CULTURE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN
MUSTAPHA BOUCHAREB- « LA FATWA »
La Fatwa.
Roman de Mustapha Bouchareb. Chihab Editions , Alger 2017. 1 300 dinars.
Une histoire d’amour sans issue entre Anouf, une jeune fille musulmane très moderniste, journaliste
en rebellion
contre son milieu social , féministe presque, seule fille d’une famille
de la haute bourgeoisie très conservatrice d’une société très fermée (en
apparence , c’est-à- dire en matière de mœurs, mais pas en matière d’affaires
et de commerce)........et un jeune homme venu d’ailleurs, Zakariyyah
Elaïd Bodia, certes se déclarant
musulman mais pouvant être considéré comme un étranger, un
« hérétique ».....car mozabite
qui plus est , informaticien
diplômé ayant fui le terrorisme sévissant dans son pays d’origine,
l’Algérie. Une histoire d’amour sans
bisous, ni étreinte. Tout juste des regards assez chauds et des frôlements de
mains...... Incroyable mais vrai....car tout cela se passe ........... en Arabie Saoudite, à Riyad la capitale (et ses bas-fonds)
....que l’auteur semble bien connaître de l’intérieur.
Une belle histoire d’amour qui aurait pu
aboutir sur un mariage...encore que les frères et ,surtout,
les très nombreux demi-frères de la jeune fille, gros affairistes, ne voudront
jamais voir la fortune paternelle (
fruit d’un business sans loi, exploitant les immigrés et les apatrides
.... et avec beaucoup de
« foi ») leur échapper .
Qui aurait pu ! Si la jeune fille,
emportée par un élan rebelle et « féministe » (surtout , en
fait , pour se poser face à un père puissant mais « absent »),
élan nouveau en une
société arabe conservatrice, ne s’était mise bille en tête de conduire
une voiture (en cachette de son père) dans un pays où cela était strictement
interdit. L’accident est vite arrivé . L’occasion
rêvée pour les « gardiens de la foi et de la morale » , les agents « moutawas »,
une force non officielle mais bien présente , influente et violente qui en profiteront pour chercher à
abattre le père, trop
« moderniste » (comme entrepreneur seulement, cela va de
soi !) à leur goût .Qui paiera au final ? La femme ,
pardi !
L’Auteur : Enseignant
universitaire (anglais) , déjà auteur de plusieurs
romans (premier roman en 1990, « Fièvre d’été» et second en 1991,
« Ciel de feu » puis, en 2011 « La troisième moitié de
soi ») et recueils de nouvelles (premier en 1987) . Prix de la meilleure
nouvelle 1985. Prix Mohamed Dib 2016 pour ce roman-ci
Extrait : « Ici,
les gens ne veulent pas qu’on leur dise comment faire les choses, surtout
lorsqu’ils constatent qu’on a raison. Ce qui nous conduit au principe de base
qui a cours ici : n’entre en conflit avec personne, car tu n’auras jamais
gain de cause » (p 124)
Avis :
Beau, bon et gros roman qui se lit
facilement...et description assez réaliste de la société saoudienne
contemporaine (qui est , d’ailleurs, croit-on, en train
d’évoluer) ....Avec une utilisation
excessive et inutile il me semble, du
« sabir » (ou « charabia ») quand il s’agit des
interventions des immigrés asiatiques. Un
livre dont l’histoire se déroule loin , très loin
d’ici, bien qu’ elle aurait pu se dérouler (en bonne partie) chez nous. Le
combat des femmes et celui des amoureux pour leur liberté est (presque) le même dans (presque) tout le monde
arabo-musulman.....La lutte séculaire entre le désir d’ouverture au monde et
l’enfermement immémoriel. Aujourd’hui encore.
Citations : « Aimer
est une torture inutile, et qui dure toute la vie » (p 20), « L’amour
est aveugle et celui d’une mère est bien le plus aveugle des
amours » (p 24), « Si le bonheur a une dimension tragique
puisqu’il souligne la mortalité de tout un chacun et la finitude de toute
chose, la mort, elle, n’est ni raciste ni xénophobe » (p 125), « Si
l’amour cherche éperdument la beauté, la beauté, elle , sait se parer de la
plus humble des simplicités » (p 184), « Le mal et le bien sont deux frères
jumeaux ;ils vont toujours ensemble. Ainsi, le bien peut causer le mal et
le mal peut mener au bien » (p 241), « Les pauvres sont souvent
des monstres entre eux » (p 261).