HISTOIRE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
ROMAN MOHAMED SAHNOUN- « LA DÉBÂCLE »
La débâcle. Roman de Mohamed Sadoun
(Préface de Aïssa Kadri) . Casbah Editions, Alger 2017. 800 dinars, 430 pages
Une vaste saga des tribus de l’Ouest
algérien. Surtout celle d’une tribu, les
Doui Aïssa, faible fraction
de la confédération des Béni Amer. Une tribu nomade , vivant de
la terre ( qui, bien qu’ingrate, était nourricière ) et de l’élevage ,
se croyant forte à jamais à travers le nombre de bras masculins engendrés, et
une foi religieuse réduite à son expression la plus simple.
Tout cela bien loin d’un autre monde,
outre-mer, fait de puissances (en concurrence : la France, l’Angleterre,
l’Espagne....) à l’orée de la révolution industrielle , à la recherche de
conquêtes territoriales pour leurs armées, de ressources nouvelles pour leurs
ateliers et leurs usines , de débouchés pour leurs produits et leurs « déclassés », de
main-d’œuvre à bon marché (pour ne pas dire d’esclaves).....et aussi d’une « nouvelle croisade » cultuelle et
culturelle.
Le choc est brutal ....et les résistances non
durables, le courage des hommes et des femmes ne suffisant pas face à des
stratégies militaires s’appuyant sur de nouvelles armes de destruction
massive..... aux trahisons habituelles venant de l’intérieur même de la
famille........et aux « soutiens « comptés » des nations-sœurs
(Maroc, Tunisie, Turquie, Egypte, Syrie ..) , elles
aussi bientôt victimes des appétits coloniaux ou préoccupés par les secousses
engendrées par leur nécessaire modernisation.
Trop tard donc ! Oublié Si Messaoud , l’ancêtre .Toute la tribu (comme toutes les autres à
travers le pays) se retrouve totalement éclatée, éparpillée, aux liens
familiaux perdus ou oubliés........Même l’origine est gommée et les noms sont perdus avec les inscriptions
semi-folkloriques au nouvel état –civil.....Un père bien chasseur de
gazelle.....le fils aura pour nom Ghazalli.... !
L’Auteur :Famille
originaire de la wilaya de Sidi Bel Abbès(père
migrant travailleur rural et maman au foyer) , né dans le sud de la France en 1973. Haut -fonctionnaire et
magistrat après une première carrière dans l’enseignement .S’intéresse aux
questions de justice et à l’histoire du bassin méditerranéen ...plus
particulièrement l’Algérie. Quelques biographies historiques mais premier
roman.
Extraits : « Les
privations plongeaient également l’homme dans l’indignité. Il pouvait se battre
jusqu’au sang pour un bout de pain ou quelques fruits.Les
êtres les plus doux, les plus généreux ou simplement les plus humains n’y
échappaient pas. Tous les coups, même les plus vils, étaient
permis....L’entraide, la solidarité et la bienfaisance étaient remplacés par la
rouerie, le mensonge et le vol » (p 99), « Les Français n’ont pas
besoin de prétexte. Ils sont comme une carie dans une bouche saine. Une fois
qu’elle a colonisé une dent, c’est toute la bouche qui y passe » (p 408).
Avis :De
l’Histoire (d’Algérie pré et post--coloniale)
romancée. Fiction et réalités savamment mélangées.Style
katébien. Peut-être trop de voyages et trop touffu et
sujet trop vaste pour un seul ouvrage !Et , avec des passages défendant et
illustrant (un peu trop, à mon avis), la vie « démocratique» à la
française (p 157 à 161), les « réformes » au Maroc avant la
colonisation, les vertus de l’école publique française....
Citations : « Les
cultures sont les produits d’une invention et d’une représentation. Les formes
d’identification des individus et des groupes à une culture sont toujours
« contextuelles, multiples et relatives » (Aissa
Kadri, préface, p 11), « La guerre n’était pas
une question matérielle, en tout cas pas seulement. Elle était avant tout une
affaire de tempérament, de détermination ainsi que d’organisation » (p
105), « Celui qui porte l’épée a toujours besoin de l’esprit pour le
guider » (p 349) , « Dans une société où chacun devait se conformer à
la place que lui assignait sa race, son sexe, son âge, le fou seul avait sa vie
entre ses mains »(p 371), « Malheur à celui qui émigre !Il ne
sera plus jamais chez lui dans aucune contrée. S’il reste dans le pays de
l’exil, il aura la nostalgie éternelle du lieu de son enfance. S’il décide de
revenir sur les lieux qui l’ont vu naître, il se consumera pour son pays
d’adoption » (p 392)