HISTOIRE- BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH- RÉCIT
MOHAMMED BEDJAOUI- « UNE RÉVOLUTION A HAUTEUR D’HOMME »
Une révolution à hauteur d’homme. Récit de
Mohammed Bedjaoui. Chihab
Editions, Alger 2017, 1 400 dinars, 365 pages
Très tôt formé dans la discipline, il est,
encore jeune juriste tout frais émoulu de l’Université, plongé , comme beaucoup
d’autres, presque brutalement, dans la lutte de libération nationale ;
d’abord militant de base en tant
qu’étudiant (au sein de l’Ugema) , tout
particulièrement en Europe mais, par la suite, mettant ses connaisances,
sa compétence et surtout son engagement
au service du Fln et du Gpra (entre autres auprès du
Dr Francis Ahmed, « le maître des finances de guerre ») qui firent
appel à lui, pour défricher et baliser les terrains difficiles (et presque
impossibles à déchiffrer pour les
combattants du terrain) de la jungle juridique internationale afin de mettre
toutes les « ficelles » du côté des Algériens. Durant la lutte, puis
lors des négociations pour l’indépendance du pays.
Il présente ...sa jeunesse, mais aussi
les initiations politiques de 1948 à 1957
Il raconte la méfiance qui « était
la compagne intime et permanente de la Révolution algérienne »....ce qui a
alimenté le « trauma constitutionnel d’une toujours possible
traîtrise » , tant et si
bien « qu’elle nourissait le singulier
paradoxe d’être plus inquiète au vu d’une perspective de paix qu’à l’annonce
d’une aggravation des hostilités ».... Il raconte les premières ébauches de
la reconstruction de l’Etat
algérien avec le Fln, parti-nation et le
Gpra ..... Il raconte, aussi, le courage et les
engagements d’amis, comme les époux Guerroudj, la
lucidité de Ahmed Francis.....l’Algérie reconnue légalement capable de conclure
des traités internationaux...les rencontres , avec Mao, avec Kossyguine, avec
Ho Chi Minh, avec Kim Il Sung.......la Guerre d’Algérie devant les Nations
Unies,....les finances de la guerre.....les ambitions du Président Bourguiba.....les missions
d’explications dans les pays de l’Est....les négociations.....
Il
analyse : ainsi, la guerre
d’Algérie aura, sur le plan de la science du droit, puissamment contribué
à contester la norme juridique coloniale, et à concevoir de nouvelles normes
juridiques internes et internationales
davantage porteuses d’une libération et d’une égalité des peuples
... « Pour le juriste, acteur ou observateur de la guerre d’Algérie ,
c’est un sujet fascinant, absolument fascinant, que de voir comment un système
juridique se grippe, est pris de fièvre, se surchauffe, agonise et meurt.... » . Une
véritable « guerre du droit ».
Il révèle , avec des exemples à l’appui
, que le premier et le plus important pourvoyeur de fonds de la Révolution
armée était l’émigration algérienne en Europe et non point les Etats arabes ou
amis........que des responsables en mission ont passé , en transit et en
attente d’une correspondance , dans des aéroports européens (comme à Rome) ,
leur nuit en salle de transit, car interdits de sortie de l’aéroport......que
Ben Bella avait « interdit » l’alcool lors de la réception organisée à New York en 62 au siège de l’Onu,
alors que chez les Saoudiens, il coulait à flots.....
Il éclaire ...sur le déroulement (âpres,
surtout sur le Sahara et l’intégrité territoriale de l’Algérie, sur les bases
de Reggane et de Mers El Kébir......
sur le statut des Européens dans une
Algérie indépendante) des négociations : Evian I, Lugrin,
Les Rousses, Evian II.... ..sur la recherche des moyens d’obliger l’ adversaire à ne pas faire volte-face et à renier les
accords (comme cela s’était produit avec la France en Indochine en 46 et avec la Hollande en Indonésie , toujours
en 46). De ce fait, chaque « avancée acquise devait être « cadenassée »
(ndlr : Vous voyez que l’idée du « cadenas » trottait
dans la tête de nos décideurs depuis bien longtemps) l’une après l’autre.
Et, enfin, il conclut avec un épilogue qui
est une véritable leçon de droit international.....et qui, en y réfléchissant
bien, remet les pendules à l’heure, démythifie (un peu) la lutte armée des « guerriers » et réhabilite
(beaucoup) le travail ,en douceur et en profondeur, des
« politiques ».
L’Auteure : Né
à Sidi Bel Abbès mais ayant grandi à Tlemcen, Docteur
en droit, diplômé en sciences politiques, militant actif du mouvement national
puis collaborateur au sein du Gpra (surtout avec Ahmed Françis,
alors ministre des Finances) , expert
lors de la plupart des négociations pour l’Indépendance, chef de cabinet de Ferhat Abbas , alors
président de l’Assemblée constituante de 62, ambassadeur (New York/Onu ,
Paris ) , juge puis président de la Cour internationale de Justice de la
Haye, président du Conseil constitutionnel algérien , ministre (Justice puis Ae)... Auteur de l’ouvrage : « En mission
extraordinaire. Carnets d’un ambassadeur en France : 1970-1979 »,
Casbah Editions, Alger et L’Harmattan,Paris, 2016,
ouvrage déjà présenté in Mediatic.
Extraits : « Ferhat
Abbas était (donc) d’avis qu’il fallait bien « prendre d’assaut, et de
l’intérieur, la forteresse coloniale ». Il m’ encouragea à le
faire » (p 67), L’auteur se
référant à une correspondance envoyée à l’auteur, alors étudiant en France et
préparant le concours d’entrée à l’ENA, par Ferhat Abbas, en 1953), « La
particularité de l’action armée, qui aurait pu paraître suicidaire et vaine au
regard de ses grandes faiblesses du départ, était qu’elle succédait à un combat
de maturité politique comme celui de l’Udma ou même
du Mtld, qu’elle reposait sur une expérience
multiforme d’actions violentes épisodiques riches d’enseignements et qu’elle
renvoyait à un peuple qui pratiquait la résistance au quotidien » (p 107)
, « Le goutte-à-goutte de la contribution mensuelle de chaque émigré
rendait belles les rivières emportées par les « porteurs de valises »
(p 265)
Avis :
On dira, aujourd’hui, ce qu’on voudra du personnage (ce qu’il est et ce qu’il a
été dans un passé récent) mais, tout en ayant été un grand diplomate, il a été
et reste un de nos plus grands
spécialistes de droit international, sinon le plus expérimenté. « Monsieur
Droit » .....et « Monsieur
Constitution » !
Un récit historique.....et un mélange très
heureux et plus qu’instructif des genres.
Citations : « Le
Gouvernement provisoire de la République algérienne possédait d’autres
caractères que ceux qui pouvaient le réduire à un gouvernement local
belligérant. Il fut proclamé en même temps que la République algérienne , ce
qui impliquait la résurrection de l’Etat algérien.C’était
donc le gouvrrnement de l’Algérie , total et non
local »(p 119), « J’étais toujours persuadé qu’il n’y avait pas
d’Etat sans archives » (p 136), « Le président Ferhat Abbas, toujours
optimiste et orfèvre du mot qui rassure » (p 186), « La négociation
possède quelques effets pervers, car elle démobilise les esprits qui ont du mal
à reprendre le combat si nécessaire » (p 218), « Dans sa lutte de
libération nationale ainsi déclenchée, le peuple algérien qui s’est reconnu le
droit aux armes n’ a pas pour autant négligé les armes du droit » (p 341), « De même que les civilisations sont
mortelles, les systèmes juridiques le sont » (p 344)
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