-il.
L’invité
de la radio considère qu’il faut en finir avec «les réformettes sur l’année» et
aller vers des réformes profondes en expliquant aux Algériens ce qu’il en coûte
de passer par quelques sacrifices afin d’arriver à une économie florissante
dans trois, quatre ou cinq ans.
«Nos
institutions n’ont pas la capacité de conception des réformes»
«Nos
institutions n’ont pas cette capacité de conception des réformes et la
pédagogie pour la conduite de ces réformes, elles n’ont qu’une visibilité sur
une année et c’est très très dangereux…
Une
visibilité de flux financiers, alors que l’économie a besoin d’un horizon plus
large.» Réagissant à l’annonce de la baisse du niveau des réserves de change à
moins de 80 milliards de dollars, l’économiste estime qu’il faut s’en
inquiéter, car il ne s’agit pas seulement d’un niveau de stock, mais de
l’évolution de ce stock. «Les 79 milliards de dollars disponibles aujourd’hui
peuvent couvrir trois années de notre commerce extérieur et trois ans dans la
vie d’un pays ou d’une économie, ce n’est rien, c’est du très court terme…»
Le
professeur Benmihoub estime que la préoccupation
essentielle est dans la structure même de l’économie, de la balance commerciale
et dans ce que nous avons trop longtemps négligé : la balance des services qui
représente chaque année un déficit entre 12 et 13 milliards de dollars. Benmihoub précise qu’à la différence de la crise de 1986,
nous ne sommes pas endettés et c’est un atout à mettre à profit.
L’Algérie
a encore la possibilité de faire un emprunt extérieur, mais qui soit limité,
car la planche à billets est un instrument conjoncturel et si cet argent n’est
pas remboursé par les entreprises, c’est l’inflation nette et assurée. «Il ne
faut pas que le financement non conventionnel devienne la politique budgétaire
de l’Etat», avertit l’économiste.
Et de
préciser que la trésorerie des banques n’est pas bonne aujourd’hui. «La Banque
d’Algérie va encore intervenir à travers la planche à billets et tant que le
financement ira dans l’importation sans élargissement de l’assiette fiscale et
non dans l’investissement, avec quoi le Trésor remboursera-t-il sa dette auprès
de la Banque d’Algérie ?» rappelle le professeur en notant que beaucoup
d’entreprises sont dans l’incapacité de rembourser leurs dettes.
«C’est le
moment de leur demander d’entrer en partenariat avec des étrangers ou d’être
privatisées», soutient-il, ajoutant que le Trésor ne peut plus supporter leurs
déficits.
En guise
de réformes, l’économiste estime qu’il faut maintenant, et pas demain,
commencer par libérer l’investissement en laissant l’investisseur prendre des
risques et en subventionnant des secteurs et non pas des entreprises.
Il faut,
dit-il aussi, libérer les entreprises publiques pour qu’elles deviennent
réellement économiques et non des administrations sous tutelle afin d’éviter
qu’elles ne soient un gouffre financier pour l’Etat. Benmihoub
estime en outre que l’Etat perturbe le fonctionnement du marché.
«Le marché
n’est pas concurrentiel, des lobbys notamment de l’importation empêchent le
fonctionnement concurrentiel du marché et donc le fonctionnement du système
économique, et c’est là où doivent intervenir les réformes structurelles… Le
marché impose une discipline et incite à la rigueur, avec les mini-monopoles
dans chaque niche commerciale, il n’y aura pas de compétitivité.»
Outre ces
dispositions, Benmihoub propose que l’Etat abandonne
la règle des 51/49 pour encourager l’investissement étranger et la maintenir
uniquement dans les secteurs stratégiques. «La régulation ne se fait pas sur le
capital, mais sur l’aspect commercial.
Il faut
laisser les investisseurs prendre des risques et gagner et faire en sorte que
les règles soient saines et transparentes et éviter que la corruption et
l’informel soient un régulateur du marché.»