Date de création: 27-12-2018 11:04 Dernière mise à jour: 27-12-2018 11:04 Lu: 4048 fois
POPULATION- HABITANTS- KOULOUGHLIS
Les Kouloughlis sont une catégorie sociale qui existait dans les
pays du Maghreb sous la domination de l'Empire ottoman, essentiellement en
Algérie, en Tunisie et en Libye.
Il s'agit de personnes issues de mariages entre des Turcs de souche, des
janissaires, et des femmes locales. Quelques familles d'origine Kouloughli sont
également répertoriées au Maroc, surtout à Oujda et généralement dans l'est du
royaume, lequel a connu épisodiquement des phases d'occupation ottomane pendant
les nombreuses guerres entre les dynasties chérifiennes et les Turcs.
L'expansion de ce nom vers l'ouest a aussi des raisons d'interactions
spécifiques anciennes et importantes comme les migrations humaines, l'influence
culturelle et les échanges commerciaux de cette région avec la Régence d'Alger,
et plus particulièrement avec l'Oranie.
Le terme Kouloughli vient de l'expression turque «kulolu» qui signifie «fils de
serviteur», un mot composé de «kul» : esclave ou serviteur, et de «olu» : fils
de.. Cette appellation n'est pas fortuite, cela signifie bien que les Ottomans
considéraient les Kouloughlis comme des serviteurs du Sultan d'Alger. La
famille des Kouloughlis est conséquemment née de mariages mixtes entre des
soldats Ottomans et des femmes du pays, le développement de sa descendance
s'était donc éteint avec la colonisation de l'Algérie par les Français en 1830.
Néanmoins, ce nom de famille existe toujours dans différentes régions de
l'Algérie. La lignée réussit à survivre à la discrimination et au rejet, aussi
bien des Ottomans que des Français par la suite.
Mal considérés par les Oldjak qui constituaient l'élite militaro-administrative
de l'empire turc, les Kouloughlis furent chassés de la Régence d'Alger par
l'oligarchie dominante. Ils finirent par se disperser dans le pays, notamment à
l'ouest, à cause de malentendus constants avec la classe gouvernante, et ce à
partir de la fin du seizième siècle. Leur nombre atteignit 5000 individus,
contre le double des janissaires qui sont des Turcs de naissance. En réalité,
les dirigeants turcs n'admettaient pas qu'un membre de la minorité métissée des
Kouloughlis puisse accéder à un haut rang social ou militaire à cause des liens
maternels algériens de ce type de Turcs. L'élite au pouvoir de l'empire avait
sans doute peur que ces demi-Turcs mettent en péril leur domination sur le
pays.
La Régence d'Alger connut des phases d'affrontements et de trêves entre ces
deux classes de populations turques. Un conflit éclate en 1629 avec l'intention
des Kouloughlis de renverser le pouvoir des deys. La réaction des janissaires
est rapide. Le 12 mai de la même année, débute une répression contre cette
mutinerie qui déboucha sur leur expulsion d'Alger assortie de la confiscation
de leurs biens. La crise sanglante se prolongea pendant une quinzaine d'années.
Une partie des Kouloughlis expulsés d'Alger se joignent aux tribus kabyles du
royaume de Koukou pour former une résistance farouche à l'Oldjak des
janissaires Ottomans. En 1639, une amnistie est accordée aux Kouloughlis, suite
à une paix signée entre la coalition des tribus kabyles et les Ottomans.
Cependant, la situation des Kouloughlis demeure toujours diminuée malgré la
trêve et la réconciliation avec les gouverneurs. L'accès à un statut de
noblesse leur est toujours fermé, ils ne sont acceptés que pour des activités
de pirateries et de corsaires. En 1674, les Kouloughlis de première génération
recouvrent le droit d'être inscrits dans la milice des janissaires, mais les
métis de deuxième génération restent cependant exclus. En 1693, le Dey Chaabane
rétablit leurs droits à égalité avec ceux des Turcs. Il abolit la
différenciation qui existait entre les Turcs et les enfants de Turcs, certifiant
que tous seront traités sur un pied égal sans que les uns puissent être
favorisés aux dépens des autres. Mais on peut penser que l'acte fut de
circonstance afin de renforcer la milice dans une période de grandes tensions
avec Tunis et le sultan Ismaïl ben Chérif. En fait, ce règlement ne fut jamais
appliqué, mais il en résulta une relative libéralisation de l'accès des
Kouloughlis aux emplois spéciaux. L'abolition est également liée à
l'affaiblissement de l'Oldjak sous le régime des Deys.
Après une période d'émancipation constatée par la participation des
Kouloughlis, parfois massive, à de hauts grades qui leur étaient en principe
interdits, ces derniers sont encore une fois victimes de lois restrictives
visant à les éliminer des postes de responsabilité, et aussi afin de maintenir
fort le caractère turc de l'Oldjak. Leur éviction des postes clefs émane d'une
politique de restrictions des naissances. Le célibat est imposé de façon
stricte aux Turcs de souche à partir de 1725. Nul ne peut prétendre à une
rémunération de grade et à d'autres privilèges sociaux s'il est marié. Cette
politique réduit automatiquement le nombre des Kouloughlis en empêchant, d'une
part, leur croissance interne. D'autre part, l'objectif de ces règles est
évidemment de stopper l'influence des Kouloughlis, des éléments toujours
observés comme des sujets à crainte d'un envahissement de l'autorité suprême, à
cause de l'empreinte de l'amour de la patrie qui peut les porter à secouer le
joug grégaire des Turcs.
En compensation à leur exclusion du centre du pouvoir, les Turcs métissés
détiennent une plus grande influence sur les beyliks en dehors de la capitale.
On les retrouve dans les villes de Tlemcen, Médéa, Mascara, Mostaganem,
Constantine, Biskra et autres. Ils étaient recrutés dans les différentes
administrations et dans les garnisons militaires des beyliks. A côté des
habitants citadins autochtones de ces villes, ils formaient la majorité de la
population, avec une influence qui dépassait parfois l'autorité des beys et
même des deys. Il faut signaler que les Kouloughlis ont donné plusieurs beys,
le plus célèbre est Ahmed Bey qui défendit la ville de Constantine jusqu'en
1837.
Des mouvements de rébellion successifs des Kouloughlis contre les dirigeants
Turcs eurent lieu partout jusqu'à la fin de la présence des Ottomans en
Algérie. Les motifs étaient toujours les mêmes. Ils réclamaient la
reconnaissance du droit à la citoyenneté à part entière, égale à celle établie
aux Turcs venus de Constantinople ou d'Anatolie. Au lendemain de l'invasion des
Français de l'Algérie, le corps des Kouloughlis est estimé à quelque cinq mille
hommes, une sorte de milice formée généralement de soldats, d'administrateurs,
de commerçants et de propriétaires terriens. Ils participèrent aux côtés des janissaires
turcs à la fameuse bataille de Staoueli le 19 juin 1830, pour défendre le
sultan d'Alger sous les ordres d'Ibrahim Agha. Beaucoup d'entre eux fondèrent
parmi les troupes de la grande résistance de l'Emir Abdelkader par la
suite.
A la fin du dix-neuvième siècle, les Français ont instauré le nouveau code de
l'état civil des populations nord-africaines. Ils ont classé les habitants
autochtones comme Arabes et Berbères seulement, négligeant par ce fait la
diversité ethnique de la nation algérienne. Une nation composée alors de Turcs,
d'Andalous, de Kouloughlis et de Subsahariens. Toutefois, à l'inverse des
pieds-noirs, ou des Juifs algériens, les descendants des Kouloughlis se sont
largement bien intégrés à la société algérienne après l'indépendance du
territoire en 1962.