DEFENSE-- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ETUDE
SAPHIA AREZKI - « DE L’ALN A L’ANP......... »
De l’Aln à l’Anp. La construction de
l’armée algérienne , 1954-1991 .Essai de Saphia Arezki (Préface de Malika
Rahal).Editions Barzakh , Alger 2018, 1450 dinars, 386 pages.
C’est la
première fois, il faut le reconnaître, que le délicat sujet que celui de
l’Armée algérienne se trouve (enfin !) « dégonflé ».
Depuis 1962, la plupart des recherches ou des ouvrages (documentaires ou
mémoriels) qui lui étaient consacrées se « limitaient » à décrire les
aventures humaines et politiques ,se refusant (manque
d’outils documentaires ?) ou s’interdisant (crainte de
« représailles » ? ou peur de réveiller de « vieux
démons » encore enfouis) d’investir le champ historico-sociologique. Il
est vrai que la question principale, centrale, est ,en
elle-même, porteuse , aujourd’hui encore, de méfiance : Comment devient-on
militaire et plus spécifiquement officier supérieur dans l’Anp ente 1962 et
1991 ? Avec cette arrière-pensée, assez fondée, puisée dans des processus similaires relevées dans presque
toutes les armées, où se confirmeraient
la tendance des « élites » (civiles et militaires) à la
« reproduction intergénérationnelle »......L’Algérie serait-elle une
exception ?
D’où, ce
projet, qualifié par la préfacière
d’ambitieux mais aussi de « fou », de présenter , à travers ses
hommes , leurs origines, leurs parcours
et leurs comportements, une institution au cœur du régime, avec , à son
actif, d’abord une guerre fondatrice puis une
lutte acharnée et victorieuse contre le terrorisme islamiste dans les
années 90.
Il est vrai
que le travail n’a pu être effectué que parce qu’il a emprunté le chemin
académique, celui de la recherche
universitaire (une thèse de doctorat qui a été ré-écrite )
.
Bien sûr, il
était difficile, sinon impossible, d’entreprendre une recherche exhaustive sur
tous les personnels. Cela se fera donc
sur la base d’un échantillon dégagé, entre autres, des archives disponibles (en
Algérie, mais surtout en France. Voir la liste des sources en annexes) , d’ entretiens avec des
« survivants », pour la plupart des officiers (voir la liste des personnes rencontrées en
annexes) , de mémoires et témoignages.....
Tout part
d’une interrogation fondamentale : qui est et qui a pu devenir officier de
l’Anp....d’où des éléments biographiques importants à présenter :les dates et lieux de naissance, années de naissance, les
origines géographiques et sociales, les liens familiaux, les formations militaires ...durant la
période coloniale : au sein de l’armée française, à l’étranger , aux
frontières...
Commence
alors la création d’une armée embryonnaire durant la guerre de libération
nationale de 54 à 62 : la naissance de l’Aln dans les maquis (dans un certain désordre), comment les futurs
officiers de l’Anp ont rejoint l’Aln, à partir de l’Algérie et depuis l’armée
française, l’émergence de l’armée des frontières et sa structuration, la crise
de l’été 62 et la victoire de l’armée
des frontières...
Enfin,
l’étape de la reconversion de l’Aln en Anp et le développement d’une armée
professionnelle. D’abord avec Boumediene
(1962-1978) pour unir, organiser, former, avec pour objectif le renforcement
de l’ordre et de la cohésion et , surtout, trouver un équilibre.....
Ensuite ,
suite à la mort prématurée de Boumediene, avec Chadli Bendjedid (1979-1991)
(« qui incarne plus le consensus de l’institution que les compétences
militaires » ) , une période faite
d’ « évictions et de restructurations » et, surtout,
l’ascension d’une « nouvelle
élite » faite de « groupes particuliers » , la création de
nouveaux grades, de nouveaux commandements......des purges et des
promotions....le tout accéléré , il est vrai, par l’ouverture politique . Bien sûr , l’armée va « se retirer officiellement de la vie
politique », mais déjà (et cela dure encore) , « on ne peut imaginer , étant donné sa
place centrale dans l’Etat algérien, qu’elle n’ait pas un rôle à jouer dans les
changements .... »
L’Auteure : Historienne franco-algérienne (par
son père). Attaché d’enseignement et de
recherche, Sciences Po » (Aix :France) .Ouvrage issu d’une thèse de doctorat
soutenue en octobre 2014 à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne. Premier
voyage en Algérie en février 2011
Extraits : « Les combattants des maquis
étaient à l’image de la société algérienne telle qu’elle sortait de la période
coloniale. La majorité d’entre- eux étaient donc illettrés sinon analphabètes » (Malika Rahal,
préface , p 14) , « Le processus de construction
de cette armée est indissociable des carrières des militaires algériens qui en
sont à l’origine et la composent » (p 23), « L’étude des ascendances
et descendances des officiers algériens indique qu’un vaste tissu de relations
familiales s’est constitué entre ces hommes » (p 57) , « Le congrès
de la Soummam est la première tentative de réglementation de l’Aln à l’échelle
nationale. C’est également la première tentative d’unification des forces dans
un contexte où la fragmentation et l’autonomie sont de règle » (p 115),
« C’est le plus souvent la compétence qui prime dans les affectations au
niveau central du ministère de la Défense tandis que la légitimité maquisarde
est réinvestie au sein des régions militaires » (p 204), « Au niveau
de la direction des régions militaires
c’est la légitimité « historique » qui prime sur la
compétence, tandis qu’au niveau inférieur ce sont les capacités strictement
militaires qui déterminent les affectations » (p 224), « L’argument
d’une mise en retraite en raison de
l’âge ne résiste pas aux dates......Ces mises à l’écart (ndlr : les années
1990) résultent plus vraisemblablement de rivalités personnelles, ou tout du
moins de rivalités entre groupes plus ou moins formellement constitués à la
tête de l’armée, que de la fin logique d’une carrière qui aurait pu se
poursuivre » (p 297),
Avis : Selon un journaliste, « c’est la seule historienne à
avoir consacré pour l’instant une étude aussi sérieuse sur l’Armée algérienne,
un « sujet impossible », lui aurait -on dit dans
le milieu de la recherche historique sur l’Algérie ». On ne se demande pas
pourquoi.....étant certain qu’un chercheur local aurait eu très peu de chances
d’accéder aux « témoins » comme aux documents, déjà si rares en
Algérie et si comptés en France.
Assurément, une « première histoire en
aucun cas exhaustive » ........qui reste à compléter (
les liens avec le Fln ,les réalisations du Service national, la relance
des Ecoles de cadets ......) à continuer et à suivre.
Citations : « D’après Fritz Taubert
(Dijon, 2010) , « L’Aln , du moins dans sa
majorité, avait peut-être quelques tendances anti-capitalistes , mais elle
était surtout anticommuniste ». Quant à Gilbert Meynier, il va même
jusqu’à parler de « l’anticommunisme sans appel du Fln » (pp 82
et 83),
« Tout au long de la guerre, une force organisée est progressivement
pensée, créée et structurée. D’une armée qui n’en a que le nom, composée de combattants souvent illettrés, on passe en
moins de huit ans à une véritable armée nationale....» (p 107), « Quand je lis parfois « les Généraux », cela m’agace. Il n’y a pas
« des Généraux », il y a une multitude d’hommes (et aujourd’hui de femmes) avec
des trajectoires de vie parfois similaires parfois pas. Bien sûr, ils ont de
nombreux points communs, mais cela ne suffit pas à en faire un tout. Il y a des
dissensions, des désaccords au sein de l’institution - qui sont toutefois très
durs à appréhender » (Extrait entretien. Avec Nordine Azzouz, « Reporters »,
quotidien , 10 décembre 2018), « La frontière
tunisienne est un point de rencontre privilégié pour les futurs officiers de
l’Anp, rencontres qui ne vont pas sans conflit. En effet, cette région est le
lieu de naissance de rivalités, voire d’antagonismes qui perdureront bien après
1962 » (p 154), « C’est sous l’impulsion de Boumediene que l’Aln
des frontières se structure véritablement sur le modèle d’une armée
classique » (p 158), « Nous n’avons pas une armée mais sept armées de
libération, :le six wilayas plus l’armée des frontières. Il s’agit
de fondre ces Aln en une seule » (Ahmed Ben Bella, extrait d’une interview
au « Monde », 23 novembre 1962, p 178), « En multipliant les
centres de décision, en maintenant une certaine opacité sur le système de
commandement et en ne réglementant pas les rapports des différents départements
centraux entre eux, Boumediene laisse s’instaurer une sorte de « désordre
organisé » qui lui permet de chapeauter l’armée et de s’assurer son
contrôle » (p 219), « Une désignation comme ministre ou comme
ambassadeur est, en effet, une mise à l’écart qui ne dit pas son nom » (p
269), « Si la réapparition d’archives est incertaine, la disparition
progressive des témoins, elle, est inéluctable. Avant d’avoir eu le temps de
dire « enquête de terrain » , nous pourrions
nous retrouver dans une société sans histoire » (Rahal Malika, citée ,
p347, annexes)