VIE POLITIQUE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-ESSAI
LAHOUARI ADDI- « LE NATIONALISME ARABE RADICAL ET L’ISLAM
POLITIQUE.... »
Le nationalisme arabe radical et l’Islam
politique. Produits contradictoires de la modernité.Essai de Lahouari
Addi. Editions Barzakh,
Alger 2017.800 dinars,287 pages.
Un ouvrage dont le contenu est le fruit d’ enseignements
dispensés et d’ un projet de recherche portant sur les régimes politiques du monde arabe et sur les deux grandes idéologies
à forte mobilisation populaire : le nationalisme radical et l’islamisme. Deux
idéologies politiques jumelles et rivales, portées toutes deux
, à des époques différentes , par la même énergie populaire de
contestation de l’ordre politique
Une analyse qui fait appel à l’histoire pour situer les événements
fondateurs, mais reposant principalement sur la sociologie politique à travers
le concept de représentation qui fonde la légitimité de l’ordre politique rêvé
ou désiré.
En quelques décennies, le
nationalisme arabe radical (mené généralement
par des élites « républicaines », souvent militaires et avec
des emprunts -qui remontent aux courants
libéraux de la fin du XIXè siècle - ,au niveau de leur grammaire idéologique à
l’idéalisme allemand, et au niveau de leur rhétorique du « socialisme
arabe » au marxisme révolutionnaire) est passé du triomphe (en Egypte, en Irak, en Algérie,
en Syrie, au Yémen, en Libye) au déclin. Tout cela face à des monarchies dont
les intérêts politiques convergeaient avec ceux des puissances
occidentales ; et monarchies encourageant, déjà à partir des années 70 , l’expansion de l’islamisme utilisé comme une arme
idéologique. La hausse des prix des hydrocarbures depuis 1973 allaient vite
enrichir et transformer les dites monarchies en véritables puissances
régionales.....soutenant les rebellions, prenant ainsi leur revanche sur des
régimes qui ,quelques années auparavant, les
accusaient de trahir les peuples arabes.
Le « retour de manivelle » est brutal, pour presque tous :
épuisement ou mort du nationalisme arabe radical certes, mais permanence du
populisme de type autoritaire, s’exprimant désormais à travers l’islam
politique qui ambitionne de réaliser les objectifs du nationalisme arabe
radical en appliquant et/ou voulant appliquer – bien souvent en dehors de ses
terres et par tous les moyens , même les plus violents , une Chari’a mal
interprétée.
Beaucoup de questions surtout liées à l’avenir des pays arabes. Pas mal de
réponses apportées ou de pistes dégagées
par l’auteur.......qui revient, une fois de plus, en fin d’ouvrage, à
l’idée de « régression féconde »
car, dit-il, « le problème est que, sans eux (les islamistes), il
n’y aura pas de transition démocratique du fait même de leur poids
électoral ». Une idée qui ne tient pas (plus) compte, me semble-t-il, des immenses dégâts,
de toutes sortes, causés
, ces dernières années et aujourd’hui encore, par
l’ « islamisme politique »....assurément défendu en raison de la
grande méfiance, pour ne pas dire plus, à l’endroit de l’ « autoritarisme
militaire ».....et qui ne tient pas compte des changements de
comportements sociétaux observés ces toutes dernières années. Une idée qui
confond religiosité ambiante et mimétismes comportementaux changeants et
islamisation durable.
L’auteur : Professeur de sociologie (Iep de Lyon) , ancien chercheur
associé au Crasc d’Oran......auteur de plusieurs
publications consacrées à l’Afrique du Nord et l’islam politique.....ainsi que
du désormais « fameux » concept de « régression féconde »....sur
laquelle il revient
Extraits : « Depuis la moitié du XXè siècle, les pays arabes sont en attente d’un changement
qui leur apporterait progrès et sécurité. Hier, c’étaient les nationalistes qui
promettaient de réaliser cette attente ;aujourd’hui,
ce sont les islamistes » (p 20), « Un secteur public est certainement
une nécessité dans des pays sous-développés où le capital privé est porté à la
spéculation et faiblement présent dans l’industrie. Il n’est cemendant efficace ou rentable que si la justice est
indépendante du pouvoir exécutif pour éviter qu’il soit le lieu de la prédation,
du gaspillage et de la corruption » (p 61), « Les sociétés musulmanes
n’ont pas réalisé que l’individu est né et qu’une nouvelle morale est à
inventer , basée non pas sur la raison et la justice, mais sur la conscience et
la liberté » ( p 152), « L’islamisme
est un populisme......qui présente des similitudes avec le nationalisme
arabe radical ou avec les populismes d’inspiration marxiste, fondés sur les utoppies révolutionnaires qui fascinent les masses
populaires dans des périodes de crise économique et sociale » (p 200)
Avis :Une approche
analytique et critique apportant indéniablement des éclairages (des
clés ?) utiles pour comprendre (et affronter ?) la société
« arabe » embourbée dans le nationalisme radical d’hier et
l’islamisme politique d’aujourd’hui.
Citations : « Une nation n’est pas
seulement un territoire avec des frontières géographiques protégées par des
militaires ;c’est surtout l’espace d’une société civile qui aura
désacralisé la politique, sécularisé le droit et affirmé son autonomie par
rapport à l’Etat dont les dirigeants rendent des comptes à leurs électeurs dans
un système pacifique d’alternance électorale « (p 25), « Le modèle populaiste est marqué par une contradiction majeure :
la sphère de la production et de l’échange, à vocation privée , est publique,
et la sphère de l’Etat, à vocation publique , est privatisée » (p 63),
« La politique, ce ne sont pas que des idées et des projets qui attirent
l’opinion, ce sont aussi des ressources matérielles qui créent un rapport de
force disqualifiant les idées des concurrents » (p 107), « Etant une ressouce du nationalisme, la religion divise parce qu’il y
aura toujours une personne-ou un groupe de personnes – qui se sentira plus
proche de Dieu que les autres » (p 115), « L’islamisme n’est ni
l’expression d’un retour du religieux, ni d’un schisme ;c’est un mouvement
socioculturel et politico-idéologique répondant à la déstructuration des
sociétés musulmanes, suite à leur insertion dans la modernité qu’elles
subissent et dont elle ne maîtrisent pas les dynamiques » (p
138), « Plus la réalité est dure, plus le rêve susceptible d’y
échapper est magique » (p 191), « L’idée que la puissance de l’Etat
est d’abord intellectuelle ne peut pas être comprise par un militaire pour qui
l’avenir des nations se décide par les armes » (p 278), « Si le
nationalisme radical a militarisé la politique, les islamistes ont politisé la
religion pour délégitimer leurs adversaires « (p 278)