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Roman Daoud Kamel - "Zabor ou les Psaumes"

Date de création: 20-01-2019 18:14
Dernière mise à jour: 20-01-2019 18:14
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CULTURE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN DAOUD KAMEL - « ZABOR OU LES PSAUMES »

Zabor ou les psaumes. Roman de Kamel Daoud. Editions Barzakh, Alger 2017, 329 pages, 1 000 dinars.

C’est l’histoire du parcours (très perturbé) d’un jeune homme , fils mal-aimé d’un riche boucher d’un gros village..... « futile et oisif, à la vanité absolue (le village)», coincé entre le désert et la misère.   Fils, aussi , d’une première épouse répudiée (au profit d’une plus jeune et méchante nouvelle épouse) , abandonnée et décédée. Il est élevé par une tante paternelle, une assez belle vieille fille  et un grand-père aphasique. Lui, c’est Zabor, « eddah el babor » (selon les méchants garnements du coin qui en ont fait leur « tête de turc » ; celui qui savait lire et qui  n’arrêtait jamais de lire, toujours célibataire, toujours vierge, et même pas circoncis (mais ça , seuls le père et la tante le savaient).Il est le « fantôme » du village qui n’accomplit plus les prières depuis des années, ni le carême,  il ne « récite aucune invocation » quand  il trébuche et l’appel du muezzzin ne le concerne pas.

Enfant sur-doué mais très mal compris, tout particulièrement par ses proches , il assimile rapidement les connaissances imposées par les « récitateurs » de l’école coranique puis celles fournies par l’école publique......qu’il quittera rapidement après avoir, estime-t-il « fait le plein ». En lui, s’impose la question -clé : « Pourquoi écrit-on et lit-on des livres ? Pour s’amuser, répond la foule, sans discernement. Erreur : la nécessité est plus ancienne , plus vitale. Parce qu’il y a la mort, il y a une fin, et donc un début qu’il nous appartient de restaurer en nous, une explication première et dernière. Ecrire ou raconter est le seul moyen pour remonter le temps, le conter, le restaurer ou le contrôler ». Alors , commence une  course folle....d’abord pour la découverte  du corps , ensuite pour celle de la lecture (après avoir « fait le plein » avec le Livre sacré)  et une recherche encore plus folle pour l’écriture  , ce qui accroît la méfiance (et la jalousie ) des autres, mais aussi un certain respect (même par le père indigne qui ne parle pas beaucoup) ....ou , plutôt, la crainte et on fait appel à lui pour toutes sortes d’interventions....afin de prolonger la vie .

Le grand tournant , c’est la découverte , à l’âge de treize ans passés, par hasard , entassés dans une pièce de la « maison du bas » , d’un lot de romans en français, aux pages écornées, numérotées et vieillies. La pièce  aux trésors ! L’extase. Et ,c’est une nouvelle aventure pour apprendre, seul, en cachette, une  troisième langue car il y avait déja la langue maternelle (la dardja dirions-nous) et  la langue de l’école. Des livres envoyés par hasard ? Non, « ils étaient envoyés ». Peut-être « par des ancêtres morts sans souvenirs, sans livres , ni noms » et « qui voulaient apprendre , par mon biais, parler et reprendre leur histoire interrompue ». Donc , par l’apprentissage , c’est l’écriture. Trois effets presque immédiats de la nouvelle langue, « née d’un déchiffrement personnel, royale et ayant besoin d’un roi  »  : La guérison des crises, l’initiation au sexe et au dévoilement du féminin (à travers les photos entre autres) et le moyen de contourner le village et son étroitesse.......Non sans difficultés nées des habituelles incompréhensions.

Une (presque) autobiographie romancée ? Une partie du  parcours  de Zabor qui recouperait celui de Kamel Daoud ? Peut-être bien que oui, peut-être bien que non ! En tout cas, un parcours fait de volonté , de franchise, de courage , de liberté et de foi dans le livre et la littérature.  Pas banal du tout. Et, avec le succès déjà rencontré par l’ouvrage et les rencontres avec le public lors des séances de signature, les « psaumes » de Daoud  (Kamel) ont fait sauter le désespoir et le fatalisme, ayant été entendus.

 

L’ Auteur: Kamel Daoud , né en 1970, est un enfant de Mostaganem.. Journaliste au Quotidien d’Oran durant de très longues années (Chronique « Raina Raikoum ») , il est auteur, déjà, d’un recueil de nouvelles, « La préface du nègre » (chez Barzakh en 2008 et en France en 2011 sous le titre « Le Minautaure »),  ayant reçu le fameux Prix Mohammed Dib...et un roman éclatant, « Meurseault, contre-enquête »  qui a reçu de nombreux prix (Escales littéraires d’Alger en 2014, et en France , en 2015, le Goncourt du premier roman, en 2015....), le consacrant internationalement en tant qu’écrivain et en tant que journaliste –chroniqueur.Son avant-dernier ouvrage est un recueil de ses chroniques 2010-2016, « Mes Indépendances », édité en Algérie (Barzakh) et en France (Actes Sud) en 2017. Vivant à Oran, ses chroniques sont publiés dans plusieurs titres de presse internationaux.

Extraits : «  Je reviens dans ma chambre et je touche des livres, je les feuillette rapidement, mais lire ne me tente pas. Les « Confessions » de saint Augustin ? Non. Je déteste sa façon de gémir et de trahir son corps. C’est le Judas de notre chair » (p 57) , « Et qui doit sauver ce monde de l’effacement ? Sûrement pas celui qui récite le Livre sacré sans le comprendre, plutôt celui qui écrit sans s’arrêter » (p 69), « Ma prophétie ne laisse pas un livre sacré mais une explication- sacrée- de tous les livres possibles » (p 86) , « Dans la rue, la répudiée était surveillée de près autant pas les siens que par les hommes désœuvrés (...). Elle était une impasse par où chacun avait envie de passer » ( p 111) , « Je finis par surprendre la faiblesse de cette langue puissante (celle de l’école) , mais sourde et bavarde : elle comptait beaucoup de mots pour les morts, le passé, les devoirs et les interdits, et peu de mots précis pour notre vie de tous les jours » (p 141), « J’ai découvert un jour que le mot page est né du mot pays. De fait, quand on ouvre un livre, on pénètre un monde » ( p 153) , « A huit ans exactement, je découvris l’horreur de l’indicible. Dieu avait quatre-vingt-dix-neuf noms mais mon monde n’en avait aucun » (p 172) , « Pourquoi j’écris ? Parce que je témoigne, je suis le gardien , je fais reculer la mort des miens car ils sont essentiels et dignes d’éternité » (p 316).

Avis : Lecture pas facile mais prenante et , surtout, utile pour mieux se comprendre et comprendre notre société. De la « new-philo’ » de toute beauté , bien qu’un peu déroutante pour les inhabitués, qui fait honneur à la littérature nationale et digne de figurer dans les tablettes internationales. Encore des Prix ? Là-bas. Des imprécations de la part de ceux qui se considèrent comme « propriétaires » de l’islam et de l’algérianité ? Içi.Comme d’habitude !

 Citations :  « Ecrire est la seule ruse efficace contre la mort » (p 13), « Le présent (et son univers) existe parce qu’un homme s’en souvient » (p 87), « Ecrire, c’est écouter un son, le préserver et tourner autour, sans cesse, pour tenter d’en rendre la mélodie, s’ en approcher le plus possible pour le conduire de l’oreille à la bouche  » (p 90), « La mort ? Elle inspire la foi aux spectateurs et la fait perdre au mourant » (p 100),   « Toute invocation est un livre qui attend d’être écrit » (p 109), «  Nous sommes les mots d’un grand récit, consigné quelque part, mais nous sommes en quelque sorte responsables de nos conjugaisons » (p 112), «  Quand le père se meurt, il n’y a plus rien entre vous et la mort. C’est votre tour » (p 240),  « Le temps n’était pas le même en arabe et en français, il était découpé différemment selon la façon d’appréhender l’avenir et de posséder le présent » (p 263) , « Tout baiser se fait dans le silence de la langue » (p 273), « Le français était une langue de la mort, pour ceux qui se souvenaient de la guerre, mais pas une langue morte « (p 302), « Les Arabes donnaient de beaux noms aux étoiles. Ils étaient maîtres pour peupler les déserts en général. Ils  y creusèrent leurs meilleures routes, je crois » (p 306), « Un livre n’est sacré que parce qu’il est l’inventaire de toute chose, la main qui tient et retient, le rappel nécessaire avant l’oubli qu’est la mort . Qu’un homme cesse de se parler dans sa propre tête, d’écrire en son âme, et le voilà qui trébuche, tombe malade, vieillit vite et agonise » (p 315)