SANTE- ENQUETES ET REPORTAGES- CHOLERA
EN ALGERIE- HISTORIQUE (Extraits)
(c) Par L. Abid
– Professeur à la faculté de médecine d’Alger.www.algeriepart.com, 24 août 2018
(Extraits)
« ......Plusieurs épidémies de choléra se sont abattues
dans l’Algérois, l’Oranie, mais également dans le reste du pays, au cours des
premières décennies de l’occupation française. Par sa soudaineté, le choléra
impressionne : la mort survient en 48 heures, après une incubation de 4 jours.
Le choléra de 1834 dans l’Oranie
Le choléra déclenchera sa première épidémie en septembre 1834, à
l’hôpital militaire d’Oran. C’est par la mer qu’il pénétra (immigrants venant
de Carthagène et Gibraltar) puis il se propagea dans la ville grâce à la
malnutrition, à la misère et au manque d’hygiène qui existait alors.........Le
fléau s’étendra à toute la ville tuant près de 500 civils et autant de
militaires. L’épidémie atteindra également Mascara et Mostaganem où on
dénombrera près de 1500 victimes pour atteindre Médéa et Miliana.
Le choléra de 1835 dans l’Algérois
L’année suivante, en 1835, Alger est atteinte par une épidémie
importée de Marseille et Toulon par les vaisseaux Le Triton et La Chimère.
....... La contamination va atteindre, à partir d‘août, toute la ville se
propageant à partir du pénitencier de Bab-el-Oued et des hôpitaux du Dey et de
la Salpêtrière. Dans la ville c’est le quartier israélite qui est le plus
touché : on compte jusqu’à 100 morts par jour. En plus des cimetières
existants, des terrains supplémentaires sont désignés pour enterrer dans des
fosses communes les cholériques décédés sur lesquels une couche de chaux vive
est répandue avant que la fosse ne soit recouverte de terre. ........Soit un total de 2503 malades et
1426 morts. Au total il y eut 1220 décès civils, 639 .......Le
bilan de cette épidémie établi par les autorités de l’époque donnait pour tout
l’algérois 12000 décès et 14 000 dans le Constantinois, soit l’équivalent de la
disparition de deux villes entières comme Mascara et Mostaganem. En fait, les
chiffres pour les autochtones sont certainement plus élevés car le recensement
n’avait pas encore cours à cette époque.
Les autres épidémies de choléra de 1835 à 1849
D’autres épisodes de moindre gravité vont apparaître dans
l’algérois, l’Oranie et le Constantinois jusqu’en 1849 date de la 2ème épidémie
massive qui atteint Oran et qui marquera les esprits.
En 1837, le choléra fait sa réapparition. Deux ans plus tard, en octobre 1839,
le général Changarnier qui vient relever les effectifs du poste de Miliana,
découvre 800 soldats morts sur les 1100 de l’effectif. Sur les 300 restants,
seuls 50 sont encore en mesure de tenir les armes. .....En septembre 1846, une
nouvelle épidémie se développe en suivant la voie de 1835. C’est le bateau Le
Pharamond, de Marseille, qui apporte le 4 du mois, la maladie à Alger. Elle
atteint le pénitencier du Fort Bab-Azoun, puis l’hôpital du Dey et enfin la
ville avec 505 morts militaires et 202 civils.
En octobre 1846, c’est Oran qui est touché avec 209 morts un
même jour pour atteindre le total 2001 décès à la fin de l’épidémie.
Le choléra de 1849 en Oranie
........Comme pour les épidémies précédentes, c’est de France
qu’arrive le choléra morbus où il sévissait déjà depuis les premiers mois de
l’année.
A Oran c’est le 4 octobre que l’épidémie éclate de façon
foudroyante dans divers points de la ville à la fois. Les ambulances sont
saturées par l’abondance des malades, la municipalité est rapidement débordée,
la population fuit hors de la ville. C’est d’abord à l’hôpital militaire que
les cholériques sont hospitalisés mais dès le 20 octobre, le maire installe un
hôpital provisoire en dehors de la ville dans un caravansérail destiné aux
tribus des environs pour approvisionner le marché d’Oran. Outre le corps
médical présent, des médecins militaires sont envoyés de Paris et des Soeurs
Trinitaires s’y installent également.
Le 6 octobre c’est à Arzew et dans les villages avoisinants que
des cas apparaissent avec leur lot de décès. Du 11 au 17 octobre, 1817 décès
sont déclarés à l’hôpital civil Saint Lazare d’Oran.
Les migrations de populations va entraîner l’extension
de l’épidémie aux communes voisines : Messerghin, Valmy, Sidi Chami où des
ambulances sont établies. L’épidémie se propagera par la suite sur la route
d’Oran à Mostaganem où les différentes tribus arabes sont fortement atteintes.
Le bilan de cette épidémie établi par Pélissier donnait :
·
Personnel militaire : 882 décès
·
Personnel civil : 2472 décès dont 1512 arabes (2498 décès
à Mostaganem, 662 décès à Oran, 182 à Tlemcen, 134 à Sidi Bel Abbes, 26 à
Mascara.)
Le choléra de 1854 en
Oranie
Le même scénario va se reproduire en 1851 puis en 1854. Des
militaires venant de métropole vont répandre l’épidémie. ......
Le 12 août, le total des décès dans la population civile s’élève
à 99 (41 à l’hôpital civil Kargentah d’Oran ,19 à Hassi Ameur, 8 à Messerghin,
5 à Mostaganem et 20 à Tlemcen.)......Une diminution des cas à partir de cette
date entraînera un relâchement des mesures sanitaires prises auparavant
(suppression de la quarantaine en mer et des cordons sanitaires et la libre
pratique entre les différentes villes du département). Ce relâchement va se
traduire par l’apparition de nouveaux cas dans des endroits jusque là indemnes
(Ain Témouchent : 46 cas et 29 décès, Mascara : 1 cas et 1 décès, Saint Cloud :
2 cas et 2 décès, Ain Sidi Chérif : 12 cas et 6 morts, Ouled El Hammam : 3 cas
et 2 décès).
Le 22 août, l’état du mouvement journalier dans les hôpitaux
d’Oran et de Tlemcen est en faveur d’une diminution de l’intensité de
l’épidémie. A cette date le bilan global s’établit à 600 malades dont 295
militaires et 300 décès dont 135 militaires.
De nouveaux cas avec leur lot de décès surviennent encore en septembre dans la
population civile d’Oran et dans les villes et villages voisins. On incrimine
alors la non acclimatation des nouveaux colons arrivés
du nord de la France ou d’Allemagne au mois de juin. A Tlemcen au 4 septembre
dans les 2 hôpitaux civil et militaire, on compte 132 cas et 96 décès.
A Ain Témouchent, on dénombre 56 décès parmi les colons et
militaires et 159 cas et 74 décès dans les tribus des Ghrabas et des Smalas. Au
mois d’octobre l’épidémie a pratiquement disparu dans la ville et dans la
population européenne mais elle persiste dans les tribus arabes.
Le 8 décembre, le préfet annonce enfin la fin de l‘épidémie. Le bilan qu’il
établi le 4 janvier 1855, note pour tout le département, sur une population de
69457 individus, 1985 cas et 510 décès.
En février 1855, le bilan pour le département d’Oran dont la population était
estimée alors à 70 000 personnes était de 1983 cas avec 770 décès dont 412
indigènes appartenant principalement aux Smalas et Ghrabas. Cette épidémie, qui
a duré 4 mois, a été considérée comme beaucoup moins étendue et moins grave que
celles des années précédentes.
Le choléra de 1854 dans l’Algérois
A Alger, le 29 juillet des cas isolés sont observés. Des mesures
sont aussitôt prise :
·
La quarantaine est appliqué aux paquebots accostants au
port ;
·
Les militaires venant de France sont mis en quarantaine au
lazaret de Bab Azoun ;
·
Des salles spéciales sont affectées aux cholériques
militaires à l’hôpital militaire du Dey ;
·
Les militaires convalescents et atteints
d’une autre affection
sont évacués sur Birkhadem ;
·
10 ambulances sont installées dans les différents
quartiers de la ville ;
·
40 lits sont réservés à l’hôpital du lazaret
·
Le 20 août 1854, une hôpital
spécial pour cholérique est aménagé dans une habitation en bord de mer, proche
de l’hôpital Mustapha en même temps que la quarantaine est levée même si
l’épidémie existe à Alger.
Cette épidémie qui aura duré 3 mois et demi a entraîné 579 décès
civils sur 1133 cas (51 %).
Le choléra de 1854 dans le Constantinois
C’est le département qui a le moins souffert des épidémies de
choléra, probablement à cause du faible trafic portuaire entre Annaba et Skikda
et les principaux ports méditerranéens de France en particulier Toulon et
Marseille comparativement à Alger et Oran. Néanmoins durant l’année 1854, des
cas se déclarent à Skikda, le 10 juillet à l’hôpital mixte sur des passagers
venant de Marseille. L’épidémie fera dans la ville et les villages
environnants, 1821 morts sur une population de 6200 habitants. Elle touchera
également d’autres villes du Constantinois.
Le choléra de 1867 dans la région de Batna
Cette région occupait alors un territoire de 800 kilomètres
carrés, peuplée d’environ 10.000 habitants. La ville de Batna avec ses annexes
de Lambèse et Fesdis comptait une population européenne de 1623 civils et une
garnison de 1653 hommes.
Avant 1867, elle avait déjà souffert du choléra. Ainsi en 1849, le choléra a
immédiatement suivi l’arrivée des troupes françaises qui venaient de régions
infectées et qui se rendaient au siège des Zaatcha. De même en 1854 des cas de
choléra se sont déclarés après l’arrivée du 38ème de ligne qui venait de Annaba où une épidémie sévissait.
Le 11 juillet 1867, on apprit qu’une épidémie de « choléra
asiatique » mélangé à des cas de fièvre pernicieuse sévissait chez les Ouled
Amor (Tribu du Hodna). Cette épidémie entraîna les 19, 20 et 21 juillet 85
décès. Par la suite c’est à Biskra que l’épidémie se déclara avec plus de 65
décès au cours de ce mois de juillet.
Se basant sur la transmissibilité du choléra d’un individu à
l’autre et par « voie d’infection atmosphérique », les autorités sanitaires de
l’époque ont pris les mesures d’isolement suivantes :
·
Restreindre le plus possible les communications de la
région de Batna avec les régions infectées ;
·
Ne laisser arriver que les personnes reconnues « dégagées
de toute influence épidémique » ;
·
Rendre les exceptions et infractions prévues et
inévitables aux mesures précédentes aussi peu dangereuses que possible.
C’est ainsi que par crainte d’un afflux de population vers Batna
on interrompit les communications avec Biskra et les régions limitrophes et on
mit en place une quarantaine de huit jours pour toute personne venant de ces
régions. C’est le caravansérail d’El Ksour situé à 28 km de Batna qui fut
choisi le 19 juillet, pour la mise en quarantaine. Les nouveaux arrivés étaient
isolés des anciens occupants, leur linge était désinfecté au chlorure de chaux,
leurs déjections enterrées dans des fosses creusées à cet effet. On s’assurait
enfin qu’à la levée de chaque quarantaine, la personne était en bonne santé et
ne souffrait pas de diarrhée.
Cette quarantaine a été maintenue pendant deux mois au cours
desquels on a compté 116 personnes dans le caravansérail (cinq sont décédés).
Le marché hebdomadaire avait été suspendu pendant plusieurs semaines et on ne
laissa libre que la route Batna-Constantine où la diligence et le roulage
européen circulaient normalement. On installa à l’est de la ville, entre les
portes de Lambèse et de Constantine, une ambulance constituée de 16 tentes pour
les malades militaires et civils européens et une deuxième ambulance spéciale
pour les indigènes 100 mètres plus loin. Une prison destinée aux indigènes et
située à l’intérieur de la ville fut évacuée puis détruite.
Le 18 septembre la quarantaine à El Ksour fut levée, l ‘épidémie
à Biskra ayant complètement cessée dans la population européenne et en forte
décroissance dans la population indigène. Les autorités maintiendront néanmoins
un poste de surveillance à El Ksour et ce n’est que le 23 septembre que la
diligence de Biskra fut autorisée à entrer à Batna. Les ambulances furent
levées le 23 octobre.
Si la population de Batna a pu être prémunie par ces mesures qui
concernaient la population européenne se déplaçant entre Biskra et Batna, dans
les tribus indigènes des Ouled Sidi Yahia, Ben Zekri, des Ouled Ziane et des
Ouled Abdi, on compta quelques décès parmi les hommes ayant séjourné à Biskra.
Ces décès incitèrent les autorités à éloigner tous les campements indigènes de
la ville de Batna et leur transfert vers un lazaret établi en dehors des
territoires civils. On compta 5 décès dans ce lazaret et 6 autres dans le
village de Tilatou situé 5 kilomètres plus loin, au cours du mois de juillet.
Le lazaret fut levé le 15 août et la population replacée sur son
ancien territoire. Pour la tribu des Ouled Bou Aoun les mêmes dispositions
furent prises avec l’établissement du lazaret d’El Guergour où une mortalité
assez forte se déclara. Ce lazaret sera levé à la fin du mois d’août.
Outre ces lazarets, les autorités sanitaires mirent en place 18
postes de surveillance composés de spahis et de cavaliers indigènes tout autour
de Batna disposés en deux lignes courbes (à El Ksour, Ouled Chebbah, Ain
Chellala, Djerma, Oum El Asnam, El Madher, Ain El Assafir, N’za Sirrah et
Tafrent pour la première ligne la plus éloignée de Batna et à El Biar, Ouled
Chellih, Ain fesdis, Ain El Assafir et Tizerouine pour la ligne rapprochée).
Ces postes, qui constituaient un double cordon sanitaire, avaient pour mission
d’empêcher les nomades revenant du Tell vers le Sahara de pénétrer dans la
région de Batna avec le risque de propager la maladie. Ces postes furent
maintenus jusqu’à la fin du mois d’octobre 1867, date à laquelle l’épidémie
avait disparu du cercle de Batna.
Ces mesures ont permis d’éviter les centaines de décès qu’on
voyait auparavant dans les villes puisque seuls 6 décès furent notés dans la
ville de Batna et aucun cas à Lambèse et Fesdis où la population était estimée
à 6937 personnes dans le territoire civil et 3125 dans le territoire militaire.
Au delà de ces territoires sous contrôle, Le nombre de décès indigènes a été
estimé à 3000 sur une population totale de 108.229 habitants soit un taux de
mortalité de 2,8 %.
Par L. Abid – Professeur à la faculté de médecine d’Alger
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