HISTOIRE-- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ETUDE
KARIMA LAZALI- « LE TRAUMA COLONIAL..... »
Le trauma colonial. Enquête sur les effets
psychiques et politiques de l’offense coloniale en Algérie. Essai de Karima Lazali. Koukou éditions, Cheraga/Alger
2018, 1 000 dinars, 278 pages
Le trauma colonial existe. Si, si. Karima Lazali l’a rencontré , s’en est
emparé , l’a disséqué et nous présente ses constats.
Auparavant, et jusqu’ici, côté Algérien
, le fait colonial et ses effets ont
été largement abordés d’un point de vue historique, sociologique,
anthropologique, linguistique, politique....mais rarement, sinon jamais, sur le
plan psychique. Fanon est décédé, hélas,
trop tôt, et son œuvre n’avait pas été continué.
Bien sûr, on a eu Mohammed Arkoun, Nabile Farès et bien d’autres,
sociologues et/ou psychologues, mais les
uns comme les autres ont été ignorés (par l’auteure elle-même, car bien des
travaux universitaires ou en marge ont été menés sur le sujet) ou méprisés
(parfois insultés) ou mal compris. Heureusement , il y eut des écrivains et des essayistes : Kateb
Yacine, M. Feraoun, M.Dib, M. Haddad, Amrouche Jean, Yasmina Mechakra, Ouettar, A. Camus, Louisette Ighilahriz,
Benheddouga ...pour les plus anciens , et pour les tout-nouveaux A. Zaoui,
K. Daoud, R. Boudjedra, R. Mimouni,
S. Toumi, Moussaoui, Bachi, M. Benfodil, C. Amari, Khaddra, Sansal.... qui, grâce à
leurs « romans » ont « rattrapé le coup »...Encore
fallait-il que les premiers concernés (car le peuple est , lui aussi, concerné)
, c’est-à-dire les gens du (de) pouvoir
et d’ « avoir » , se donnent
la peine de lire sans discrimination (de langue ou d’idéologie) et sachent
tirer les leçons idoines......et, donc, ne pas laisser des héritages psychiques
dommageables perpétuer le « trauma
colonial ».
Hélas, le
« trauma » aux effets psychiques et politiques est encore bien
présent et, depuis l’Indépendance du pays, il a fait, et fait encore, bien des dégâts.....matériels.
L’auteure remonte le temps. D’abord, une
période coloniale qui, avec toutes ses « offenses », bien plus que
toutes celles qui l’ont précédée, a marqué, pour longtemps, (pour
toujours ?) , les psychismes des
individus, rendant difficile d’isoler la part de destruction réelle et le
rapport souffrant à l’ « identitaire ». Tout particulièrement à
partir des « renominations », presque
toutes fantaisistes (loi de mars 1822 sur l’état-civil), entraînant un
« effacement mémoriel » et des « blancs », les individus
ayant été massivement renommés ou, plutôt, a-nommés par l’administration ;
hors référence à leur généalogie .De ce fait, les séquelles de la colonisation
n’apparaissent le plus souvent dans les discours actuels « que par une
plainte vindicative et douloureuse qui, sans cesse, accuse
l’Autre... ».
Ensuite l’histoire interne du Mouvement
national avant et durant la guerre d’indépendance. Contre l’occupant, mais
aussi, entre « frères », avec
une « guerre intérieure » parfois terrible .
Le « fratricide », effet psychique du trauma colonial !
Puis, vint l’autre « guerre intérieure » dans les
années 1990 avec ses terreurs multiples, avec un islamisme armé (ou pas) se
situant dans une histoire et une logiques précises qui délivrent sa
« vérité » sur le colonial : « Il est question de faire
revenir du père pour arrêter la bataille des frères au pouvoir ». On a
même installé, un FIS.... qui est
« le fils de Dieu ». Résultats de la course tragique ; une loi
ordonnant la poursuite d’un déni organisé : « ni vivants, ni morts, ni
criminels ni victimes, ni responsables ni coupables » .
La loi de « réconciliation nationale ». De l’amnésie
à l’amnistie..... ...... une loi étant en réalité un moyen de
« maintenir le désaveu du crime et la fabrique du disparu » .
Conclusion : « Plus d’un
demi-siècle après la « fin des colonies », les descendants des
ex-colonisés (et des ex-colons) restent
toujours pris dans cette difficulté de se séparer de l’esprit du colonial et de
rendre à l’histoire son indépendance de pensée afin de mettre fin à sa
confiscation par le politique . L’auteure est
allée jusqu’à avancer une thèse « scandaleuse » (c’est elle qui
l’affirme dans un entretien) :Le colonisé est
encore un « possédé » par le colonialisme et il s’en sert comme un
« bouchon »..... une sorte d’alibi
permanent. Ce qui arrange bien du monde,
citoyens et pouvoir...
L’Auteure :Psychanalyste (Paris depuis 2002/ Alger depuis 2006). Nombreux
articles sur l’articulation du psychisme et du politique
Extraits : « En
Algérie, tout se passe comme si la colonisation ne pouvait qu’être le trauma.
Alors que, en France, l’éventualité du trauma colonial se renverse très souvent
en capitalisation pour le politique :les bénéfices de la colonisation
pour les sujets ex-« indigènes » .Le politique tente ainsi de faire
disparaître le fait historique et frappe d’irrecevable la part subjective de
l’Histoire » (p 13), « La fabrique des colonies ne relève pas d’une
contradiction ou d’une incohérence au sein de La République :la colonialité est ce qui de la République choit comme reste
de terreur et de tyrannie, rarement à court de rendre hommage à son ancêtre
monarchique » (p 49), « A l’indépendance, sur neuf millions
d’Algériens, un million seulement étaient alphabétisés, d’où la profonde
cassure ultérieure entre et la nouvelle classe dirigeante, substituée de facto
au colon et faisant majoritairement l’impasse sur la possibilité d’une
rencontre avec son peuple » (p 77), « A vouloir absolument glorifier
et nationaliser la disparition et les disparus, il se produit un mouvement
inverse : « Les ancêtres redoublent de férocité » (p 100),
« Le chef est increvable, son pouvoir est illimité. Cette situation n’est
pas propre à un chef en particulier, mais à la fonction. Il importe seulement
de faire perdurer le système, de chef en chef illégitime, puisque chacun y
accède à partir de meurtres entre « frères rivaux ». Le système se
maintient dans un vécu de toute-puissance qui traverse le temps et la
mort » (p 163) , « De bout en bout, la
colonie porte un projet de naissance et donc de mort , qui se décline
différemment : renaissance pour les uns, disparition et mort en masse pour
les autres » (p 234),
Avis : Un
livre difficile à lire et à comprendre....mais pouvant aider à mieux se connaître.
Peut-être arriverions-nous ,enfin, à nous sortir de la « mélancolisation »
permanente et généralisée (sauf chez
ceux qui ont quelques biens au soleil d’Espagne, de Provence , d’Italie , de
Dubaï.....et du Canada ) qui a fait (et
fait encore) bien de nos malheurs ?Dommage, l’auteure n’ a pas assez (ou
pas du tout) interrogé les travaux déjà menés sur le terrain par les chercheurs
nationaux, psychiatres, psychologue et
sociologues. Et, il y en a .Il est vrai que la psychanalyse n’est pas reconnue,
comme métier, chez nous et dans bien
d’autres pays ...car elle n’est pas « enseignée ».Des « raquis » des temps modernes ?
Citations : « L’histoire
saisit, la littérature écrit et la psychanalyse lit ce qui dans le texte se
loge dans le blanc de ses marges » (p 14),« L’enfant voyou des
Lumières :la colonie » (p 47), « La guerre de libération a
clairement acté le refus par les « indigènes » de leur réduction à ce
statut d’objet-déchet » (p 59), « A l’indépendance, la
« nationalisation » de la langue, de la religion et de l’histoire a
été un moyen pour effacer la disparition, pour la faire disparaître. Mais ce
qui a disparu devient très envahissant » (p 107), « La geste de
disparition du père ne cesse de se réitérer par les frères depuis l’effraction
coloniale. C’est pourquoi l’histoire du pouvoir politique en Algérie
depuis la guerre de libération indique que, à chaque fois qu’un homme a été mis
à cette place de père de cette nation en gestation, il sera exécuté ou
progressivement évacué des mémoires »
(p 141), « Le pouvoir (en Algérie)est un jeu troublant en mal de
père.....Le clan des frères se partage la gouvernance, les rentes pétrolières
et une logique de l’élimination. La course au chef en tant qu’unique possesseur
de la nation semble un des effets majeurs de la disparition des pères organisée
par le colonial « (p 147d faire perdurer le système, de chef en chef
illégitime, puisque chacun y accède à partir de meurtres entre « frères
« rivaux » (p 163),), « Le chef est increvable, son pouvoir est
illimité. Cette situation n’est pas propre à un chef en particulier, mais à la fonction . Il importe seulement de faire perdurer le
système, de chef en chef illégitime, puisque que chacun y accède à partir de
meurtres entre « frères « rivaux » (p 163), « Etrange est
l’Histoire, elle recèle bien des détournements, retournements et
refoulements » (p 186), « La
légitimité du pouvoir est source en Algérie de fourvoiement et
d’aveuglement pour le politique alors que s’y cachent une affaire de famille et
un vécu d’illégitimité » (p 242), »La passion « Algérie »
continue de hanter le politique, y compris en Algérie par le biais d’un
« nationalisme » vidé de projet politique, mettant en exergue un
« amour inconditionnel » pour Elle, la patrie . Le moindre écart
vis-à-vis de la cause nationale est traité comme un appel à la trahison
et une relance du colonial . L’imaginaire de la hogra persiste comme aiguillon pour la pensée et le
vivre-ensemble » (p 246), « La libération acquise ne signifie pas une
sortie de la colonialité » (p 249), « Si l’indépendance de l’Algérie
a entraîné un retour vers l’asservissement, c’est donc parce que la libération
ne suffit pas à faire liberté » (p 272), « La liberté ne se
laisse pas penser et encore moins organiser » (p 273) .