CULTURE- RELIGION- ETRANGER- INDE-
KUMBH MELA
(c) Vanessa Dougnac/Le Temps (Suisse)/
mardi 15 janvier 2019 (extraits)
Dans le nord de l’Inde,
pèlerins, ascètes et gourous ont accompli leurs premières ablutions de
purification dans des eaux froides et sacrées, au confluent du Gange, de la
Yamuna et de la Saraswati. Durant quarante-neuf
jours, plus de 130 millions d’hindous foulent (mi-janvier, tous les six
ans) les berges sablonneuses de la ville
d’Allahabad, en Uttar Pradesh,
avec un pic d’affluence de 30 millions de dévots attendus le
4 février, jour le plus auspicieux.
Classée au patrimoine
immatériel de l’humanité par l’Unesco depuis 2017, la Kumbh
Mela («Foire de la jarre sacrée») est le plus grand
rassemblement humain de la planète. Dotée d’un campement gigantesque, cette
manifestation religieuse se déroule tous les six ans. Cette année, elle se
teinte de politique puisque les nationalistes hindous au pouvoir utilisent
également l’événement pour asseoir leur présence et consolider le vote hindou,
à l’approche d’un scrutin national prévu en avril et mai prochains.
Dans une clameur intense, le
coup d’envoi des rituels religieux a été lancé mardi matin, avec les ablutions
d’ascètes issus des 13 sectes hindoues principales. Ces scènes
saisissantes d’immersion dans les eaux sacrées ont aussi captivé les
photographes du monde entier, notamment saisis par la parade des Naga Sâdhus,
ces hommes nus qui se couvrent le corps de cendres en signe de renoncement. La
présence inédite d’une congrégation transgenre, la Kinnar
Akhara, a par ailleurs été remarquée.
Puis, au rythme des
incantations, des coups de sifflet des policiers et des annonces des
haut-parleurs, le tour de la foule est venu, dans des queues qui se sont
étirées au fil de la journée. Pour tous, il s’agit de se purifier des péchés et
se rapprocher du salut, dans une expérience spirituelle et festive. Leurs
ablutions ont été orchestrées sous haute sécurité, avec plus de 30 000
forces déployées pour prévenir les bousculades et 50 pontons flottants pour
répartir les pèlerins.
A l’écart du rivage, la Kumbh Mela est un campement géant
de tentes de toile et de bambou, qui s’est inventé sur 3200 hectares pour
héberger pèlerins et touristes. Cauchemar annoncé, la logistique de la Kumbh Mela tient de l’exploit,
sachant qu’il faudra recevoir jusqu’à 30 millions de personnes en une
journée. Par comparaison, 2,4 millions de musulmans se sont rendus l’an
dernier au pèlerinage de la Mecque. Le campement d’Allahabad, qui a déjà
accueilli plus de 100 millions de visiteurs en 2013, abrite marchés,
restaurants, hôpitaux, banques, casernes et postes de police, avec accès à
l’eau potable et wi-fi gratuit.
Les chiffres disent le reste:
122 000 toilettes, 9000 balayeurs de nuit, 100 caméras de contrôle, 20
drones, 40 000 lampadaires, ou encore 15 tentes pour les personnes
égarées. Portée par une religion sans clergé ni dogme officiel, l’organisation
démesurée de la Kumbh Mela
est spectaculaire.
Ainsi structurée, la ville va
désormais vivre à son rythme grouillant et affairé, tel un congrès géant de
l’hindouisme. Avec les petits vendeurs d’ouvrages, de talismans et de
souvenirs, la foire mercantile se mêle à la recherche spirituelle. Sous les
tentes, des hommes saints à dreadlocks fument des shiloms gorgés de marijuana.
Chaque gourou, petit ou grand, honnête ou charlatan, arbore son stand ou son
chapiteau. Rivalisant de néons clignotants, les principales sectes hindoues, les
akharas, déploient leur grandeur pour attirer des
adeptes, conduire des cérémonies et gérer leur marketing religieux. Dans les
allées se croisent les simples pèlerins éreintés et les 4x4 d’opulents gourous,
de «VIP» et de politiciens.
Cette année, les grands partis
politiques se sont réservé des tentes plus grandes qu’à l’accoutumée. Y compris
le parti d’opposition du Congrès, dirigé par l’héritier Rahul Gandhi, qui est
monté en puissance lors des derniers scrutins régionaux. Car pour la classe
politique, l’occasion est bonne d’approcher les électeurs face à l’imminence
des élections législatives. Les nationalistes hindous du BJP (Parti du peuple
indien), au pouvoir à New Delhi avec Narendra Modi et en Uttar Pradesh avec le moine hindou Yogi Adityanath,
s’y préparent depuis un an. Ils ont même rebaptisé Allahabad du nom de Prayagaj, effaçant l’héritage musulman de la ville au
profit de l’hégémonie hindoue.
Le premier ministre, Narendra Modi, n’a pas manqué une
occasion de mettre en lumière l’importance de la Kumbh
Mela, en Inde comme à l’étranger. Ce mardi, il a
souhaité que «de plus en plus de gens puissent participer à cette grande
et divine cérémonie». Partout dans la ville sont affichés des posters arborant
son sourire et celui de Yogi Adityanath. Selon le
site d’information Firstpost, la Kumbh
Mela est «le test politique décisif de Yogi Adityanath pour l’Uttar Pradesh», un Etat au poids considérable dans les scrutins.
Aucune Kumbh
Mela n’avait été aussi généreusement financée. «Nous
avons tous les fonds nécessaires», a commenté Ashish Kumar Goyal, un responsable de la manifestation. Avec un
budget s’élevant à 566 millions d’euros, soit plus du double de celui
attribué en 2013, les autorités n’ont pas lésiné. Sur Twitter,
le président de l’Inde, Ram Nath Kovind,
a ainsi félicité ce mardi «les efforts de préparation» des autorités.
Sous prétexte de prêter
main-forte à ces dernières, des milliers de militants du puissant RSS (Corps
des volontaires nationaux) – organisation matrice du BJP –, ont été déployés. Aux
mantras religieux s’ajouteront ainsi leurs slogans politiques en faveur de Narendra Modi. Au cœur du
campement, l’agenda idéologique des nationalistes hindous est à l’œuvre.